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« Santiago ! » (Episode 2) par Maurice Tabac

Ne pas partir avec le poids de ses angoisses J’arrive enfin à garder l’essentiel, mais au fil des jours, cela s’avérera encore trop. Je me retrouve avec 16 Kg dans chaque sacoche de bât et 25 Kg de floconné.Le
grand jour approche, la fébrilité me gagne et l’angoisse me tenaille. Et si je tombais entre Saint-Lô et Tessy-Sur-Vire, au terme de la première étape ? Ma fierté en prendrait un sacré coup.
Le Départ !

Samedi 28 février, après la présentation à la presse, les photos et les embrassades dans la cour du haras de St-Lô, le périple peut commencer.

Afin de tester la cohésion de l’équipe sur une journée, je choisis une étape facile et connue qui m’amène à bon port chez mon fils à Gouvets !

La première galère n’arrive que le deuxième jour ! Après avoir passé le Mont-Robin, nous descendons vers Hambye par un petit chemin emprunté par des motos tout terrain. Il est délicat par sa forme étroite et profonde, creusé en V, avec une seule trace de pneu en son milieu. A pied, je m’enfonce dans la boue, tombe plusieurs fois, mais j’avance ! Au détour d’un virage, cela devient une mare fangeuse. Je décide donc de remonter en selle et de lâcher Lasco. Loug avance hardiment dans cette vase et Lasco en profite pour brouter de-çi de-là… et se fait distancer. Il décide de rattraper au petit galop. Seulement, Monsieur ne veut pas mouiller ses pieds. Alors il monte sur le talus, glisse, remonte, passe trop près des arbustes et déchire la sacoche droite de haut en bas ! Comme il ne réussit pas à nous rattraper, il descend dans la vase; et en coup de cul, fier de lui, il patauge allègrement en semant une partie de mon matériel (chaussettes, gamelle, boites, pharmacie…). Au petit galop, l’air coquin, il s’arrête devant nous et nous nargue : « Vous ne m’avez pas semé ! »

Une heure de récupération du matériel et de couture, sans parler de l’état plus que médiocre du personnage. Mais l’honneur est sauf ! C’est donc dans un état lamentable que j’arrive au Mesnil-Hue chez Monsieur Bérard, qui plus est, un jour de concours où tout le monde a sorti sa plus belle tenue.

Le lendemain, le temps est maussade et le vent du nord souffle fort, mais il est bien connu que

la pluie n’arrête pas le pèlerin.

Alors en route ! Direction le Mont-Saint-Michel ! Ce haut lieu du pèlerinage est pour moi le vrai départ. Seulement voilà, la marée est haute et le GR est impraticable. C’est donc par la petite route qui longe la côte que j’arrive à l’étape prévue, au club hippique de Moidrey. Les chevaux vont au box, moi aussi !

C’est le long du Couesnon que la balade continue en direction de Rennes. Les chevaux sont bien physiquement mais Lasco n’avance malheureusement pas assez vite. Les étapes se terminent à 2 km/h, mon bras s’allonge et mon caractère s’irrite.

Ce n’est pas le chemin qui est difficile c’est le difficile qui est chemin.

Depuis 2 jours, une tendinite du genou gauche me fait souffrir mais les médicaments arrivent à me calmer. Par malchance, le temps détestable me suit depuis le début. Les étapes se succèdent au rythme lent de Lasco avec une variante, il est attiré pas les vaches, il s’arrête, semble discuter avec elles, réfléchit quelques fois 10 minutes puis repart jusqu’à la prochaine rencontre ! Nouvel arrêt, sans que je puisse agir pour le faire avancer. Il en est de même avec tous les autres animaux, cousins herbivores ! Pour lui c’est normal. Il fait connaissance, il visite pendant que moi je peste, je fulmine. J’ai des envies de pile à bœufs et le menace de finir en saucisson, mais rien n’y fait ! Il me nargue et m’use physiquement et nerveusement.

Le dizième jour, alors que nous descendons un chemin bordé d’arbres, assez pentu, j’aperçois deux dames qui travaillent dans leur jardin. Arrivé à leur hauteur, je m’arrête pour les saluer et nous échangeons quelques mots. Soudain, la dame la plus âgée m’apostrophe :

- Où allez vous ?

- Vers le sud !

- Vous avez vu l’heure !

- Oui, il est 16 h !

