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Qu’entend-on par équitation de tradition française

  • Dans cet ouvrage, riche de 115 illustrations de Marine Oussedick, Guillaume Henry - auteur de cet article – raconte par le menu, l’histoire de cette équitation française
    Dans cet ouvrage, riche de 115 illustrations de Marine Oussedick, Guillaume Henry - auteur de cet article – raconte par le menu, l’histoire de cette équitation française
Qu’entend-on par équitation de tradition française
 Le 27 novembre 2011, l’Unesco inscrivait l’équitation française sur sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Un succès incontestable dont beaucoup peuvent se réjouir. Mais de quoi parle-t-on ?


 

Il n’est pas aisé de cerner ce que l’on entend par « équitation française » car les spécificités de cette dernière sont autant historico-techniques que culturelles. Comme l’ont montré les Première rencontres de l’équitation française qui ont eu lieu à Saumur au mois d’octobre de cette année, il est difficile, pour nous, de voir ce qui est de l’ordre de notre propre culture.


« L’équitation de tradition française, écrit l’Unesco, est un art de monter à cheval ayant comme caractéristique de mettre en relief une harmonie des relations entre l’homme et le cheval. Les principes et processus fondamentaux de l’éducation du cheval sont l’absence d’effets de force et de contraintes ainsi que des demandes harmonieuses de l’homme respectant le corps et l’humeur du cheval.


La connaissance de l’animal (physiologie, psychologie et anatomie) et de la nature humaine (émotions et corps) est complétée par un état d’esprit alliant compétence et respect du cheval. La fluidité des mouvements et la flexibilité des articulations assurent que le cheval participe volontairement aux exercices.


Bien que l’équitation française soit partagée dans toute la France et ailleurs, la communauté la plus connue est le Cadre noir de Saumur.


Le dénominateur commun des cavaliers réside dans le souhait d’établir une relation étroite avec le cheval, dans le respect mutuel et visant à obtenir la “légèreté” […]. »


L’équitation française se caractérise donc par l’absence de forces et de contrainte, le respect, l’harmonie du couple, sa parfaite entente, la compréhension mutuelle, intime, une relation efficace et discrète.


Sa pierre angulaire et son idéal sont la « légèreté », un terme à la fois philosophique et technique né de deux ensembles, codépendants :


- le premier est « historico-technique ». Élaboré au fil de l’histoire française de l’équitation, il s’illustre par une doctrine, des principes, des moyens que l’on pratique aujourd’hui, parfois sans même le savoir.


- le second est un « état d’esprit » particulier, proprement français, qui non seulement permit la construction du premier point, mais lui donne aussi un visage propre, distinct des équitations germanique ou espagnole.


Le contexte historique


Il remonte essentiellement à la Renaissance. C’est à partir de cette période que les écuyers se mettent en quête de méthodes d’éducation du cheval permettant de dépasser un dressage sommaire (schématiquement : accélérer, ralentir, tourner) pour développer une mobilité du cheval en tous sens (véritable atout sur le champ de bataille) en intégrant une dimension verticale, aujourd’hui traduite par « l’équilibre » du cheval, qui visera la possibilité de déplacer le cheval en tous sens à la moindre demande de son cavalier.


Cinq grands courants se succèdent, se complètent ou s’opposent :


- L’équitation dite académique tout d’abord. Née en Italie à la fin du XVIe siècle, elle est importée en France par deux écuyers français, Salomon de La Broue et Antoine de Pluvinel, et s’y développe jusqu’à connaître son apogée avec un écuyer emblématique, François Robichon de La Guérinière, écuyer du roi au manège des Tuileries à Paris dans la première moitié du XVIIIe siècle, et dont le traité, École de cavalerie (1733), est considéré, encore de nos jours, comme la Bible de l’équitation. L’équitation académique cédera lentement sa place au XIXe siècle, du fait du changement de la société. P.-A. Aubert illustre, néanmoins, le niveau atteint.


- L’équitation militaire moderne. Elle apparaît avec le colonel d’Auvergne durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Elle s’oppose au courant précédent et simplifie considérablement l’équitation savante pour la rendre plus simple et plus efficace.


