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Un livre très attendu…

Voilà plus de vingt ans que les amis - très nombreux - de celui que le monde équestre considère comme le pape du cheval, l'écrivain et éditeur Jean-Louis Gouraud, le pressaient de relater l'aventure qui l'avait conduit en 1990 à rallier Moscou à cheval, dans une Europe à peine touchée par la perestroïka. Photo 1 sur 1

Par modestie, parce qu'il est débordé de travail et de sollicitations de toutes sortes, notre pape n'avait jusque là jamais accédé à cette demande, estimant qu'il aurait été malséant de parler de soi alors qu'on peut tant parler des autres. C'est ainsi qu'année après année, Jean-Louis Gouraud, sans cesse par monts et par vaux, inaugure les manifestations dédiées au cheval partout dans le monde, et publie d'innombrables ouvrages équestres dans les nombreuses collections qu'il dirige chez différents éditeurs. La Capture, publiée aux éditions du Rocher sous la plume de Claire Veillères vient d'ailleurs d'obtenir le prix Pégase 2012, remis le 21 avril dans le prestigieux grand manège du Cadre noir de Saumur.
Mais il nous restait encore à lire le récit de son incroyable traversée transeuropéenne. C'est chose faite, enfin, avec le Pérégrin émerveillé, magnifique transcription de 75 jours de chevauchée, qui l'ont amené de son village du Loiret à la Place rouge, ralliée le 14 juillet 1990 après un périple de 3333 kilomètres.
Inutile de le préciser : un tel livre, malgré son poids respectable (517 pages), se lit avidement. D'autant qu'il n'est pas seulement un récit de voyage, mais aussi une véritable encyclopédie, où l'on retrouve outre l'immense culture équestre de Jean-Louis Gouraud, un portrait fouillé de ce géant détraqué qu'est la Russie, cette puissance pauvre qui parvient à terroriser le monde tout en partant à vau-l'eau.
Commençons tout d'abord par l'exploit incroyable, et jamais renouvelé depuis, accompli par le cavalier Gouraud. Il le raconte avec une telle simplicité, une telle sincérité qu'il parvient à donner le sentiment qu'une performance pareille est à la portée de n'importe quel cavalier du dimanche !
En réalité, c'est une véritable épreuve sportive, demandant une endurance, une patience, une capacité d'adaptation hors du commun qui a été accomplie, non seulement par le cavalier, mais aussi par ses deux montures, montées en alternance à la turkmène, l'une portant le cavalier et le bât (cent kilos au total), l'autre récupérant en marchant libre de toute charge, simplement tenu en main. Ce n'est pas la distance, mais le poids qui fatigue les chevaux, nous prouve ainsi Jean-Louis Gouraud, qui s'est inspiré de la pratique d'un jeune sous-lieutenant russe : Mikhaïl Asseev fit de la même façon en 1889 le chemin inverse, ralliant Moscou à Paris.
Comme Asseev avec ses deux simples juments, Gouraud opte pour des chevaux « banaux » : deux trotteurs de réforme, achetés chez un marchand. Une fois de plus, la race va prouver son extraordinaire polyvalence et son adaptabilité. Prince-de-la-Meuse le sérieux, pas très beau avec sa tête de Bucéphale, et Robin, beau mais gaffeur et fantasque, et qui lui en fera voir de toutes les couleurs, traverseront toute l'Europe sans souffrir de leur périple. Vingt litres d'avoine par jour quand même (mais les chevaux mangent aussi soir après soir ce qu'on veut bien leur donner dans des hébergements de fortune). Une ferrure au tungstène qui tiendra plus de mille km. Et tous les terrains, tous les gîtes, toutes les conditions possibles et imaginables, pour le cavalier comme pour ses acolytes, qu'il a malencontreusement promis d'offrir à Gorbatchev en arrivant, de même que le matériel (Forestier) utilisé pour cette aventure.
La selle se trouve aujourd'hui dans un musée à Moscou, mais les chevaux sont revenus chez leur propriétaire, après une rocambolesque évasion qu'on lit en frémissant, tant on s'est attaché au fil des pages à ce merveilleux Prince-de-la-Meuse et à l'incroyable Robin, un énergumène de première, comme tous les cavaliers en ont croisé au cours de leur vie.
Au-delà de l'histoire équestre, passionnante en tous points, le Pérégrin émerveillé présente un second intérêt, immense : amoureux de la Russie, Jean-Louis Gouraud nous fait partager sa connaissance de ce pays grand comme quarante fois la France, avec ses onze fuseaux horaires. Non seulement il nous parle des différentes races de chevaux dont devrait s'enorgueillir cette nation équestre qui, hélas, oublie aujourd'hui son incroyable patrimoine, mais il nous dresse le portrait de ceux qui les ont peints, aimés, créés aussi, comme le fameux Orlov.
Ainsi le Pérégrin émerveillé, telles les poupées russes, n'en finit pas de faire jaillir de ses pages de nouvelles trouvailles. Ainsi, ce texte inédit de Raspoutine (légèrement inquiétant quant à la santé mentale du personnage). Ou une éclairante comparaison de la Russie et de l'Afrique, où, nous explique Gouraud, une soumission identique à la Nature, le même fatalisme et la même foi dans une alliance entre les pouvoirs de la magie et ceux de la magouille, considérés comme plus efficaces que le travail, produisent les mêmes effets (je ne fais que reprendre ici les idées audacieuses exprimées avec talent par l'auteur).
Bref, ce gros bouquin publié dans la prestigieuse collection Arts équestres de Actes Sud est un bréviaire, autant pour les cavaliers que pour les géographes. Me considérant comme appartenant à ces deux mondes, j'ai passé en sa compagnie un moment de pur bonheur que je ne saurai trop vous recommander : ne vous privez surtout pas de parcourir à cheval l'Europe et la Russie aux côtés de Jean-Louis Gouraud !

Sylvie Brunel (Prix pégase 2009 pour Cavalcades et dérobades (éditions Jean-Claude Lattès). Dernier ouvrage paru Géographie amoureuse du monde (chez le même éditeur).
26/04/2012

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