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Une Bressane au Prix d'Amérique

  • Dominique Bouton, Uska de Vandel (pleine de Fabulous Wood) et Christophe Jusseau
    Dominique Bouton, Uska de Vandel (pleine de Fabulous Wood) et Christophe Jusseau
  • Brianna (pleine de Ready Cash) soeur de Chica
    Brianna (pleine de Ready Cash) soeur de Chica
  • Poulinières gestantes au pré
    Poulinières gestantes au pré
  • Chica de Joudes (© JLL letrot.com)
    Chica de Joudes (© JLL letrot.com)
C’est en effet à Joudes, dans un beau coin vallonné de Bresse, entre Ain, Saône et Loire et Jura qu’est née et a été élevée une jument qui devient de plus en plus célèbre, Chica de Joudes, qui vient de terminer 4° du Prix d’Amérique, la plus grande course de trot attelé du monde, tout près de la troisième, voire de la deuxième place. Une performance qui ne doit rien au hasard, mais vient au contraire couronner des années de travail rigoureux.

En effet, tout commence en 1989, lorsque le Suisse Jean-Pierre Vulliamy, passionné par le cheval, qu’il soit de selle ou de courses, réalise son rêve, en achetant en Bresse une cinquantaine d’hectares où il crée une structure d’élevage à la hauteur de ses ambitions. Il construit des bâtiments fonctionnels et aménage l’ensemble de ses herbages, pour accueillir une jumenterie trotteuse. Malheureusement, il n’a pas le temps de recueillir les fruits de cet investissement, disparaissant prématurément en 1999. Ce sont ses 3 enfants qui reprennent le flambeau sur sa demande. Alexandre, qui n’avait pourtant pas spécialement « le feu sacré » dans ses jeunes années, gère tout l’aspect administratif et vient sur place une fois par semaine. Christophe après une formation initiale à Mornand en Forez, a travaillé auprès des plus grands en France, en Suède et au Canada et s’est installé comme entraîneur driver en Suisse. «Il n’entraîne ni ne drive pas ou peu les Joudes, remarque son frère, pour ne pas risquer de créer de confusion. Il ne faudrait pas laisser penser qu’il se réserve les meilleurs ». Ils se réunissent tous les mois avec leur sœur Sylvie pour une sorte de « conseil de guerre ». Cette organisation est rendue possible par la présence sur place de Dominique Bouton, arrivé dès 1989, qui se dévoue avec l’assistance de Christophe Jusseau à la quinzaine de poulinières qui vivent là, avec leurs foals et les yearlings, ainsi que par la remarquable organisation des lieux. Les bâtiments sont fonctionnels, conçus pour élever dans les meilleures conditions. Dominique Bouton confirme : “C’est un plaisir de travailler ici. Tout est pratique et a été bien pensé dès le début.” C’est ainsi que les herbages entourent la propriété, avec pour chacun un accès direct.  Un pré est réservé aux poulinières en attente de mise bas, un autre aux yearlings mâles, et un autre aux femelles, tous avec de robustes clôtures bois. Une rotation est prévue pour pouvoir aussi faire du foin. Dans les écuries, claires et aérées, les boxes sont vastes et accueillants. « On essaie de réduire au maximum la part de hasard » remarque Alexandre. Les poulinières gestantes sont pesées tous les mois, puis tous les 15 jours, puis chaque semaine au fur et à mesure que le terme se rapproche. Les rations et compléments sont étudiés individuellement par une spécialiste de l’IFCE.  Le poulinage se passe sur place, sous la surveillance de Dominique Bouton, qui venait justement de préparer sa caméra, le premier poulain étant attendu mi février. Une fois né, le poulain est à son tour pesé tous les quinze jours, licolé, manipulé. Puis, vers un mois, il part en Normandie avec sa mère qui va être présentée à la saillie, puisqu’en France la réglementation exige la récolte de l’étalon et l’insémination en semence fraîche sur son lieu de stationnement. Les juments reviennent entre 1 et 3 mois plus tard, et c’est la belle vie pour les poulains avec les soins attentifs de Dominique et Christophe, jusque vers leurs 18 mois. Durant toute cette période, ils sont suivis très régulièrement pour veiller à l’harmonie de leur développement et la qualité des aplombs par des professionnels choisis : le maréchal-ferrant, Julien Guinet et l’ostéopathe, Antoine Robin. Les yearlings mâles partent ensuite en juillet /août dans l’Orne au Haras d’Atalante pour être préparés pour les ventes de septembre. Ils vont faire connaissance avec le tapis roulant, le marcheur, leur alimentation est réadaptée, mais sans débourrage, la garantie « non-débourré » étant exigée lors des ventes. Au même âge, les femelles vont être évaluées pour être envoyées chez l’entraîneur en septembre, en vue de la première qualification en mai, puis de la première course en août. Bien sûr, malgré tous les soins qui leur sont apportés, certaines ne peuvent prétendre à une carrière en course, et se présente alors la difficile question de la reconversion. La qualité de leur élevage, le fait qu’elles soient faciles à manipuler en toute occasion les rend attractives pour d’autres disciplines, et depuis quelques années elles sont également recherchées comme mère porteuses.