- L’école du comte d’Aure, écuyer en chef du manège de Saumur de 1847 à 1855, considérée comme la seconde équitation militaire; il pousse son cheval sur la main du cavalier pour obtenir plus de maniabilité à l’extérieur, ce qui est à l’origine de l’équitation sportive contemporaine.


- L’école de Baucher, appelée le bauchérisme, avec une « première » et une « deuxième » manières, durant la seconde moitié du XIXe siècle, fondé par François Baucher sur de nouveaux principes et procédés de dressage visant à annihiler les forces instinctives pour les remplacer par les forces transmises, tout en conservant les mêmes objectifs de flexibilité du cheval de l’école classique.


- Le sport équestre, à partir de la fin du XIXe siècle, surtout au XXe siècle, qui va lentement imposer ses règlements et sa pratique.


Le contexte technique


À partir de la Renaissance, les écuyers français vont chercher, puis trouver, puis formuler les méthodes et les principes nécessaires à la légèreté.


Comme indiqué dans le dossier de l’Unesco, c’est le général L’Hotte, écuyer surdoué du XIXe siècle, disciple et ami du comte d’Aure et de François Baucher, qui fixera les principes de l’équitation française, dans son ouvrage Questions équestres (paru à la fin du XIXe siècle).


La légèreté, écrit-il est la « parfaite obéissance du cheval aux plus légères indications de la main et des talons de son cavalier ».


Elle se résume par « la mise en jeu par le cavalier et l’emploi que fait le cheval des seules forces utiles au mouvement envisagé, toute autre manifestation des forces produisant une résistance, et donc une altération de la légèreté. »


Ses deux corollaires techniques sont le rassembler et la mise en main. La mise en main est la décontraction de la bouche dans la position du ramener, notion typiquement française.


Pour y parvenir, le général L’Hotte définit deux principes de travail :


- le cheval doit être calme, en avant, droit,


- il faut marier l’impulsion à la flexibilité des ressorts.


Ce sont ces principes qui mènent à la disponibilité du cheval, quelle que soit la discipline (dressage, saut d’obstacles, cross, etc.).


L’esprit à la française


Ce qui caractérise aussi la manière française, c’est l’esprit, la façon de faire, on parle de « manière », et plus particulièrement de ce que monsieur de La Broue (écuyer français de la fin du XVIe siècle) appelait « la difficile facilité ». Il s’agit de cette impression de fluidité, de facilité, qui fait penser au spectateur que tout ce qu’il voit est naturel et qu’il pourrait en faire autant, alors qu’elle est le fruit d’un travail considérable.


L’esprit français donne une place prépondérante au feeling, au sentiment, à la sensibilité de l’écuyer. Alors que d’autres cultures privilégient la précision par exemple (équitation germanique), l’écuyer français cherche le naturel. « Nous sommes des Latins, épris de liberté, peu à l’aise dans une discipline étroite, écrivait le lieutenant-colonel Margot. Issus, comme nous, de notre sol, nos chevaux sont des chevaux de Latins, brillants, personnels, possédant parfois des articulations fragiles. Eux non plus ne se plient pas de bonne grâce à la contrainte. Le travail enfermé les rebute et, s’il ne brise leur moral, casse à jamais leur ressort (La doctrine équestre française, 1978). »


L’équitation française porte sa propre vérité, dans un idéal d’expression latine qui la distingue des autres, où l’esprit tire plus à la spontanéité, à la légèreté, à la liberté, à l’élégance, à l’absence d’effort, avec tous les risques d’échec que cela comporte.


