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Une saga contemporaine du business de la semence

  • Emu aux larmes Arnaud Evain avec son champion des 7 ans Falco de Hus (© ER)
    Emu aux larmes Arnaud Evain avec son champion des 7 ans Falco de Hus (© ER)
  • Bernard Lecourtois touche la prime aux naisseurs pour Catchar Mail (© Pixels Events)
    Bernard Lecourtois touche la prime aux naisseurs pour Catchar Mail (© Pixels Events)
Totalement aux mains des privés depuis les années 2010, l’étalonnage a beaucoup évolué au cours de cette dernière décennie.Selon une récente étude de l’IFCE, 9063 étalons étaient en activité en 2020. 6349 (70%) d’entre eux sont stationnés en France et 2174 (30%) à l’étranger. 90% des moins actifs réalisent 20% des saillies tandis que les 10% des plus actifs se partagent le reste. Le chiffre d’affaires généré par ces ventes en filière sport est estimé à 15 millions d’euros pour un cheptel d’un peu plus de 20 000 juments saillies.Le positionnement de la France parmi les meilleurs pays producteurs de chevaux performers, selon la même étude, génère une activité dynamique sur la scène du commerce international de chevaux élite dans plusieurs disciplines (en particulier en endurance, CSO, CCE). Le départ de ces élites rend parfois compliqué l’évaluation génétique des reproducteurs. En effet, la traçabilité des performances des chevaux français élite exportés n’est pas optimale actuellement et nécessite d’adapter l’indexation en intégrant les informations de performances sous couleurs étrangères, qui sont à ce jour à aller chercher manuellement et qui ne concernent que les performers principaux dans les races SF et AA, seuls identifiés sur les listings de la FEI.A l’aube de la nouvelle saison de monte, nous allons publier une série de portraits des étalonniers français qui oeuvrent sur le marché intérieur comme à l’international. Pourquoi, comment, avec quels moyens exercent-ils ?Rencontre avec Arnaud Evain, le patron du puissant GFE et Paul et Beth Loisil  qui ont fait de la monte en main leur spécialité au cœur du Berry.Prochaine série, Bernard Le Courtois (Brullemail) et Juliette Mégret (Ibreed Agency).Etienne Robert

Arnaud Evain, président du Groupe France Elevage

Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux étalons et pourquoi ?
« Le premier étalon auquel je me suis intéressé s’appelait Turner, un Pur-Sang par Tiepoletto.  C’était en 1966 j’avais 13 ans, c’était mon père qui s’en occupait, c’est mon premier souvenir. C’est un des premiers étalons privés dans la région de St-Lô.
A l’époque c’était encore la monte naturelle comme chez les Pur-Sang aujourd’hui, c’était le bon temps. Il n’y avait pas d’insémination artificielle.
J’ai commencé à en faire mon métier en 1984, quand on a créé Equitechnic qui était la première société à congeler de la semence, je me suis mis à faire du courtage de saillie ».

Comment avez-vous développé cette activité et où en êtes-vous aujourd’hui ?
« Equitechnic c’était avec Éric Palmer qui avait mis au point la technique pour l’INRA et Pierre Julienne qui gérait le Haras des Cruchettes dans lequel les étalons venaient l’hiver. On congelait leur semence et moi je me suis très vite occupé du côté commercial c’est-à-dire de recruter des étalons. Puis recruter des centres pour pratiquer l’insémination artificielle. On est allés dans tous ces centres pour expliquer aux éleveurs l’intérêt et les bienfaits de l’insémination artificielle. Entre 1984 et 1988 c’est une technique qui s’est développée, on est passés de rien du tout à à peu près une soixantaine de stations-haras privés. Les Haras Nationaux aussi à ce moment-là ont mis en place de la semence congelée. Ça a été le début du lancement de cette technique.
En 2002, le fait que les Haras Nationaux allaient un jour ou l’autre arrêter leur activité devenait de plus en plus évident, j’ai décidé d’essayer de grandir. Je ne pouvais pas grandir tout seul, on a alors fait le Groupe France Elevage (GFE) qui était une association d’éleveurs qui ont mis en commun leurs moyens pour acheter et louer des étalons.
Aujourd’hui le GFE travaille avec deux centres pour congeler et un peu plus de 300 centres d’inséminations dans toute la France ».

