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Jean-Louis Bourdy-Dubois (élevage de la Tour Vidal) « Le retour au Pur-sang est une erreur »

Avec l’approche de grandes échéances mondiales, Sisley de la Tour Vidal, encore auréolé de sa très belle performance à Aix la Chapelle, semble intéresser plus que jamais plusieurs cavaliers étrangers. Dans le même temps, Mylord Carthago HN, Photo 1 sur 3
qui vient de terminer une saison indoor exemplaire, confirme son ascension en remportant une des plus grosses épreuves du Grand Palais. Derrière ces deux athlètes de haut niveau se cache un homme affable et perfectionniste, Jean-Louis Bourdy Dubois, autodidacte généreux que nous avons rencontré dans ses installations de saint Rémy en Rollat (03).

Le Cheval. Qu’est ce qui vous a donné envie d’élever des chevaux sachant que vous ne montez pas à cheval ?

Jean-Louis Bourdy-Dubois.« En effet, je ne suis jamais monté à cheval. Je ne suis venu dans le monde du cheval que très tardivement, en 1998 alors que j’avais déjà 52 ans, lorsque ma fille a décidé d’arrêter ses études, après un DEUG scientifique, pour se consacrer à l’équitation et essentiellement à l’enseignement de l’équitation. Ce choix m’a un peu inquiété ; j’ai alors cherché à comprendre quel avenir il pouvait lui réserver. Et c’est ainsi que je suis finalement devenu éleveur. »

Qu’est-ce-qui vous passionne encore aujourd’hui dans l’élevage ?

« Dans ma découverte du monde du cheval, c’est précisément l’élevage qui m’a tout de suite paru intéressant. Et cette activité me passionne de plus en plus. Elle me permet d’une part de mettre en pratique des connaissances acquises autrefois, notamment en génétique ou dans l’analyse des probabilités. D’autre part il y a un côté « magique » dans la conception du croisement à l’origine d’un poulain, et cet aspect des choses me permet de continuer de rêver…

Et puis j’aime apprendre, et le cheval est pour moi un immense champ d’investigation. J’ai consacré des centaines d’heures à comprendre comment fonctionnait ce magnifique animal. J’ai aussi consacré des centaines d’heures à apprendre l’équitation, sans jamais monter à cheval, car je devais pouvoir analyser la relation entre le cavalier et le cheval au moment de faire certains choix. »

Parlez-nous de votre rencontre avec Daniel Boudrenghien, naisseur d’Ogano Sitte, et de ce qu’il vous a apporté en matière d’élevage.

« Je n’aime pas faire les choses superficiellement. Je voulais donc acquérir le maximum de connaissances concernant le cheval, son comportement, son fonctionnement. Ce n’était pas chose aisée car il n’existe pas de formation à proprement parler, correspondant à ce que je recherchais. J’ai alors rencontré Daniel Boudrenghien. J’ai tout de suite compris que cet homme, éleveur très réputé, était un très grand expert maîtrisant parfaitement son sujet, de plus doublé d’un pédagogue; il est en effet par ailleurs Professeur de Biologie. Daniel Boudrenghien est ainsi devenu mon mentor, à la base de ma formation d’éleveur. Daniel est aussi un ami. Chacune de nos rencontres est toujours l’occasion de conversations agréables et extrêmement intéressantes car il possède une connaissance encyclopédique du cheval. »

Présentez-nous les juments de votre élevage et les souches.

« Lady Calvaro est âgée de 11 ans. J’ai un faible pour cette jument, qui d’une part est le premier produit né dans mon élevage, et qui d’autre part est la mère de Sisley de la Tour Vidal; elle est aussi la mère de six propres frères et sœurs de Sisley. Ce qui est exceptionnel avec cette jument, c’est que tous ses poulains se ressemblent, physiquement et aussi par leurs aptitudes de sauteurs. Lady Calvaro est, comme son nom l’indique, une fille de Calvaro Z et de Fidji des Champs par Pluriel et Grand Veneur.

Jungfau Sitte, est une jument qui a aujourd’hui 17 ans. C’est une fille de Darco et une petite fille de Gute Sitte, Médaillée Olympique à Montréal en 1976, avec Eric Wauters, et classée cette même année Meilleur Cheval du Monde.