Elle s’incarne à merveille dans ce souvenir du général L’Hotte, lors de son premier séjour à Saumur : « Je vois toujours le si respectable commandant Rousselet, sous ses beaux cheveux argentés et avec son visage souriant, en longue redingote noire, culotte blanche et bottes molles, montant Arc en-ciel, son dernier cheval d’écuyer, sur lequel il apparaissait pour la dernière fois. La liberté du cheval, qui semblait se jouer sous son cavalier, était telle que je l’avais connue jadis, liberté si grande que, dans le travail au galop, plus d’une fois j’eus la sensation que le cheval allait échapper à son cavalier et faire un changement de pied inopportun. Mais l’habile écuyer, le ressaisissant toujours à temps, le maintenait sur le bon pied, sinon dans une position tout à fait correcte (Un officier de cavalerie). »


Voici donc une autre définition (ou tout au moins tentative) de l’« équitation de tradition française » : une pratique spécifique s’appuyant sur une histoire, des principes précis, vivants, en constant renouvellement et en perpétuelle évolution, visant au naturel.


Quelques enjeux de l’inscription de l’équitation de tradition française à l’Unesco


Le 27 novembre 2011, l’Unesco inscrivait l’équitation française sur sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.


Il est tout d’abord important de rappeler ce que l’on entend par « patrimoine culturel immatériel1 ».


Cette notion a été formalisée par une convention internationale en 2003, que la France a ratifiée en 2006. Elle recouvre des domaines bien particuliers, s’accompagne de mesures spécifiques, et se définit comme un ensemble de pratiques vivantes qui doivent être perpétuées.


Dans l’article 2 de cette convention, on lit que « le patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine ».


Il s’agit donc d’un patrimoine vivant, identifié, en constant renouvellement et en perpétuelle évolution.


L’inscription peut s’effectuer sur une liste de sauvegarde urgente qui concerne les pratiques en voie d’extinction (pour lesquelles des mesures, parfois immédiates, doivent être entreprises) ou une liste dite représentative qui concerne des pratiques dynamiques.


Le premier projet présenté par le Cadre noir (qui est à l’initiative du dossier et porteur du projet) était d’abord de voir s’inscrire le Cadre noir lui-même, ses traditions et sa pratique. Mais, deux questions se sont posées :


1) Où inscrire le Cadre noir : liste de sauvegarde, ou liste représentative ?


2) Et qu’inscrire exactement ? Car le problème du contenu engendrait automatiquement celui des contours de l’objet :


- L’idée initialement présentée était de sauvegarder une pratique équestre dite «menacée» par le monde de la compétition, et par des évolutions parfois peu heureuses de la relation de l’homme au cheval (maltraitances ou, au contraire, excès d’attentions tendant à le réduire à un animal domestique). La liste d’urgence ne se justifiant pas, et le ministère considérant qu’il fallait surtout travailler sur une sauvegarde des principes, sur le long terme, choix fut donc fait de l’inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel.


- Ensuite, puisque le dossier portait sur des pratiques, devait-on mettre en avant l’institution qui les portait, ou mettre l’accent plutôt sur les pratiques elles-mêmes ? En retournant à la définition de l’article 2 de la convention, il apparaissait clairement qu’il fallait mettre en avant la pratique équestre portée par le Cadre noir plus que l’institution. En gros, l’abstraire de son support, de ce qui lui servait d’assise, en faire un élément à étudier en tant que tel, sans qu’il soit nécessairement lié à l’institution, pour le donner à voir et le diffuser le plus largement possible.


C’est en prenant ces considérations en compte que les rédacteurs du dossier redéfiniront et ajusteront les contours de leur projet, et aboutiront au dépôt de l’« équitation de tradition française », inscrite aujourd’hui, et dont le Cadre noir est la « communauté la plus connue ».


Si l’équitation française se démarque, par son style, de certaines pratiques rencontrées en compétition, je ne suis pas certain que la compétition la menace. Tout montre qu’elle n’uniformise pas les pratiques (en témoigne le grand nombre d’écuyers classiques français qui ne pratiquent pas la compétition).


De plus, ce n’est pas parce que la compétition est omniprésente sur les écrans et dans la presse, qu’elle écrase les autres pratiques (le tennis, omniprésent sur les écrans n’a pas étouffé le jeu de paume).