Parlez-nous de l’évolution du commerce de la semence
« C’est une longue histoire mais au tout début la principale barrière du développement de la semence congelée, c’était la confiance des éleveurs dans la technique. Donc très vite on leur a proposé une assurance qui leur remboursait tous leurs frais si la jument n’était pas pleine. Et ils ne payaient la saillie que quand la jument était pleine. Pour cette raison, on confiait en général beaucoup de paillettes aux centres d’insémination qui les géraient, ils inséminaient les juments et ils nous renvoyaient à la fin de la saison les stocks de semence qui n’avaient pas été utilisés. Ça c’était la démarche commerciale des Haras Nationaux et ça a été aussi la nôtre au départ avec Equitechnic. Aujourd’hui avec le GFE on continue à pratiquer de cette manière-là, mais en parallèle s’est développée une autre méthode qui consiste à vendre les semences. Donc vous avez des étalonniers qui proposent aux éleveurs de vendre 2,3,4 paillettes et puis s’ils n’ont pas de résultats tant pis pour eux, s’ils en ont tant mieux pour eux. Nous on n’est pas très fans de cette méthode-là parce que personne n’est capable de garantir la qualité d’une paillette. On ne peut pas voir la différence entre une paillette qui contient du sperme qui va être de bonne qualité ou une paillete qui contient du sperme qui va être de moins bonne qualité. Vu de l’extérieur dans l’azote on ne peut pas la voir la différence. Donc la seule manière de rassurer le client c’est de lui dire qu’il ne paiera que s’il a un poulain. Maintenant ce n’est même plus si elle est pleine c’est quand le poulain naît, selon la formule « poulain vivant ».

Culture

La connaissance des origines : un long périple dans l’histoire des familles de la voie mâle, Racontez.
« Choisir un étalon c’est choisir un pedigree, une génétique, et des caractéristiques. La connaissance des origines, voie mâle comme femelle permet de rapprocher les caractéristiques de la génétique. Et c’est intéressant de connaître la génétique et la manière dont tel ou tel étalon a reproduit, ce qu’il a transmis, etc. Pour voir si son descendant qui serait candidat étalon a les caractéristiques intéressantes liées à sa génétique. Donc la connaissance de la voie mâle c’est le fait de savoir ce que les étalons apportent et transmettent. On a écrit un livre il y a une dizaine d’années qui s’appelle « The European Stallion Families » qui retrace la généalogie de tous les étalons en Europe jusqu’au milieu du 19e siècle. Et on s’aperçoit que tous les étalons ont des ancêtres Pur-Sang communs. A partir de là, chaque grand reproducteur a transmis des caractéristiques et de temps en temps vous entendrez quelqu’un dire « Tiens ce fils de Jalisco qui était lui-même fils d’Alme, il me rappelle un peu Alme ». En cela la connaissance des lignées mâles permet de reconnaître ces signes-là. Et la connaissance de la lignée maternelle est largement autant sinon plus importante ».

Est ce qu’il existe des chiffres ou des études qui prouvent que tel ou tel cheval va transmettre tant de pourcentage de ses performances, qualités ou défauts à son poulain ?
« Là il faudrait aller un peu se promener sur « haras Sire » qui donne beaucoup de réponses sur une science connue chez les autres animaux et à laquelle on commence à s’intéresser fort dans le cheval qui s’appelle la génomique, qui est l’étude du génome. Elle permet de regarder éventuellement de quelles caractéristiques un étalon est porteur. Aujourd’hui on mesure sa valeur génétique au début par un pronostic grâce à son pedigree. Ensuite on y ajoute ses performances, et après on ajoute l’information qui permet vraiment de mesurer la valeur génétique d’un reproducteur : la qualité de ses descendants. Sur ces trois phases, les gènes ont prédit leur valeur d’après leur pedigree et leurs prédispositions naturelles : morphologie, manière de se déplacer, manière de sauter, etc. Ce sont les paramètres que l’on utilise pour mettre un jeune étalon en route. Après cela pendant qu’il fait ses premiers poulains il fait du concours et ça permet de vérifier si ses qualités fortes d’une part lui servent pour être performeur en concours, et d’une autre part s’il les transmet à ses descendants. Par exemple si un étalon a comme qualité forte d’avoir une grande foulée de galop, mais que celle-ci n’est pas transmise à ses descendants, ce n’est pas intéressant. A la fin, au bout de 10 ou 15 ans de reproduction on sait mesurer la performance de ses descendants. Donc on sait dire si un étalon transmet plus de qualités qu’un autre pour faire du concours hippique par exemple ».

