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De Narcos II à Old Chape Tame

La propriété de Tamerville se déploie au bord des marais de Carentan, terre riche et grasse où s’épanouissent jeunes chevaux et poulinières dans les grandes stabules. Le corps de ferme, très ancien, a été aménagé pour accueillir salle de monte et suivi gynécologique, à l’ombre des arcades du 16e siècle.

La propriété de Tamerville se déploie au bord des marais de Carentan, terre riche et grasse où s’épanouissent jeunes chevaux et poulinières dans les grandes stabules. Le corps de ferme, très ancien, a été aménagé pour accueillir salle de monte et suivi gynécologique, à l’ombre des arcades du 16e siècle.
Plus de quatre générations d‘éleveurs se succédèrent, originaires d’Audouville La Hubert, dans la Manche, où vit toujours le frère, Georges Brohier, naisseur d’Arpège Pierreville. Denis a pris la succession de son père, Jean Brohier, qui vit dans la belle demeure au milieu des photos de Nacos II qu’il fit naître, et d’Eric Navet qui le monta tant d’années. Denis fit naître Old Chap Tame. Lignées exceptionnelles d’éleveurs exceptionnels autant qu’attachants.

Quatre générations remontent à l’arrière grand-père Alcindor Brohier, déjà fils d’éleveur, qui consacra toute sa vie à l’élevage du demi-sang galopeur et du trotteur. Vif Argent II fut sans doute le cheval qui lui fit le plus d’honneur. Dès avant 1900 il suscita la fondation de nombreuses sociétés de courses, en particulier celle de Carentan, dont il fut commissaire. Déjà un personnage bien ancré dans sa terre et un éleveur de chevaux à l’intuition aiguë.

Denis l’éleveur
Denis Brohier marche devant, avec ses allures de grand jeune homme au pas élastique, lui qui fut cavalier entre Dinard, La Baule et Béthune. Petit à petit il a enrichi le haras de Tamerville, qui aujourd’hui se compose d’une carrière 70x30 m, 40 boxes dont 16 boxes de poulinières, un manège, un marcheur et des paddocks, et enfin 130 hectares d’herbages et de pâturages de ce que Dame Nature fait de meilleur… Denis déploie de multiples activités : une écurie de concours de jeunes chevaux gérée par lui-même, Simon, Jean-François, Stéphane et Elodie Dufour. Stéphane et Elodie y louent une vingtaine de boxes. Un centre de production de semence équine est géré par David et Cyril, en collaboration avec la société de congélation Eurogen de Benoît Lepage, plus un centre d’insémination. Le haras propose aussi, aux propriétaires qui le souhaitent, les pensions d’élevage l’été, l’hiver ou à l’année. Cinq salariés se répartissent les tâches pour s’occuper des chevaux. Enfin, tradition familiale oblige, un élevage de bovins et de 45 vaches allaitantes se perpétue, et assure des rentrées de liquidités appréciables. L’élevage est pratiqué ici sur un mode extensif avec une quinzaine de poulinières. « Pas plus de 15 naissances par an, précise Denis, car au-delà, on ne maîtrise plus rien ».

Tame comme Tamerville
Denis ne peut qu’évoquer son père, avec beaucoup de fierté dans la voix : « Mon père, Jean Brohier, était cavalier de jeunes chevaux et cavalier international. Les gens me disaient qu’il avait quelque chose en plus que les autres. C’est aussi un éleveur passionné. Il est parti avec deux voies de sang, celles de Furioso ps et Foudroyant ps, d’où naîtra Gemini, mère de Narcos et 3e mère de Nino des Buissonnets. Comment Denis en est-il venu à reprendre l’activité d’éleveur de chevaux de son père ? « J’étais passionné de jeunes chevaux, j’ai eu envie de continuer. Débourrer, former, j’adore cela. Je pense que lorsqu’on est éleveur on se doit de s’occuper de ses jeunes chevaux. Puis je confie les très bons chevaux de sept ans à Reynald Angot. C’est un excellent cavalier ». L’affixe Tame, c’est lui qui l’a créé. « Mon père n’éprouvait pas le besoin d’un affixe ». Son épouse est « née » dedans également : elle est issue d’une lignée de grands éleveurs de trotteurs. Elle intervient en souriant : 
« Avant on m’appelait madame Narcos. Maintenant on m’appelle Madame Tame ».   

