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Fernand Lerrede le visionnaire des Rouges

La nouvelle est tombée comme un couperet il y a quelques semaines, le Haras des Rouges vend tout, oui tout, les poulinières, poulains, jeunes chevaux et les autres... Photo 1 sur 1
Une page d'histoire se tourne, alors que le Haras des Rouges, bâti par Fernand Lerrede, a été pendant une quinzaine d'années dans le trio de tête des éleveurs européens. Situé dans la ferme où Fernand a grandi à Saint-Ebremond-de-Bonfossé, à côté de St-Lô, le Haras des Rouges portait son nom « Le Red ». Mais comment l'un des plus fameux et plus grands élevages normands a-t-il pu en arriver là ?
« Avec mes problèmes de santé, mon grand âge avançant et Xavier s'orientant de plus en plus vers les chevaux de course AQPS et galopeurs, nous avons souhaité arrêter. C'est pour cela que j'ai pris cette décision qui ne s'est pas faite sans mal mais je pense que c'est la bonne décision. Je n'ai plus le même plaisir pour mes chevaux parce que je ne peux plus m'en occuper moi-même. Depuis que nous avons décidé de la vente (qui aura lieu le 10 septembre à Deauville), je suis comme soulagé. Cela fait mal, c'est le travail de toute une vie. Je n'irai sans doute pas à la vente mais je ne regrette pas de vendre car je pense que l'élevage est depuis trop longtemps dans une phase critique. Le sport a régressé pour des raisons économiques. De plus nous n'avons pas su être assez protectionnistes. J'ai profité des belles années mais si on continue on va manger tout ce qu'on a glané », affirme avec sérénité Fernand.


Tombé dedans...

« Enfant, mes parents m'avaient mis dans la cheminée à Noël un cheval pommelé fixé sur des roulettes. Ce cadeau eut une triste fin car je l'ai oublié dehors un jour d'orage et le lendemain je n'ai retrouvé qu'un tas de papier mâché. Pour sécher mes larmes mon grand-père acheta son frère. Mes premières sensations à cheval se sont faites sur Tambour, un des chevaux de labour de la ferme; plus tard j'ai labouré avec lui car les tracteurs n'existaient pas à cette époque. J'aimais déjà l'odeur que dégageaient les chevaux. Puis mon grand père m'a offert mon premier poulain. Nous l'avions choisi ensemble à la foire de Lessay. C'était une pouliche bai près du sang. A 3 ans je l'ai débourrée et j'ai participé au petit concours et randonnée de la SHR de Canisy. Le virus ne m'a plus jamais quitté et je l'ai transmis à mes enfants, Xavier et Isabelle. Mon père ne souhaitait pas que j'élève des chevaux (pour lui un cheval c'était la ruine car il mangeait l'herbe des vaches) mais j'ai toujours été attiré par les chevaux, surtout ceux des hippodromes : ce sont des chevaux près du sang. Je suis ravi que Xavier s'oriente vers cette voie. Concernant la SHR de Canisy c'était mon oncle Raymond Groualle qui était le Président et bien plus tard j'ai pris sa suite et mis en place le premier Normandie Horse Show dans le parc du Château de Canisy. Ce fut un réel succès qui m'a permis de le transférer à St-Lô. J'ai donné beaucoup de ma personne et de mon temps pour l'organisation de ces Normandie horse Show. J'ai ensuite eu l'idée d'organiser une foire aux foals », raconte Fernand.
Précurseur et grand visionnaire Fernand a toujours été de l'avant en gardant la tête haute et en allant au bout des projets qu'il s'était fixé. « Cela fait 10 ans que je dis que l'on fait de la surproduction. Les trotteurs étaient les premiers à donner 10 000 francs (1 500 ?) à l'éleveur et ils reprenaient le papier pour que la jument ne reproduise plus (un peu plus que la valeur bouchère). Tout ceci parce qu'ils voulaient lutter contre la surproduction. Au lieu de faire des incitations avec la prime PACE et toutes les autres primes, on aurait été plus intelligents de faire les mêmes choses avec le cheval selle. Lorsque je l'ai proposé, j'étais Président de l'Adecno à St-Lô, j'étais le seul de cet avis-là. J'avais 10 ans d'avance. Et maintenant ? On voit des chevaux de 3 ans qui sont vendus rien du tout. »