Ugana Sitte, âgée de 6 ans, est une fille de Caridor Z et de Retina Sitte par Parco et Avontuur. »

Combien faites-vous naître de produits chaque année ? Mettez-vous vos poulinières à la reproduction chaque année ?

« J’insémine chaque année chacune de mes trois poulinières, ainsi que leurs filles de 2 ans qui montrent de très bonnes aptitudes lors des tests de sauts en liberté, et qui de plus sont suffisamment développées pour supporter une gestation. »

Quels sont les critères de sélection qui vous amènent à mettre une jument à la reproduction ?

« Je sélectionne mes juments reproductrices selon deux critères : le premier critère concerne leurs qualités propres : force, amplitude et équilibre dans le galop, réactivité, élasticité, souplesse et très bonne utilisation du corps sur l’obstacle; pour l’aptitude au saut, je n’ai pas forcément besoin de résultats en compétition, mais essentiellement d’observations et de tests probants; le second critère est relatif aux qualités de leurs ascendants et collatéraux sur deux ou trois générations, ainsi qu’à celles de leurs descendants lorsqu’elles en ont.Je ne mets à la reproduction que les juments qui répondent très favorablement à ces deux catégories d’exigences. » 

Sur quels critères choisissez-vous vos étalons ? S’agit-il de conforter les atouts de la jument et/ou de compenser ses points faibles ?

« Les étalons sont choisis exactement en fonction des mêmes critères que ceux définis pour les juments. Un étalon doit être, si possible, encore meilleur que la jument à laquelle il fournit sa semence. Mon objectif est bien évidemment de conforter les atouts des juments et aussi, bien sûr, de corriger leurs points faibles; sachant cependant qu’elles ne doivent pas en avoir beaucoup, et en tout cas aucun qui présenterait à mes yeux un caractère rédhibitoire. »

Comment définissez-vous le cheval moderne ?

« Comment définir le cheval moderne ? Voilà, à mon sens, la grande question, à laquelle les éleveurs et les associations qui les représentent (syndicats, associations de races) doivent absolument répondre; et ils doivent non seulement analyser les évolutions en cours, mais de plus les anticiper.

J’ai le sentiment, peut-être à tort, que de nombreuses personnes dans le monde de l’élevage ont une vision non évolutive concernant les chevaux de jumping, opérant très souvent un retour vers le passé. Or toutes les espèces évoluent. Si l’on considère les sportifs humains, force est de constater qu’ils ont considérablement changé en quelques décennies. Par exemple, le sprinter qui a remporté le 100 mètres lors des Jeux Olympiques de Munich en 1972, était un champion exceptionnel à son époque; il était de taille moyenne, relativement fin, très vif. Cependant il serait aujourd’hui totalement dépassé, relégué à plus d’une demi-seconde par les sprinters modernes. Les champions actuels sont très grands et ultra-puissants, dotés d’une musculature impressionnante. Par ailleurs ils donnent le sentiment d’être très relaxes, presque nonchalants, mais ils explosent littéralement dès le coup de feu du starter. Selon moi, le véritable cheval moderne a subi la même évolution morphologique et comportementale : il est plus grand, plus puissant que le cheval très proche du pur sang qui évoluait autrefois et gagnait les concours; il est beaucoup plus calme mais plus explosif; il est pétri de sang, il a de la « dynamite » dans les pattes, tout en demeurant très serein.

Ces champions modernes, qu’ils soient humains ou équins, sont le fruit d’un métissage, indispensable à l’évolution bénéfique de toute race. Tout circuit de reproduction qui se referme sur lui-même, conduit inéluctablement à une dégénérescence, à une fin de la race.

Concernant le recours au Pur-Sang à titre de géniteur, qui est souvent évoqué par des éleveurs tant en France qu’à l’étranger, je pense pour ma part que c’est une erreur, un retour en arrière, car le PSa, sauf exception, n’a plus rien aujourd’hui qui s’apparente au cheval moderne de jumping. Certes il a permis au siècle dernier de créer des chevaux destinés au sport de saut d’obstacles. Mais depuis de nombreuses années son évolution est orientée vers la seule capacité à courir très vite. Le quasi pur-sang d’obstacle, l’AQPS qui gagne à Auteuil, ne saute plus du tout comme un cheval de CSO; il aborde les haies à très grande vitesse, les franchissant dans un mouvement très ouvert, propulsant les antérieurs vers l’avant. Et ces caractéristiques sont désormais fixées d’un point de vue génétique.

