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La croisade d’Amélie Quéguiner

  • Amélie Quéguiner, le courage de la lanceuse d'alerte
    Amélie Quéguiner, le courage de la lanceuse d'alerte
Etienne Robert a rencontré à Bordeaux Amélie Quéguiner, à la tête d'une écuriue de propriétaires et centre de mise en place, à l’origine de la lettre ouverte au président de la FFE, Serge Lecomte, au sujet des violences sexuelles exercées dans le milieu du cheval. Elle redit le sens de sa démarche : « mon but c’est éventuellement de réveiller les autres victimes et surtout montrer qu’il faut le faire, montrer que ça existe, et laisser une trace pour que ça serve pour la suite. » Elle demande également aux cavaliers de s’exprimer (même si Olivier Guillon l’a fait) : «  il faut aussi que les champions, et nos champions olympiques qui ont une aura énorme auprès de nos jeunes, parlent et conseillent aux jeunes de parler ».

Martin Luther King : « Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons le silence sur les choses graves. »

Etienne Robert : Amélie, pourquoi cette réaction de vous maintenant à propos de ces violences sexuelles dans l’équitation ?

C’est pour faire écho à tout ce qui se passe en ce moment dans le milieu sportif, toutes les révélations qu’on a actuellement, et aussi pour répondre au silence de notre Fédération. Voilà, j’ai trouvé que c’était la période où les micros étaient ouverts, où les oreilles étaient ouvertes et la période où les Fédérations doivent prendre position sur ce sujet. Elles doivent en prendre conscience, déjà que c’est un sujet grave, que ce n’est pas juste anecdotique ou marginal dans leur sport, donc c’était un peu les pousser à sortir de leur silence.

ER : C’est une désagréable mésaventure qui vous est arrivée à quel âge ?

A partir de 13 ans et demi on va dire, fin d’année de 13 ans.

ER : Et à ce moment-là vous n’avez rien dit ?

Non, absolument rien dit.

ER : Et vous avez porté ça jusqu’à maintenant ?

Oui, 30 ans avant de parler.

ER : La réaction de la Fédération vous convient ?

Oui, pour l’instant c’est une réaction rapide ce qui est bien, avec des propos assez clairs, avec des mesures qui je pense sont déjà assez correctes. Même si sa cellule d’écoute de paroles c’est une bonne mesure, je pense cependant que dans le sport il faudrait une structure indépendante qui gère ça de manière à ce que ce ne soit pas géré en interne : c’est toujours un peu dangereux, il peut y avoir des petits conflits d’intérêts liés à des connaissances. Il vaut mieux que ça soit, à mon avis, quelque chose d’indépendant, mais bon c’est déjà un premier pas.

Par contre lorsque le Président dit que dans sa Fédération il faut rassurer les gens parce que la plupart du temps c’est des petites structures familiales, etc., et qu’il ne faut pas croire que ce genre de choses se passent dans l’anti-chambre des athlètes de haut niveau ou de la compétition, je ne suis pas d’accord. Ça se passe aussi et j’allais dire surtout dans les petites structures familiales justement où il y a un moniteur qui est porté aux nues en général, qui se fait passer pour l’ami de toutes les familles, qui rentre dans toutes les maisons, c’est à ces gens-là que les parents confient leurs enfants les yeux fermés et c’est souvent là qu’il y a un réservoir de prédateurs. Je ne sais pas si c’est parce qu’il ne le réalise pas ou parce qu’il ne veut pas communiquer l’aspect dangereux, il ne veut pas lancer l’alerte sur notre discipline mais il faut lancer l’alerte. Après, j’aimerais que les professionnels aussi, les moniteurs, les encadrants, etc., prennent aussi la parole parce que c’est défendre leur métier, il ne faut pas qu’une partie de leurs représentants entachent leur profession.

Moi je suis enseignante aussi, il ne faut pas que tous les enseignants sportifs soient considérés comme des pédophiles ou comme des agresseurs en puissance
. je pense qu’il faut pousser les gens à parler quel que soit leur niveau : que ce soient les parents, les enfants, les formateurs et encore mieux les instances à parler pour pouvoir nettoyer le plus possible tout ça.

ER : Dans votre cas, vous n’avez pas trouvé d’oreilles pour entendre ce qui vous était arrivé ?

