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Hommage aux glorieux bâtards de leurs races de métis

(en ligne le 28 octobre 2009) Le débat sur l’originalité génétique des divers stud-books Européens et sur l’intérêt d’être ouverts ou fermés aux reproducteurs extérieurs mérite quelques éclaircissements et tout d’abord quelques rappels :La discipline scientifique Photo 1 sur 2
qui répertorie et classe les êtres vivants s’appelle la systématique.
Règne, Classe, Ordre, Famille, Tribu, Genre…. sont les principales des 34 catégories et sous-catégories qui sont utilisées dans ce classement.

La dernière subdivision admise par la communauté scientifique est «  l’espèce », qui se définit comme un ensemble d’individus qui sont systématiquement aptes à se reproduire entre eux.
On parle ainsi de l’espèce humaine, de l’espèce équine, de l’espèce bovine, …
La fécondation entre individus d’espèces différentes est assez fréquente dans le règne végétal et beaucoup moins dans le règne animal. Elle donne naissance aux « hybrides ». Les hybrides peuvent parfois se reproduire et parfois être stériles ; c’est le cas du mulet, hybride stérile né de la fécondation d’une jument (espèce équine) et d’un âne (espèce asine).

La notion de « race » est moins précise et sa définition varie selon les auteurs.
A peu près tous s’entendent pour considérer qu’une race distingue, au sein d’une espèce animale, des groupes d’individus d’un type homogène (ex. : race charolaise ou limousine dans l’espèce bovine…)
Parmi les plus anciennes races chevalines, on pense au pur-sang arabe et au pur-sang anglais. Une race peut se prétendre « pure » au bout de plusieurs générations si elle n’admet comme reproducteurs (mâles et femelles) que des animaux choisis à l’intérieur de la race en question.

Le produit du croisement de deux races pures distinctes est un « métis »
Contrairement à l’hybride, le métis est toujours fécond.
Le veau « jaune » croisé Normand-charolais, l’Anglo-arabe, croisé pur-sang anglais x pur-sang arabe sont des métis, Jappeloup est un métis !
Tous les autres sont des « bâtards », c’est-à-dire les produits de croisement entre individus issus de populations ayant subi plusieurs générations de métissages successifs. Les bâtards n’appartiennent donc pas à une « race pure » et ne sont pas, comme les métis, le croisement de reproducteurs issus de « races pures » différentes, et encore moins, comme les hybrides, le résultat du croisement entre individus d’espèces différentes.

Le Stud-Book chez les chevaux (Herd-Book chez les bovins) est un registre officiel qui constate la généalogie des individus qui en font partie et qui fixe les règles pour être admis comme géniteur (mâle ou femelle) en son sein.
Certains éleveurs de pur-sang arabes, comme la famille Al Chaalan, possèdent des archives de généalogie de leurs chevaux sur plus d’un millénaire !
Le premier stud-book international majeur a été créé pour la race pur-sang anglais au 18e siècle.

En France, grâce aux Haras Nationaux, et ailleurs en Europe, des éleveurs de chevaux de sport ont fait ce travail de recensement et de sélection des « métis et des bâtards »… En 1958, on comptait principalement les stud-books Angevin, Anglo-Normand, Charentais, Charolais, du Centre, des Dombes et Vendéen. Ils ont été fusionnés à cette date en stud-book du Selle Français qui se définit comme une race « composite » (terme plus élégant que bâtarde !) qui a continué à faire appel au croisement avec des « métis » (Anglo Arabes…) et des animaux issus de « races pures » : Arabes, Pur Sang, Trotteurs.

Certains stud-books anciens sont plus sévères que d’autres pour l’admission de reproducteurs mâles venus de chez leurs concurrents; ils examinent « à la loupe » les candidats avant de les agréer, mais aucun ne refuse le principe de les accepter. C’est le cas du Holstein avec Cor de la Bryere et plus récemment I Love You, Concorde, Quick Star, Quidam de Revel, …
A noter que ces mêmes stud-books sont en général beaucoup moins sévères pour admettre l’apport extérieur par la voie femelle.
La plupart des stud-books plus récents (KWPN, Oldenburg, BWP,..) ont fait dès le départ le choix des métissages successifs et revendiquent sans états d’âmes leur appellation de races « composites ».
Le choix de l’ouverture aux autres races européennes a été fait par le Selle Français, prudemment a partir de 1989 et plus largement depuis 1995.