- Il est l’heure de s’arrêter !

- Ah bon ?

- Attendez, je rentre mes chèvres, vous mettrez vos chevaux à leur place.

- Mais! Madame! Il n’est que 16 h et je pensais marcher encore deux heures !

- Non ! Il est l’heure de s’arrêter ! 

Aussitôt dit, aussitôt fait ! La dame rentre ses chèvres et m’ordonne de parquer les chevaux. Je n’ai plus qu’à obéir. Après avoir dessellé, elle m’invite à prendre un café. C’est alors que son mari rentre d’une partie de belote. Elle prononce sur le même ton :

- J’ai invité un homme pour la nuit, il va dans le sud ! 

- C’est bien ma chérie !, répond-il d’une petite voix comme si cela ne souffrait aucune protestation de sa part. 

Je m’inquiète de mon couchage et elle me montre ce qui autrefois s’ appelait la laiterie. Il règne dans cette pièce une bonne odeur de soupe de légumes et un fumet de jambon, d’andouille et de saucisson pendus dans la cheminée, une vrai douceur pour les papilles.

Couchage installé, Madame m’avertit :

- Nous le soir, à notre âge, on mange peu et tôt. Rendez-vous à 19 h ! 

Je mets donc à profit ces deux heures de répit pour consolider les coutures de la sacoche, pour ranger et nettoyer, et pour écrire à mes enfants. A 19h, Madame m’appelle. Comme je suis prévenu de la frugalité du repas, j’amène ma gamelle au cas où ! Mais en fait, la soupière fume sur la table A côté, on trouve un authentique pain à soupe, du paté, du boudin, du lard froid, de la salade. C’est un vrai régal pour un pèlerin qui se nourrit essentiellement de biscuits, de chocolat et de lait concentré. C’est après une infusion et le ventre plein, que je regagne la laiterie. Bien au chaud dans mon sac de couchage, je fais une nuit de rêve en pensant au film ?« Alexandre le bienheureux ».

Aux aurores, je donne le grain que la maison Sanders m’a livré la veille chez un garagiste. Madame appelle pour le petit déjeuner. Et là, je retrouve l’opulence de la veille avec du pain frais, du beurre salé, des confitures, oeuf à la coque et « vache-qui-rit ». Je n’en peux plus ! Mais comment résister à cette maîtresse femme! Le départ est difficile et c’est presque la larme à l’œil que nous nous sommes quittés.

Aujourd’hui, Saint-Sulpice-La-Forêt, deux étapes avant Rennes. Pas de difficultés majeures, si ce n’est toujours Lasco qui avance de moins en moins passé 14h. Monsieur fait la mule, quatre heures pour finir les neuf derniers kilomètres. Plus je tire plus il résiste, il faut prendre son mal en patience...

Le lendemain, au niveau de Saint-Grégoire-Des-Ondes, retour à la modernité... Le GR passe entre la ligne T.G.V et l’autoroute à gauche, la Vilaine et ses bateaux à droite. Sans parler du survol des avions de l’aéroport tout proche. Les chevaux n’ont pas bougé une oreille, chapeau !

La traversée de Rennes, que j’appréhendais, se passe bien. Je me retrouve tout d’abord dans le flot de la circulation avec tous ses désagréments. Puis la chance me sourit. Un jeune garçon en vélo qui me suit depuis un long moment commence à m’agacer car les freins de sa machine grincent et me font penser à la roulette du dentiste. Alors je m’arrête et je lui demande où il va.

- Nulle part, je me promène.

- Connais-tu bien Rennes ?

- Oh oui, j’y suis né.

- Alors sors-moi de là au plus court pour retrouver le halage.

- D’accord ! 

Et un quart d’heure après, c’est fait ! La suite est agréable malgré le temps pluvieux et froid. En forêt, par contre, je commets une erreur de parcours et c’est donc à la boussole que je me dirige. Mais voilà, sans autres repères, je tombe sur une petite rivière venant d’être curée à la machine. Et là, Loug me fait un caprice « Je ne saute pas là dedans ! »

Je descends de cheval et j’entre à pied dans la rivière. Loug, en bout de longe, hésite puis saute. Je le reçois sur la cheville gauche. La douleur est terrible. Je suis le cul dans l’eau, je transpire à grosses gouttes et je vois des étoiles. Pendant quelques secondes, je m’évanouis.

01/04/2010

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