A l’époque pas du tout, et il ne m’était jamais venu à l’idée de le faire de tout façon. Non impossible. Alors maintenant j’espère qu’avec les outils de communication qu’on a les choses se savent, je pense - enfin j’espère - que les jeunes sont un petit peu plus enclins à aller porter plainte et en général à signaler, au moins déjà commencer à en parler à une amie, un parent, etc., avant de porter plainte même, mais non à l’époque pas du tout. De toute façon il y a la honte et la culpabilité qui vous empêche de faire tout ça, et l’emprise, enfin c’est complexe. Si justement par ma parole je peux réveiller les jeunes... Il faut savoir qu’actuellement il n’y a que des gens qui ont subi qui parlent 10, 20, 30 ans après les faits. Mais actuellement il y a des petits jeunes qui subissent ça, qui se terrent, qui n’ont pas envie de parler et j’espère qu’à un moment donné ils vont entendre mes paroles ou les paroles de champions, ou dans d’autres disciplines ils vont se dire « punaise, moi je suis entrain de vivre ça, il faudrait peut-être que j’ose en parler ». Maintenant et après, le rôle des Fédération c’est de dire « Ok mes petits gars, si vous avez envie de parler un jour on a quelqu’un pour vous écouter ».

ER : Vous allez dévoiler un jour les noms de vos prédateurs ?

Je ne sais pas, pour tout vous dire je ne sais pas, il y a quand même l’histoire de diffamation, maintenant je vais le dire en off comme je vous le disais à la Fédération, le Ministère déjà le sait parce qu’ils viennent de créer une cellule, c’est tout récent, avec une adresse mail où on peut aller signaler des personnes et donc eux sont et peuvent agir. Pour eux il faut que je signale les noms, ça c’est clair, mais le déclarer publiquement c’est encore autre chose.

ER : Vous avez déposé une plainte récemment ? Vous allez porter les faits devant la justice ?

Oui tout à fait, sachant que ce sont des faits prescrits, que mon dépôt de plainte n’a pas but de demander justice car je sais que je ne l’obtiendrai jamais ça c’est clair. Mais mon but c’est éventuellement de réveiller les autres victimes et surtout montrer qu’il faut le faire, montrer que ça existe, et laisser une trace pour que ça serve pour la suite. Dans mon cas personnel, je sais très bien que ça n’aboutira à rien ça c’est clair.

ER : Vous êtes entourée de juristes ? D’avocats ?

Pas du tout parce que je ne vais pas, normalement, avoir à me défendre, sauf si il y a diffamation un de ces jours mais pour l’instant ce n’est pas à moi à me défendre, il n’y a pas grand’chose à faire de ce côté-là.

Vous allez rencontrer Olivier (Robert, ndlr) tout à l’heure ?

Oui.

ER : C’est un ami à vous ?

Oui, c’est un ami de longue date, il est de la région comme moi, on habite à 50 km, il est arrivé qu’il ait monté mes chevaux, c’est un ami, je les ai accompagnés quelquefois en concours, c’est quelqu’un qui a été au courant avant beaucoup de monde, il fait partie du cercle proche qui a été au courant rapidement, il m’a toujours soutenue, toujours défendue, et pris très clairement position en concours face à ces personnes, c’est quelqu’un que j’apprécie pour ça.

ER : Vous attendez quoi des cavalières et cavaliers ?

D’abord j’attends d’Olivier Robert qu’il soit le relais face aux cavaliers, j’attends des cavaliers qu’ils co-signent cette lettre. C’est symbolique parce que la lettre est déjà parue, elle a fait son effet c’est très bien, mais il faut aussi que les champions, et nos champions olympiques qui ont une aura énorme auprès de nos jeunes, parlent et conseillent aux jeunes de parler et de faire en sorte de diffuser le message, ça va avoir un impact encore plus important. Quand on voit avec Sarah Abitbol, quand ce sont des stars du sport qui prennent la parole ça a tout de suite un impact énorme et c’est ce qu’il faut rechercher. Moi mon cas personnel il ne sert qu’à ça, à donner le petit coup de pouce pour franchir la première marche et après le reste j’espère que ça va s’enclencher et que Amélie Quéguiner on va l’oublier très, très vite et qu’on va parler encore de la pédo-criminalité dans l’équitation.

ER : Jusqu’à maintenant, ça a provoqué quoi comme réactions le fait que vous dénonciez ça ?

C’est une deuxième onde de choc parce qu’il y avait déjà presque 3 ans que je l’avais révélé sur les réseaux sociaux, là il y avait déjà eu une première onde de choc avec des gens très surpris, avec beaucoup de témoignages bienveillants, et un déferlement de  témoignages d’autres victimes. Ça, ça a été pour moi un premier choc aussi parce que je n’imaginais pas que c’était aussi répandu en fin de compte. Maintenant j’ai les chiffres en main, en tête, et c’est vrai qu’on imagine pas : il faut traiter ça comme une épidémie, c’est vraiment partout. Et la deuxième fois, là récemment, il y eut également beaucoup de témoignages. Pour ces témoignages il y a déjà des procédures en cours.  Ce sont moins des gens comme moi qui sont dans une démarche de révélation antérieure, c’est un premier bon signe que je perçois quand même et ça veut dire vraiment que la totalité, l’information et les paroles libèrent d’autres paroles et incitent les gens à porter les choses devant la justice, donc il ne faut pas s’arrêter là.

