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A LA RECHERCHE DES CHEVAUX PERDUS

Adolf Hitler détestait les chevaux. Ce n’était peut-être pas son principal défaut - mais quand même : ce n’était pas bon signe. Plus exactement, il en avait une trouille bleue. Comme, d’ailleurs, son homologue soviétique, Joseph Staline1.

Est-ce pour exorciser cette peur qu’Hitler voulut orner le colossal bâtiment qu’il fit construire à Berlin pour abriter la Chancellerie du Reich de deux chevaux - monumentaux mais inoffensifs, car figés dans le bronze ? Toujours est-il que ce sont deux gigantesques sculptures de chevaux fringants qu’il apercevait de sa fenêtre lorsqu’il se rendait à son bureau.

Ces deux super chevaux étaient l’œuvre d’un sculpteur bien en cour, Josef Thorak, dont Hitler appréciait le travail : principalement de beaux et grands hommes nus, musculeux (on dirait aujourd’hui bodybuildés) et annonciateurs de ce que serait le Surhomme promis par le nazisme une fois que l’Allemagne se serait enfin débarrassée des Juifs.

On a longtemps cru que ces ornements chevalins avaient été détruits lors des bombardements de la Chancellerie, puis la prise de Berlin par les troupes soviétiques. Mais ce ne fut pas le cas : Hitler, grand protecteur des Arts, n’est-ce pas, avait eu la bonne idée d’ordonner leur mise à l’abri, à quelques kilomètres de Berlin.

C’est ce qu’a permis de révéler en 2015, c’est-à-dire soixante-dix ans exactement après les faits, l’enquête obstinée d’un expert spécialisé dans la traque des œuvres d’art volées ou falsifiées : un Hollandais appelé Arthur Brand.

Dans son ouvrage, ce dernier raconte par le menu les incroyables tribulations de ces grands chevaux immobiles.

Saisis par les Soviétiques lors de leur irrésistible progression vers Berlin, ils restèrent longtemps – et secrètement – entreposés dans l’enceinte d’une des bases militaires que l’URSS conserva en Allemagne de l’Est... jusqu’à son retrait, décidé par Gorbatchev en 1989.

Sentant l’effondrement du système imminent, de nombreux cadres de l’armée russe et des services secrets est-allemands (la fameuse Stasi), désireux de se constituer rapidement un petit magot en devises fortes, se mirent alors à trafiquer un peu (et parfois beaucoup) avec l’Ouest, s’acoquinant avec des marchands peu scrupuleux qui recherchaient pour de riches amateurs capitalistes des armes ou des œuvres d’art.

C’est ainsi que les deux chevaux furent clandestinement exfiltrés d’Allemagne de l’Est, avec l’évidente complicité de la Stasi (et, probablement, du KGB), pour se retrouver chez un collectionneur d’Allemagne de l’Ouest, sans doute grand admirateur du sculpteur Josef Thorak et peut-être nostalgique du nazisme. 

Pendant vingt-cinq ans, ces chevaux ne cessèrent ensuite de déménager, passant d’un propriétaire à un autre sans jamais, malgré leur encombrement, éveiller l’attention de quiconque : ni de la presse, pourtant friande de tout ce qui est relatif à l’époque nazie, ni des autorités chargées d’arrêter les trafiquants. Nul, d’ailleurs, n’était spécialement mobilisé sur le sujet, car il était évident pour tout le monde que les fameux chevaux n’existaient plus, ayant été anéantis, avec le reste de la Chancellerie, lors de la prise de Berlin.

Comment, depuis sa bonne ville d’Amsterdam, l’expert Arthur Brand s’y est-il pris non seulement pour découvrir que non -ces chevaux existaient bel et bien- mais aussi pour les retrouver, à peu près intacts, là où ils étaient cachés ?

C’est ce qu’il raconte, avec un indiscutable sens du suspens, dans son livre, dans lequel il ménage savamment ses effets, trimbalant le lecteur sur des fausses pistes, puis sur le bon chemin, lui faisant rencontrer au passage toutes sortes de personnages improbables, et pourtant bien réels, qui s’agitent aussi discrètement que possible dans des sociétés néonazies clandestines, et autres organisations sulfureuses.

L’affaire, qui aurait pu se raconter en quelques pages, est toutefois bien menée et le récit qu’en fait Arthur Brand prend parfois des allures de roman d’espionnage. Cet art de maquiller le simple récit d’une enquête en un thriller digne des plus grands maîtres du genre, c’est bien le moins qu’on pouvait attendre d’un des meilleurs spécialistes mondiaux de la traque et la dénonciation des faussaires. 

Jean-Louis Gouraud

« Les chevaux d’Hitler » de Arthur Brand (Armand Colin, 288 pages, 19,90 euros).

1 Lire à ce sujet « Le cheval, animal politique » (Favre, 2009).

20/05/2021

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