Si l’on balaie un siècle de compétition, on s’aperçoit sans peine que l’évolution est positive et que le niveau a énormément augmenté depuis les années 50. La compétition nécessite un professionnalisme indiscutable pour aller plus loin dans la technique de préparation, d’entraînement et de sélection des chevaux. Ce dernier tire vers le haut les compétiteurs. On rencontre ainsi l’équitation française sur les terrains, même si, évidemment, la compétition dans son ensemble ne reflète pas, et de loin, l’équitation française.


Globalement, la reconnaissance de l’équitation française met en lumière (ou remet en lumière) la vielle opposition entre bonne et mauvaise équitation. Il ne s’agit pas de s’opposer à la compétition où, comme partout, surtout lorsqu’il y a du monde, on voit le pire, mais aussi le meilleur.


Héritage, transmission, savoir…


- L’enjeu est ailleurs. Et à mon sens, il doit :


- réveiller le questionnement nécessaire à toute évolution. Il ne s’agit pas de cantonner l’équitation française à des pratiques héritées du passé. Mettre une pensée, une pratique, un savoir faire dans un musée, c’est immanquablement les tuer. Il faut questionner et requestionner encore notre héritage pour progresser, car la question, le fait même de questionner, ouvre le lieu où l’on ne sait pas d’avance et d’où, seul, on peut progresser.


- réveiller le travail, la formation, le goût de l’effort et de l’apprentissage, des cavaliers comme de leurs enseignants.


Dans « équitation », on entend « qu’est-ce que l’équitation », dans « tradition », on entend «transmission», dans « française », on entend une histoire, un esprit spécifique qui nous appartiennent, qui nous caractérisent et qui font notre richesse.


L’enjeu se trouve dans l’héritage, la préservation, la transmission et l’évolution des savoirs. La majorité du 1,5 million de cavaliers réguliers que compte la France (dont les licenciés de la Fédération française d’équitation) pratique déjà une équitation marquée par la tradition française, même si elle n’en a pas conscience. Dans les clubs, le cavalier pousse son cheval sur la main et fait du d’Aure sans le savoir, il prépare au pas (Baucher), travaille au trot (La Guérinière), calme son cheval ou son poney avant toute chose (La Broue, L’Hotte), assouplit (Pluvinel, La Guérinière, L’Hotte) et appliquent de nombreux préceptes bauchéristes sans s’en rendre compte (les résistances de forces sont détruites par les vibrations, les résistances de poids par des demi-arrêts, ne pas demander aux allures vives ce qu’on n’obtient pas aux allures lentes, la position précède l’action, mains sans jambes et jambes sans mains, etc.).


L’équitation française fait partie du quotidien, et un premier grand pas serait simplement d’en prendre conscience, de la redécouvrir, d’identifier ses pratiques, d’en retrouver les origines, de comparer, de voir ce qui a été abandonné ou conserver à tort ou à raison.


Il faut soigner les détails, affiner cette recherche de légèreté tant chez les chevaux que chez les élèves, en puisant dans la tradition, mais aussi dans tout ce que la modernité apportent (compréhension du comportement du cheval, de sa biomécanique, du comportement du cavalier à cheval, etc.)


En termes de marketing, on dirait qu’il faut se réapproprier son histoire pour donner plus de qualité à ses produits.


À partir de cela, on peut innover ce qui suppose de se former, encore et toujours, dans une quête sans fin2 - puis ouvrir de nouveaux marchés : dans ce domaine, les idées ne manquent pas. Mais c’est à chacun de prendre les choses en main, dans les clubs ou ailleurs.


1 Extraits de, Grenet, Sylvie, L’Inscription de l’équitation de tradition française à l’Unesco, In Situ, n° 18, 2012.


2 Outre des connaissances sur l’animal lui-même (fonctionnement, psychologie, anatomie…), sur l’homme (maîtrise des émotions et du corps), il faut connaître les règles constituées en doctrine indispensables pour que le « dialogue » forme une sorte de grammaire cohérente, logique et commune. Bien sûr, la souplesse du corps et la maîtrise des mouvements éprouvés par une gymnastique spécifique se complètent par un état d’esprit dit « d’homme de cheval » alliant compétence et respect de l’autre.

18/12/2014

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