ER : Plutôt des témoignages de sympathies, d’assistance, de compassion, pas d’hostilité ?

Oui, il y en a 2-3 bien sûr, je ne sais même pas si c’est de la provocation, qui disent que j’ai fait ça pour faire le buz, ce matin encore j’ai été chez mon boucher et j’ai été reconnue, même mon boucher m’a dit qu’il m’avait vu à la télé, c’est quelque chose que je n’avais évidemment pas envisagée. Il faut bien vous dire qu’on ne fait pas de la publicité, on ne dévoile pas notre intimité douloureuse pour faire le buz. J’habite une petite ville, finalement je vais avoir cette étiquette pendant un petit moment. Bon ce n’est pas grave, et puis comme je vous dis dans quelques semaines tout le monde aura oublié donc ce n’est pas très grave, mais on ne fait pas ça par plaisir, ce n’est pas vrai.

ER : Vous avez des enfants ?

Non, je n’ai jamais voulu en avoir, très jeune je me suis dit que la vie d’un enfant pouvait être tellement dure que ce n’est pas moi qui allais en mettre un au monde.

ER : C’est ce que vous avez subi à 13 ans qui vous amenée à ne pas vouloir d’enfant ?

Ah oui, complètement, je me suis dit que jamais je ne ferais ça à un enfant. Parce que en dehors des violences sexuelles c’était les violences physiques, des violences morales, de la torture psychologique, des humiliations permanentes en public, et ça c’est 10 ans d’une vie extrêmement dure où il faut serrer les dents, avoir un sourire de façade, faire en sorte que personne ne voie.

ER : Vous avez du courage parce que c’est un milieu dur.

L’élevage comme le sport. Oui bien sûr, c’est un milieu passionnant aussi, c’est pour ça qu’ils nous tiennent dans ce milieu-là, c’est qu’en plus du sport, de la pratique sportive, on est attaché à l’animal, et quand on se dit on va quitter ça et bien si on quitte ça on va quitter le cheval. C’est dur mais c’est un métier passionnant et là je ne suis pas la seule à vivre les bons et les mauvais côtés de ça.

ER : Et donc vous faites de l’élevage ? Vous avez des poulinières ?

Oui, j’ai réduit, j’au eu jusqu’à 6 poulinières, maintenant je n’en ai plus que deux et de temps en temps je mets une 2 ans à la reproduction quand les 2 ans sont bonnes, donc ça c’est une partie qui me satisfait pleinement, j’ai toujours voulu le faire et j’ai toujours été passionnée même jeune, ça a commencé par des juments de concours que je montais qui ont été mises à la retraite et donc à la reproduction. J’ai plusieurs champions de France déjà c’est pas mal, dans des disciplines d’élevage, de 3 ans, ensuite je pratique beaucoup le hunter, je forme tous les jeunes chevaux sur cette discipline et donc là aussi j’ai plusieurs titres de champions de France donc c’est toujours gratifiant.

ER : Vous avez une écurie de propriétaires ?

Oui c’est ça, une écurie de propriétaires avec des élèves qui concourent en niveau 6 ou amateur, que j’emmène aussi sur ces disciplines de CSO et de hunter.

ER : Et centre de mise en place ?

Oui parallèlement à l’élevage j’ai ouvert un centre de mise en place pour les éleveurs voisins et des environs.

ER : Il y a beaucoup d’activité d’élevage autour ? Parce que vous êtes en Dordogne ?

Oui c’est vraiment limitrophe Charentes et Gironde donc on est vraiment au croisement de 3 départements, 4 même parce qu’il y a aussi Charentes-Maritimes. Donc oui ça bouge un petit peu.

ER : Combien de juments en place chez vous ?

C’est un petit centre mais il y a entre 30 et 40 juments qui passent par an, donc c’est déjà pas mal quand même. Ça va de l’amateur qui a sa jument, on offre un service de proximité jusqu’aux éleveurs qui ont 4, 5, 6 poulinières et qui viennent parce que ça fait moins loin.

ER : Vous êtes inséminatrice en même temps ?

Moi non, mais je suis assistée, je collabore avec un vétérinaire qui est installé à 3 mn de chez moi et moi je fais tout ce qui est service de pension, etc.

(ITW réalisée à Bordeaux par Etienne Robert)

10/02/2020

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