Au pays des 300 fromages, il a été difficile de s’entendre sur les critères d’admission de ceux que l’ordinateur du SIRE appelait les « Selle Etranger ».

Sous la pression d’étalonniers et d’éleveurs trop longtemps privés de cet outil d’amélioration, les vannes se sont ouvertes très largement, probablement trop, et certaines espérances ont été déçues.
Ces déceptions font prospérer un nouveau courant « eugéniste » qui me donne des frissons !
Soyons réalistes : le bien et le mal sont faits : Gold de Becourt (par Voltaire) ou Luccianno (par Burggraaf) sont SF, Quidam’s Rubin (par Quidam de Revel) est Oldenburg et Mozart des Hayettes (par Papillon rouge) est Belge !
Tous des bâtards !
Et ces bâtards ont plus de points communs entre eux qu’avec les Pur Sang et les Trotteurs du 21e Siècle !...

Soixante des cent meilleurs chevaux du monde en CSO (classement WBFSH) ont un père et un père de mère inscrits dans des stud-books différents !
Parmi les 6 Selle Français qui portent actuellement notre stud-book au 1er rang mondial, on trouve deux produits de Selle Français avec des mères hanovriennes et un petit fils d’un étalon SF x trotteur et dont la mère est la fille d’un Anglo-arabe avec une jument non-constatée ; sans oublier
20 % de pur sang à la 4e génération en moyenne !

C’est une évidence : plus un peintre habile obtient de nuances de couleurs sur sa palette, mieux il est armé pour nous faire partager les nuances de ses émotions; de la même manière, plus un éleveur avisé et intuitif dispose de choix pour faire ses croisements, plus il a de chances de produire le cheval qu’il a imaginé.

Tous les arguments de « pureté » de nos races de chevaux de sport sont des inepties scientifiques et leur « identité génétique propre » une escroquerie intellectuelle !

La vérité est que tous nos chevaux européens partagent un patrimoine héréditaire commun et évoluent en fonction de leur environnement :

Imaginez un ensemble de trois cent juments homogènes, répartissez les en trois groupes de cent, confiés à autant d’éleveurs du Holstein, de Normandie et de Sardaigne.
Confiez leur la semence d’une quinzaine de reproducteurs, assez différents les uns des autres; laissez les élever, choisir leurs futurs étalons, récompenser leurs meilleures juments et revenez dans 6 ou 7 générations. Cela prendra probablement 30 ans en Allemagne et 40 à 50 ans en France et en Italie, et vous aurez à l’arrivée trois populations de chevaux d’aspects et de caractères visiblement différents.
Les différences viendront de l’environnement naturel, des modes d’élevage et du choix des hommes dans les qualités qu’ils recherchent et les défauts qu’ils tolèrent ou qu’ils ne tolèrent pas !
A travers le choix des reproducteurs mâles et femelles les plus utilisés, les groupes d’hommes fabriquent très vite des groupes de chevaux qui leur ressemblent !

Il y a de la même façon, au sein d’un même stud-book de très grandes différences d’apparences possibles entre individus et entre groupes élevés dans des milieux différents. Si vous n’êtes pas convaincus, allez voir les Hanovriens d’Allemagne, de Namibie et du Brésil et, si ça ne suffit pas, comparez les anglo-arabes de Sardaigne et de Pologne !

Les techniques évoluent, la compétition évolue, les semences d’étalons circulent, les informations objectives sont de plus en plus nombreuses (les informations trompeuses aussi !) mais l’avenir obéit aux mêmes règles que le passé : c’est l’homme et l’environnement qui font le cheval !
Les races de sport ne se distinguent pas entre elles à cause de différences génétiques mais du fait de la politique conduite par ceux qui choisissent les reproducteurs mâles et femelles et sous l’influence du milieu dans lequel les chevaux sont élevés !

Les mêmes pieds de vigne de Cabernet Sauvignon plantés dans des terroirs différents, ne donnent pas les mêmes vins à Bordeaux, en Australie, en Californie et au Chili et le lait des mêmes vaches normandes travaillé différemment ne donne pas le même fromage à Camembert, Pont l’Evêque ou Livarot ! Sans parler de la Vache Qui Rit…

La conclusion claire est que ce sont les caractéristiques des reproducteurs et leur héritabilité qui comptent, pas le stud-book dont ils proviennent.