Ma définition du cheval moderne de saut d’obstacles correspond donc à un animal doté de très gros moyens, possédant une très grande foulée parfaitement équilibrée, qu’il peut raccourcir immédiatement lorsque son cavalier le lui demande. Il utilise parfaitement son corps lors du saut. Il est très réactif, élastique, et très souple. Il est de plus doté d’un excellent mental. Quant au sang, ce champion moderne en possède à revendre, sous la forme d’une énergie qu’il libère à la moindre demande du cavalier. C’est une force tranquille, mais il devient un « avion à réaction » lorsqu’il est sollicité. Or ce cheval ne peut être obtenu que par métissage avec des chevaux issus d’origines diverses, quels que soient leurs stud-books. Le métissage n’est pas à mes yeux, une mode exotique; il doit correspondre à des croisements réfléchis, raisonnés, avec comme unique objectif de suivre une ligne directrice bien définie, visant à fixer génétiquement les caractères recherchés.

Certes il est possible de citer des cracks qui ne correspondent pas du tout à ce profil type. Le modèle que je décris correspond à ma réflexion personnelle, à ma propre logique. Il est pour moi un axe de recherche et de développement et non une vérité absolue. » 

Parlez-nous de votre politique d’élevage :

« Ma stratégie d’élevage est totalement guidée par l’image de ce cheval que je viens de décrire. J’essaie d’en fixer certaines caractéristiques génétiques et de les reproduire dans des proportions intéressantes et avec une bonne probabilité. Mais bien sûr, je ne prétends nullement avoir la recette miracle. »

Pourquoi avoir choisi l’Allier comme site d’élevage ?

« Parce que le site de St Rémy en Rollat m’a permis d’être proche de ma fille; elle y exploite son Centre Equestre. Ce lieu est situé à côté de Vichy, qui est une ville fort agréable où ma femme et moi résidons désormais. De plus, Vichy n’est pas très loin de Clermont-Ferrand où nous avons gardé des activités professionnelles. »

Quelle surface consacrez-vous à l’élevage ?

« Le site où se trouvent les installations de l’élevage ainsi que le Centre Equestre, couvre une vingtaine d’hectares, dont j’utilise environ un tiers pour l’élevage, laissant le reste pour les chevaux et les poneys du Centre Equestre de ma fille. De plus je dispose à proximité, d’une trentaine d’hectares de prairies où je peux mettre les juments et les poulains à partir du mois de mai jusqu’au mois d’octobre. »

Lors d’une discussion à Saint-Lô, vous nous aviez dit faire sauter vos poulains à l’âge de un an, et évaluer leur potentiel à cet âge-là; sur quels critères évaluez-vous vos produits ?

« Je teste en effet tous mes poulains entre 12 et 18 mois en les faisant sauter en liberté. Ce test en principe, est unique; il peut éventuellement être répété une, voire deux fois, si un doute subsiste.

J’ai pu analyser préalablement pour chacun des poulains, l’amplitude du galop, l’équilibre, l’élasticité dans le déplacement, en les observant dans les paddocks ou dans les prairies.

Le test de saut en liberté me donne une idée très précise du potentiel à l’obstacle du futur cheval. Certes je suis parfaitement conscient que même le poulain le plus doué au départ, pourra passer ultérieurement à côté d’une brillante carrière, en fonction de diverses circonstances liées notamment à sa formation; il pourra aussi ne pas avoir le mental indispensable à un grand compétiteur. De surcroît, aucun test n’est absolument infaillible. Mais je suis convaincu que celui-ci, lorsqu’il est bien conduit, permet avec une assez faible marge d’erreur, de juger des réelles possibilités d’un poulain. Ainsi je peux réaliser un tri précoce ayant pour but d’éviter des frais inutiles concernant les poulains qui ne m’ont pas donné satisfaction lors de cet exercice.