Old Chap Tame : SF-Holstein
C’est ainsi que Denis perpétue la lignée de ces éleveurs d’exception. Old Chap Tame en est un excellent exemple, Le choix de Denis Brohier se porte sur un croisement SF-Holstein : Carthago, qui marie le sang du Holstein Capitol I et Cor de la Bryère par la mère, sur une mère Sf Jecoute, fille de Quidam de Revel, et Fine Bouche (Lieu de Rampan), soit les sangs d’Almé, de Nankin, Quastor, Kayack, les plus vieilles souches normandes. Il dira d’Old Chap : « La combinaison du Holsteiner et du Selle Français fait de Old Chap un cheval de sport d’exception par son style et sa force à l’obstacle. D’un modèle compact, il a beaucoup de réflexe, un passage de dos comme son grand-père maternel accompagné d’une propulsion hors du commun. » Vice-champion de France Pro Elite, il sera membre de l’écurie France, pré-selectionné pour les JO de Londres 2012 avec Eugénie Angot. Et puis en 2011 et 2012 il remportera ou sera des podiums de tous les CSIO5*, des CSI3 à 5* comme Aix la Chapelle ou Barcelone, Hickstead, Rotterdam. Vejer, Lisbonne, Stuttgart, Lyon, Fontainebleau, etc. Yohann Le Vot, puis Stéphane Dufour, enfin Eugénie Angot seront ses cavaliers successifs jusqu’en novembre 2013 à Lyon. Vendu à Yan Tops c’est Edwina Tops-Alexander qui le monte désormais.
Le partenariat qui s’est noué entre Denis et Patrick Bizot dont la propriété normande jouxte celle du haras de Tamerville porte en lui les germes d’une belle réussite. Complémentaires dans leurs compétences et nourris à la même passion, les deux partenaires marchent ensemble vers l’excellence, partageant les risques lorsqu’il s’agit d’amener les bons chevaux à maturité. Rencontre déterminante dans un jeu gagnant-gagnant.

Le Père de Narcos II

Jean Brohier, est attaché à la vieille maison. La pièce où il nous accueille est chargée de souvenirs, des photos d’Eric Navet, des portraits de Narcos II entourent le grand âtre ancien. Mais Jean Brohier s’asseoit pour parler de Narcos II et prend ses notes, soucieux de ne rien oublier. Narcos II, il le revendique, vient d’une intuition et de beaucoup d’observation : deux pur-sang qui faisaient la monte au Pin l’attirent lorsqu’il est jeune éleveur : Foudroyant II et Furioso. Le reste a l’air d’aller de soi : » Je voulais acheter deux juments, une par Furioso, l’autre par Foudroyant II, et croiser les souches ». Il sourit presque timidement : « Et ça a marché ». Il se souvient de Ma Pomme, fille de Furioso, qu’il a achetée dans l’Orne : « C’était la propre sœur de Pomone, la jument qui avait remporté les Championnats du Monde de Buenos Aires avec  Pierre Jonquères d’Oriola. » Et la deuxième jument, c’est Il Pleut Bergère, fille de Foudroyant, souche de très bons chevaux de CSO. Il croisa les deux souches : une jument d’une souche, un étalon de l’autre. Il croisa Il Pleut Bergère avec l’étalon Tanael, porteur du sang d’Ibrahim, et naît la pouliche Gemini. Croisée à Fair Play III, Il Pleut Bergère donnera Lisbeth, mère de Totoche du Banney (Grand Veneur) auteur d’une remarquable production chez Michel Gabillot à Luxeuil (70). Il croise Ma Pomme avec Quastor, étalon fils d’Ibrahim et Jus de Pomme dans la souche basse; naît l’étalon Fair Play III : « Ce cheval était premier de sa catégorie. Les Haras voulaient l’acheter. Je n’ai pas voulu. Avec la jument Gemini, il a eu quatre produits seulement : il est mort de tétanos à l’âge de 7 ans. Larry II, frère de Narcos fut vendu en Italie, et connut les scènes internationales. Mazarin V fut vendu aux Etats-Unis à 6 ans. A l’époque les étrangers étaient nombreux à vouloir monter des chevaux français. Gemini a également produit Quat’Sous HN*, qui connut une longue carrière avec Yannick Martin. » Jean Brohier marque un temps d’arrêt : « Le drame de ma carrière, c’est Copelia, une des filles de Narcos II, née en 1968. Elle était bai foncé, près du sang. Elle avait beaucoup de classe. J’ai vendu sa sœur (cinquième mère de Nino des Buissonnets), parce que j’avais Copelia. Mais elle est morte dans un accident, fracture d’un postérieur impossible à soigner. Elle souffrait tellement qu’elle s’est précipitée vers le van qui l’emportait, comme si elle sentait qu’on allait la soulager. Elle n’a pas eu le temps de produire… » Il se tait. 
Pendant plusieurs années, Narcos II fut classé meilleur étalon français par les gains de tous ses produits. Il débute brillamment sa carrière internationale avec Eric Navet dans tous les grands rendez-vous Européens et ainsi qu’aux Etats-Unis. Force et d’amplitude étaient ses qualités qu’il retransmit à ses produits : son fils Twist du Valon est sacré meilleur cheval de l’année 1998 aux Etats-Unis. Nombreux sont ses produits qui concourent en épreuves internationales tels Trophée du Rozel avec Olivier Jouanneteau, Urbain du Monnai avec Roger-Yves Bost, Twist du Valon avec Hervé Godignon, Tisca avec Gilles Bertran de Balanda, Une des Cresles avec Patrick Martin, Ulanne du Plessis avec Annick Chenu, Anisette Brécéenne avec Bruno Rocuet, Altesse de Boêle avec Patrick Martin et Viking du Tillard, Champion de France avec Hervé Godignon en 1996. 
Jean regarde une photo de Narcos avec Eric Navet lors de la puissance à 2,30 m à la porte de Versailles : « Vous savez, dès que les gens entendaient son nom, ils accouraient sur le Grand Parquet. Il avait de si gros moyens et puis, il était surtout très aimé. » 

Carine Robert

20/03/2014

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