Mais d’autres questions se posent !
Un SF, un Z ou un CS élevés en Normandie ont-ils plus ou moins de chances d’être différents entre eux qu’un SF né à Dunkerque, Nancy ou Toulouse ?
Un éleveur de chevaux de sport en Normandie a-t-il plus d’intérêt à la notoriété du Selle Français au plan national ou à la notoriété de toutes les races de chevaux de sport élevées en Normandie ?

Les stud-books qui ont l’identité la plus marquée sont nés sur des « berceaux de race » beaucoup plus petits que la France : Holstein, Flandre, Oldenburg correspondent à la taille de 1 ou 2 départements français !
Les gens qui forgent l’identité des ces stud-books sont plus disciplinés c’est-à-dire plus enclins (et plus rapides) que les français à se mettre d’accord sur les objectifs de sélection, sur les choix des reproducteurs et des autres moyens à mettre en œuvre pour atteindre leurs objectifs !
Faut-il en conclure que notre esprit gaulois, notre diversité géographique et culturelle et notre habitude d’attendre le salut de l’intervention providentielle d’un état bienfaiteur condamnent l’avenir de la race Selle Français ?
Faut-il en conclure qu’il serait opportun d’en revenir aux stud-books régionaux des années 50 ?
Faut-il renoncer aux aides de l’Etat pour stimuler les initiatives individuelles ?

Il est impossible de répondre par oui ou non à ces questions complexes mais essentielles et il serait prétentieux de vouloir le faire ici.

Je sais d’expérience qu’il est plus facile de critiquer que de construire et de donner les conseils que de les recevoir, mais je ne veux pas finir cette tribune sans émettre quelques vœux, que je crois partagés par bon nombre de professionnels et de membres de nos équipes dirigeantes :

Le Selle Français ne doit pas revendiquer une « identité génétique » mais des « caractéristiques originales », communes à toutes les régions dans lesquelles il est produit, axées sur le tempérament, la facilité d’emploi, la rusticité, la longévité et les qualités sportives naturelles !

Comme leurs concurrents du nord de l’Europe, les éleveurs français doivent être fiers des « caractéristiques identitaires » du Selle Français, adhérer et financer le système qui les rassemble et exiger de lui qu’il soit performant !

La diversité des régions est une force ! Leur revendication identitaire est légitime ! La renommée du Selle Français vient de la somme des efforts de toutes les régions et chacune doit pouvoir la revendiquer et l’utiliser à ses propres fins : des éleveurs sont concurrents entre eux et les régions sont concurrentes entre elles; chacun doit pouvoir faire valoir son originalité au sein de l’identité commune portée par la « marque » Selle Français.

Il ne faut ni craindre ni freiner la concurrence avec les autres races ! Il ne faut pas craindre une baisse plus ou moins durable du nombre d’éleveurs et de naissances SF ! Il ne faudrait surtout pas que ces craintes et des mesures protectionnistes nous dispensent de faire les efforts nécessaires en matière de programme d’élevage, de méthodes de sélection, d’agrément et de mise en valeur des reproducteurs, etc. La porte de sortie est en haut ! Si nous ne pouvons pas faire face à la concurrence des stud-books voisins sur notre territoire, comment ferons-nous pour les surpasser au plan international ?

Dans le même esprit, il n’y a pas de danger à ce que les outils communs : SHF, systèmes d’encouragement, systèmes d’identification et d’enregistrement des performances,… soient mis à la disposition des éleveurs français des autres races de sport (le contraire serait injuste et probablement jugé illégal par Bruxelles…). La prépondérance du Selle Français doit provenir de la capacité des éleveurs réunis à être performants dans leurs choix de reproducteurs, leurs méthodes d’élevage et de mise en valeur et leurs efforts commerciaux. Que la compétition ait lieu sur la scène française ou européenne ne change en rien l’obligation d’être compétitifs !

Eleveurs, étalonniers, cavaliers formateurs, marchands… notre pays compte de nombreux acteurs professionnels talentueux qui réussissent au plan international dans un contexte concurrentiel difficile ! Leurs compétences réunies doivent nous permettre de réussir collectivement…

La concurrence est une chance : Rassemblons-nous et saisissons la !