Ce test me permet notamment d’apprécier l’équilibre du cheval, son aptitude à se reculer naturellement  à l’abord d’une petite combinaison. Il me permet aussi de juger sa réactivité, sa capacité à bien utiliser ses jarrets lors de la propulsion, à bien se servir de la totalité de son corps au cours du saut. Il me fournit aussi une très bonne évaluation de sa force, de sa souplesse, ainsi que de son respect de la barre. »

Quelle est votre conception du travail du jeune cheval ?

« Le jeune cheval est un « enfant ». Sa formation doit donc être conduite en tenant compte de cette donnée. Il ne doit pas être usé prématurément, ni physiquement, ni mentalement.

De ce point de vue je regrette beaucoup que nombre de personnes jugent les jeunes chevaux uniquement en fonction des résultats observés sur Internet, sans aller les voir lors des concours. Cette obligation de performance, notamment pour ce qui concerne les jeunes étalons, est très préjudiciable à leur formation. Un jeune cheval ainsi qu’un moins jeune, ont le droit de faire une faute, qui est même généralement salutaire à leur progression.

Parlez-nous de la production de Mylord Carthago et de Sisley de la Tour Vidal. Que transmettent-ils à leurs produits ? Quel recul avez-vous sur leur production ?

« Les premiers produits de Mylord ont quatre ans. Il leur donne du chic, de l’équilibre, de la force et surtout un véritable mental de cheval de concours; ils sont très disponibles, appliqués et apprennent vite.

Les premiers produits de Sisley ont trois ans. Il type très fortement ses poulains. Il leur donne une solide constitution, une forte charpente. Il leur transmet de la force, de l’amplitude et de l’équilibre dans le galop. Les poulains de Sisley sont élastiques, bondissants, et très souples. De plus ils sont particulièrement gentils et très à l’écoute de l’homme. »

A quel âge commercialisez-vous vos produits ? Et pour quelle raison ?

« A la fin de leur troisième année, les poulains qui ont montré de très bonnes qualités lors du test de saut en liberté vont en Belgique, dans les écuries de Delphine Goemaere. Delphine est une remarquable cavalière, notamment de jeunes chevaux, excellente dresseuse. Elle les fait participer aux épreuves du Cycle Classique belge pour chevaux de 4 ans, de 5 ans et de 6 ans. Les meilleurs, susceptibles d’avoir un destin international, vont ensuite dans les écuries de Pénélope Leprévost.

L’âge auquel ils sont commercialisés est variable. L’idéal serait de vendre les meilleurs à partir de 7 ans, période où leur cote devient importante. Cependant des contingences économiques peuvent amener à se séparer prématurément de certains chevaux, car malheureusement les charges financières d’une écurie sont très lourdes. »

Parlez-nous de votre rencontre avec Pénélope Leprévost

« J’avais vendu Mylord aux Haras Nationaux alors qu’il avait 6 ans, car à l’époque je ne savais pas conduire la carrière sportive d’un cheval. Les Haras Nationaux ont fait un choix vraiment judicieux en le confiant à une jeune cavalière très prometteuse : Pénélope Leprévost. J’ai ainsi pu observer l’ascension fulgurante de Pénélope, comprendre, analyser et apprécier son exceptionnel talent.

Delphine Goemaere avait réalisé avec Sisley une saison de 6 ans particulièrement remarquée en Belgique. A l’issue de la période des concours, elle me dit que le cheval devait, l’année suivante, aller s’aguerrir sur le circuit international, mais qu’elle ne disposait pas des invitations pour participer régulièrement aux grands concours internationaux. Je fus alors convaincu que Pénélope saurait parfaitement monter Sisley; ce qu’elle concrétisa notamment à Aix-la-Chapelle où le couple fut extrêmement brillant.

Pénélope a tous les atouts pour devenir assez rapidement numéro un mondial : le don de l’équilibre à cheval, une remarquable maîtrise du stress et de la tension nerveuse, un esprit perfectionniste, et cependant beaucoup d’humilité. Vraiment une très grande et belle championne. »
Propos recueillis par Sarah Marteau

29/04/2010

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