Du coup pour ce n’est pas suffisant la connaissance de la voie mâle ? Il faut s’intéresser aussi aux lignées maternelles ?
« Il faut s’intéresser à la lignée femelle d’un mâle parce qu’elle fait comprendre certaines de ses caractéristiques. Il faut surtout s’intéresser à la lignée femelle quand on fait un accouplement en sachant que beaucoup des paramètres du tempérament, qui sont importants pour faire de la compétition, sont liés à ce qu’on appelle l’épigénétique c’est-à-dire à une transmission d’une génération à l’autre, non par les chromosomes mais par l’éducation maternelle. Cette éducation maternelle commence dans la vie intra-utérine : ce qui émeut la mère émeut son produit dans son ventre. Puis l’éducation se poursuit dans l’accompagnement des cinq premiers mois de la vie du poulain qui les passe avec sa mère. Elle va lui inculquer, entre autres savoirs, un mode de rapport avec l’homme.
Il y a des comportements que la main de l’homme arrive à corriger mais d’autres restent pour toujours. Les chevaux émotifs dont l’émotivité a été cultivée par celle de la mère resteront émotifs plus que la moyenne pendant toute leur vie. C’est important ».

Détecter les nouveaux sires : intuition ou méthode ou les deux ?
« Je me méfie beaucoup de l’intuition. L’intuition c’est ce qui fait que l’éleveur à la fin va choisir un de nos étalons pour le mettre avec sa jument mais ça vient à la fin d’une phase de réflexion. Choisir un étalon c’est d’abord observer. C’est mesurer le plus objectivement possible ses caractéristiques, mesurer ses qualités et ses défauts, faire le bilan en se demandant si les qualités fortes qu’il présente permettent de compenser les défauts. Puis enfin de regarder les premières générations de poulains pour voir dans quelle proportion il transmet qualités et défauts, et décider si on continue à l’utiliser ou pas. Nous faisons énormément d’observation sur les étalons et dans nos catalogues du GFE on rapporte toutes ces observations à l’éleveur en disant : « Voilà il va un peu améliorer l’élégance de la tête, il va un peu améliorer la taille, il ne va pas beaucoup améliorer la technique des antérieurs mais il va beaucoup améliorer le respect ». Et on fait la balance des raisons qui font qu’on l’a pris comme étalon. Pas seulement si son grand-père a fait du show-business, mais lui : ce qui nous paraît être ses points forts, ses points d’intérêts et éventuellement ses limites. Après l’éleveur fait la même chose avec sa jument, il se retrouve avec le choix entre 2-3 étalons et là seulement il peut laisser parler son intuition. Après l’hésitation de dernière minute, il faut y aller au feeling ».

Qu’est-ce qui fait qu’un étalon est ou n’est pas à la mode ?
« A la mode et intéressant, ce sont deux choses différentes. Pour être à la mode il faut avoir fait une belle performance ou avoir un poulain qui a fait une belle performance. Ça crée les effets de mode. L’effet de mode permet de faire le prix de la saillie. Ce qui fait l’intérêt de l’étalon c’est la transmission de ses caractéristiques fortes et utiles. Après l’effet de mode il justifie un prix de saillie plutôt que d’un autre. L’effet de mode est par essence éphémère, pour être à la mode c’est un travail en continu. C’est tous les ans qu’il faut revenir à la mode ».

La collection 2023 est en route. Quoi de nouveau chez vous ?
« On est en train de regarder ce qui se passe avec les jeunes et les futurs reproducteurs. On va avoir un lot de 7 ou 8 jeunes étalons qui ont fait les finales des 4-5 ans et qui vont faire les finales des 2 et 3 ans. Dans les vieux chevaux pour l’instant on a un cheval qui s’appelle Apardi qui est un peu notre grosse recrue de l’hiver pour le moment. Et puis on regarde du côté des jeunes, tout ça va se dessiner vers la mi-décembre à peu près ».

Le GFE réinvente la PAN

Le Challenge de la Prime aux Naisseurs (PAN) orchestré par le GFE pendant le CSI de Saint-Lô a permis de récompenser 11 éleveurs :

Vainqueur du Grand Prix 4* avec Julien Épaillard, Caracole de la Roque réalise un triplé et permet au Haras de la Roque d’empocher 3 fois le montant maximal. Bibici se classe par deux fois sous la selle de Grégory Cottard et offre deux primes à son naisseur Daniel Millet (60).

Dans le Grand Prix CSI4*, les éleveurs d’Indre et Loire ont la part belle avec la 2e place de Bise des Bardellières née chez Martine Choisie avec Maëlle Martin et la 3e place de Best Of Iscla né chez Guy Duchamp avec Nicolas Layec.

Dans le Grand Prix CSI2*, Catchar Mail est 1er cheval Français sous la selle de Edward Levy et permet à Bernard Pierre Lecourtois (61) de remporter la prime offerte au vainqueur. La fille de Kannan Estia de Denat née chez Anne et Thierry Clausse (16) est 2e avec Laurent Goffinet, Eve d’Ouilly récompense Alexandra Lebon (14).