Tous descendants
d’Herod, Matchem
et Eclipse !

Olivier Desmeulles a réalisé, de 2005 à 2007, un travail de bénédictin pour remonter aussi loin que possible la généalogie des étalons de sport actifs aujourd’hui dans le monde, c’est-à-dire principalement en Europe. Ils remontent tous par leur lignée paternelle, grand paternelle, arrière grand paternelle, … aux quatre mêmes ancêtres communs :
Achill (1877), Eclipse (1764), Herod (1758) et Matchem (1748).

Son travail, présenté dans l’ouvrage « European Stallion Families », permet de remonter la lignée paternelle de tous les étalons actifs à ce jour jusqu’à l’un de ces 4 « pères fondateurs ».
Si l’on regarde de plus près, on s’aperçoit que les rameaux différents ne sont qu’une dizaine à la fin du 19e siècle et que la quasi-totalité des étalons européens actuels ont au moins un ancêtre commun parmi une dizaine possibles à la 9 ou 10e génération de leur pedigree.
Aucune race de chevaux de sport moderne ne peut donc se prévaloir d’une originalité génétique qui n’ait été « amalgamée dans le vaste creuset  des générations successives » !

« Marketing
et Sélection »

Figurant depuis plusieurs années sur le podium des meilleurs stud-books en Dressage et en CSO, le KWPN est l’illustration des mérites d’une race composite basée sur un système de sélection très volontariste et servi par une communication très efficace.
Ce stud-book était extrêmement confidentiel au milieu du 20e siècle et il s’est développé, avec le marché du cheval de sport, grâce à l’importation de reproducteurs (mâles et femelles) français, belges et allemands (Holstein, Hanovre, Oldenburg, Westphalie, …)
Une fois le « creuset » ainsi enrichi, les autorités du stud-book ont associé les cavaliers et les commerçants à la définition des objectifs de production et pratiqué une politique très restrictive pour l’admission des reproducteurs avec une sélection en trois étapes suivie d’un test de 100 jours en station.
Ayant réalisé que cette méthode n’était pas infaillible, ils se sont empressés de prévoir des « entrées de secours » pour permettre le retour en leur sein d’étalons qui avaient été écartés au départ comme Mr Blue ou Heartbreaker.
Ils se sont ainsi donnés toutes les chances de ne passer à côté d’aucun améliorateur tout en se créant une image de sévérité et de rigueur dans les mécanismes d’approbation et les contraintes (modèle, dossier radio, qualité de semence,…)

Ce système est servi par une population d’éleveurs qui en est fier et qui joue à fond le jeu du testage des jeunes étalons désignés par le jury comme les plus prometteurs.
Il est également servi par une communication hors pair qui a réussi en 20 ans à faire considérer au grand public que le hanovrien Voltaire, les holsteiners Indoctro et Burggraaf, les Selle Français Calvados (Sable Rose) et Guidam (Adadgio)… sont de purs produits hollandais !
Indélicat mais diablement efficace !...

A la gloire des batards

Comme indiqué dans le sujet, 60 des 100 meilleurs chevaux mondiaux au palmarès WBFSH proviennent de pères et grands-pères issus de stud-books différents et les meilleurs chevaux selle français du moment rassemblent dans leurs pedigrees sur 4 générations des courants de sang français, hannovrien, westfalien, pur sang, trotteur, anglo-arabe et « inconnus » !

Il y a bien d’autres indicateurs qui démontrent que le Selle Français est, comme toutes les autres races européennes, largement tributaire des apports extérieurs :
Sur les 60 produits de 4, 5 et 6 ans, les mieux qualifiés à la Grande Semaine 2009 (20 par génération), 29 sont issus du croisement SF x SF ou AA x AA et 31 d’un croisement faisant intervenir un père et un père de mère inscrits à des stud-books différents.

Sur les 26 étalons classés Elite en France, avec des CD > 0,7 (c’est-à-dire en prenant en compte les performances des descendants), 10 sont inscrits à d’autres stud-books que le SF et, en examinant le pedigree à 3 générations des « 26 meilleurs », on totalise les représentants de 9 stud-books différents !

Et le même travail effectué dans la grande majorité des autres stud-books européens d’importance donnera les mêmes résultats !

Arnaud Evain

22/10/2009

Actualités régionales