Mais bien sûr, à côté de ces soins attentifs, il reste un facteur déterminant, qui est le choix des reproducteurs, puis plus tard celui de l’entraîneur. Pour s’assurer les meilleurs reproducteurs, des parts de jeunes étalons comme de pères reconnus sont achetées par l’écurie Vulliamy: Prince Gédé, Prodigious, Ready Cash, Royal Dream, Saxo de Vandel, Uniclove, Bird Parker, Brillantissime, Charly du Noyer, Django Riff et de l’élève « maison », Atlas de Joudes, autant de champions ayant montré de la classe à l’âge de 3 et 4 ans. La jumenterie est également en constante évolution depuis l’arrivée des premiers « Joudes » en 1995; profitant d’une réduction d’effectifs chez Jean-Pierre Dubois « un visionnaire » comme le qualifie Alexandre Vulliamy, l’écurie achète Queschua Love, une fille de Love You, qui totalise 1 416 537€ de gains. Présentée à Ready Cash, Queschua produit Atlas de Joudes, qualifié étalon sur performances, qui totalise à ce jour plus de 620 saillies, puis Brianna de Joudes, actuellement poulinière, avec Prince Gédé, et en 2012 Chica de Joudes avec Jag de Bellouet (4 223 699 € de gains, vainqueur en son temps de ce fameux Prix d’Amérique). Malheureusement, Queschua meurt de coliques en 2016 après la naissance de Hidalgo de Joudes, son 6° poulain. A l’âge de deux ans, Chica a été confiée à Alain Laurent, un partenaire « historique » de la famille Vulliamy depuis les années 1990, sans exclusivité cependant, mais aussi l’un des plus beaux palmarès du trot français, titulaire de plus de 2300 victoires, qui se décrit lui-même comme un perfectionniste. « C’est quelqu’un de discret, mais d’efficace. Il faut absolument souligner la qualité de son travail » dit Alexandre Vulliamy. Alain Laurent a vite compris le potentiel de Chica, il a su l’attendre et la façonner.  Alexandre se rappelle une petite anecdote à ce sujet : “Il y a trois ou quatre ans, lorsque nous avons rendu visite à Alain Laurent, il m’a demandé quand est-ce que l’on aurait un poulain pour courir le Prix d’Amérique, avant d’esquisser un petit sourire et de poursuivre : “Peut-être que je l’ai déjà…”. Chica est généralement décrite comme une jument courageuse et volontaire, très à l’écoute, avec la rage de vaincre « la dame de fer » disent certains.  « Étant donné son physique et ses origines, dit Alain Laurent, il était évident qu'elle allait s'améliorer au fur et à mesure, ce qu'elle fait logiquement. Elle a un "grand compas", donc cela nécessite un physique adapté pour emmener cette grande machine. Aujourd'hui, elle a beaucoup de force et peut faire étalage de son talent sur la piste…quand vous avez des chevaux de cette classe, vous préférez prendre votre temps….C’est une championne, je l’aime bien, il faut la respecter…Elle n'a jamais été arrêtée, mais je lui ai simplement donné le temps dont elle avait besoin. Je vais à son rythme, elle est comme moi, habituée à travailler, elle ne se plaint pas».  Le rythme, c’est peut-être ce qui lui a manqué dans ce Prix d’Amérique où elle n’a justement pas eu l’occasion d’évoluer à son rythme à elle. Partie en queue de peloton, elle n’a pas pu avoir l’ouverture qui lui aurait permis de se mesurer aux 3 premiers, au point que son driver a dû presque la retenir. Ce n’est qu’en toute fin après un dernier virage à l’extérieur qu’elle a opéré une remontée spectaculaire.  Ce qui amène de la part de toute son équipe la constatation qui peut sembler paradoxale, que si on avait annoncé cette 4° place avant la course, alors qu’elle n’était même pas outsider, à 66 contre 1, tous auraient applaudi, mais que finalement il y a presque une déception au final. Déception toute relative et vite disparue, tant les qualités dont elle a fait preuve laissent augurer de futurs succès. Dominique Bouton conclut : “Voir l’un de nos produits participer au Prix d’Amérique c’est l’aboutissement de trente ans de travail. C’est gratifiant, car on se lève tous les jours pour ça. On est tous les jours à 100 % pour essayer de ne pas passer à côté du moindre détail. Chica était une jolie pouliche, bien dans sa tête. Comme sa mère, elle était attachante. Au pré, elle se déplaçait bien. Mais il était difficile de prévoir un tel avenir. »

Le point de vue de Julien Guinet, le maréchal ferrant des jeunes « Joudes ».

Je suis allé pour la première fois à Joudes en 2001 pour un poulain qui présentait une hyperlaxité, l’année suivante, j’ai vu 5 poulains, et depuis 2003 j’effectue un suivi systématique de tous les poulains depuis leur naissance jusqu’à leur départ à 18 mois. Nous avons mis en place un protocole afin d’agir de manière préventive. Chaque poulain a un dossier de suivi photo, vidéo et éventuellement radio, avec un parage tous les mois, en alternance entre moi-même et 3V Maréchalerie. Cela nous permet de réduire presque complètement le recours à des prothèses comme les fers collés. Sur la durée, nous avons aussi pu déterminer l’apport héréditaire des poulinières, et ainsi, nous savons à quoi nous attendre. En fonction du rythme de la calcification, nous intervenons de 3 à 6 mois sur les déviations basses. Si des déviations plus hautes ou plus importantes se maintiennent, le vétérinaire a recours, après radiographie, à des ondes de choc. Les poulains sont tous licolés, marchent en main et donnent les pieds. Ils sont habitués à être manipulés de toutes les façons, ce qui facilite leur débourrage par la suite. C’est un travail gratifiant car les résultats sont là et nous travaillons dans une bonne complémentarité.

Véronique Robin

10/02/2020

Actualités régionales