Mention spéciale pour les produits de Air Jordan avec la victoire associée à Mathieu Billot de Darling de l’Angevine née chez Majorie Binet Feron (14) et à Delph de Denat avec Roger-Yves Bost, qui à l’image de sa soeur utérine rapporte une 2e prime à l’Elevage de Denat (16). Bulgarie d’Engandou née à la SARL d’Engandou et Domaine de Fleyres (31) complète le podium sous la selle de Nicolas Layec.
Sont également récompensés Daniel Laborde (95) grâce à Valou du Lys et Sylvain Leroux (74) grâce à Bagatelle de Granlieu.

Beth et Paul Loisil  (Haras de la Claise)

Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux étalons et pourquoi ?
« Nous avons un parcours un peu particulier car on fait les montes en main, les montes naturelles. On a commencé il y a une vingtaine d’années parce qu’on a compris que certaines juments ne correspondaient pas aux inséminations artificielles. Donc on a pris un étalon, Dauphin de Savinia, un bon Selle Français. On pensait faire 4-5 juments. C’est-à-dire les nôtres et celles d’amis et finalement il en a fait 45 la première année. On a compris qu’il y avait une demande. On a augmenté tout doucement, maintenant on tourne avec étalons chevaux, et trois étalons poneys.
On fait environ 250 juments par an, selon les années avec un suivi sanitaire sérieux. Par moment on a 75 juments sur une surface de 100 hectares. Paul est inséminateur. Nous élevons depuis plus de 40 ans. Mon mari, maréchal ferrant, avait un centre équestre et moi j’étais cavalière ».

La connaissance des origines : un long périple dans l’histoire des familles de la voie mâle, Racontez.
« Le plus important c’est la voie femelle. Maintenant avec l’insémination artificielle, je crains qu’on vienne trop vers les mêmes étalons. Par exemple, les Selle Français étaient de très bons chevaux à l’origine, maintenant tout le monde a du Kannan ou du Diamant, il faut élargir un peu ces origines. Il y a au moins 500 naissances du même étalon par an et je trouve que ce n’est pas une très bonne chose ».

Est-ce suffisant (la connaissance de la voie mâle) ou faut-il s’intéresser aussi aux lignées maternelles ?
« Non. Même si on est étalonniers tous les deux et qu’on veut bien mettre les étalons en valeur, je crois que les souches femelles sont plus importantes que celles des mâles. Mais ce n’est que mon avis personnel. Je crois que c’est la mère qui apporte un peu plus de génétique à son poulain. Quand le poulain est élevé par la mère, une partie du comportement lui est transmis.  Maintenant avec les transferts d’embryons, on voit beaucoup plus rapidement les résultats du côté femelle ».

Détecter les nouveaux sires : intuition ou méthode ou les deux ?
« Souvent, on prend des étalons performeurs qui sont en fin de carrière sportive, parce que pour faire la monte en main, un jeune cheval c’est compliqué. D’autant plus qu’il faut qu’il soit sur place, alors s’il sort en concours… Quand on en sélectionne un on regarde tout, les performances, la production, le modèle, la locomotion et le caractère. On est un peu différents. On ne regarde pas seulement le cheval qui saute. On a gagné les championnats de Francfort trois fois et je me dis que ce n’est pas parce qu’on est meilleurs que les autres mais plutôt parce qu’on fait de la monte naturelle, ce ne sont pas des paillettes ».

Qu’est-ce qui fait qu’un étalon est ou n’est pas à la mode ?
« Beaucoup de publicités. Je crois que la mode en France c’est de passer très vite aux nouveaux jeunes étalons. Bien sûr il y a les chefs de race comme Kannan, Diamant ou Cornet. Mais il y a énormément d’étalons sur le marché, beaucoup ont été approuvés à 2-3 ans, Le Studbook Selle Français essaie d’aller vers ces jeunes étalons. Quand ils sont aussi jeunes c’est difficile d’imaginer la valeur de la production. Il y a beaucoup d’étalons qui pour moi ne sont pas de mauvais chevaux mais qui ne sont peut-être pas chez les gros étalonniers comme le GFE ou France Étalon, ce qui fait qu’ils font peu de juments donc pas beaucoup de résultats. De très bons étalons sont passés à côté à cause de ça. Puis, pour qu’un étalon soit reconnu bon, il faut qu’il saillisse de bonnes juments, que les produits soient correctement mis en valeur dans les mains de bons cavaliers. Ce n’est pas que le père et la mère ».

La collection 2023 est en route. Quoi de nouveau chez vous ?
« Il y a un nouvel étalon qui va arriver mais il n’est pas encore là donc je ne veux pas en parler. Nous aurons quatre sires dont un des meilleurs poneys Français de Selle qui arrive : Usandro Tilia Derlenn. C’est celui qui saillit le plus depuis maintenant 3 ans ».

Propos recueillis par F. Pamart

20/12/2022

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