Rochet Rouge et Papillon

Ses meilleurs porte-drapeaux s'appellent Rochet Rouge (champion d'Europe individuel avec Alexandra Ledermann et bronze aux JO) et surtout Papillon Rouge, élu meilleur étalon mondial en 2007, disparu fin 2009 à 28 ans. Ce Papillon au caractère bien trempé leur aura donné des ailes et offert des voyages, des rencontres et de beaux souvenirs, la gloire et surtout un nom. « Il suffit d'un seul très bon cheval pour se faire connaître et réussir à vendre plus facilement », affirme Fernand qui garde comme meilleur souvenir la victoire de Xavier et Papillon à Longchamp. Du côté des plus mauvais souvenirs c'est l'incendie qu'ils ont subi quand ils ont repris la ferme en septembre 1955. « C'était terrible; cela a été très dur car nous avons dû racheter tout le foin qui avait brûlé et nous n'avions plus d'argent pour nous chauffer; nous avons passé l'hiver sans chauffage et sans eau chaude ! » se souvient-il encore. « L'argent est venu plus tard, mais nous avons beaucoup travaillé pour y arriver. »
Papillon Rouge, fils de Jalisco B, qui fut un grand vainqueur en Internationaux, ISO 180. On retiendra ses nombreuses victoires en Puissance (2,25 m à Vichy), sa belle médaille d'Or aux Jeux Méditerranéens en 1991, sa sélection pour les JO de Barcelone en 1992 et ses titres en Coupe des Nations de Kappelen (Belgique), au Luxembourg, à Rotterdam... Et de Champion de France 1re Catégorie en 1993, pour un total de gains de 2 040 000 FF ! Outre le grand performer, Papillon aura été le géniteur d'une multitude de performers internationaux en CSI, CSIO et CSI-W comme Amazone de Moens ISO 153, Epsom Rouge ISO 174, la fameuse Flèche Rouge CSIO JEM de Jerez, Icare du Manet ISO 172, Iasco Mouche ISO 167, etc. Côté étalons on en citera certains comme Mozart des Hayettes, Sbs, mais aussi Duc Rouge*HN, Eclair des Bois, Gatsby de Quinhon, Guépard de Brékka, etc.

Des lignées maternelles pour commencer

« Il faut sélectionner en partant des lignées maternelles et c'est une grande particularité de l'élevage normand. Les pays du nord, que se soient l'Allemagne, la Belgique, la Hollande, font référence aux lignées mâles lorsqu'ils vous parlent d'élevage. Moi quand je parle élevage, je fais toujours référence aux lignées femelles car je constate que ma réussite a tenu à 3 bonnes juments. La première est la mère de Papillon Rouge : Verboise, une jument dans le sang. Elle m'a fait trois filles. Dont sont issus Cincaba et Bleu Blanc Rouge. Ensuite j'ai eu la souche Quidam; Dirka, sa mère, je l'avais achetée au Prince de Breuil, et elle m'a fait Aiglon Rouge également. C'est alors que j'ai acquis Ouralienne et sa production et c'était un bon achat : un de ses produits est sorti aux jeux d'Elsinki. La troisième bonne lignée que j'ai achetée, c'est celle qui m'a donné Rocket que j'ai eu chez le Baron Empain. J'ai acheté la souche de Rocket, Flika Girl; j'ai eu de la chance de trouver cette bonne jument, mais j'y avais mis de l'argent. J'ai d'ailleurs mis beaucoup d'argent dans toute les souches que j'ai achetées ».
Aujourd'hui âgé de 80 ans, Fernand a toujours cette carrure impressionnante. Eleveur de bovins et de chevaux (une centaine dans les années 90 dont trente poulinières), marchand de chevaux à travers l'Europe, en compagnie d'Yves Lemaire dans les années 60 et organisateur d'événements, Fernand a toujours été de l'avant. Aujourd'hui il regrette deux choses : « N'avoir jamais élevé de chevaux de course et ne pas avoir pu concrétiser mon studbook d'Anglo Normand. L'Anglo Normand sur le plan mondial a encore à prouver mais cela n'est pas une aberration » affirme-t-il, entouré de toutes ses notes et ses livres à l'appui. Il continue le combat qu'il mène depuis 2007 pour ressusciter l'Anglo Normand : « J'avais déjà déposé en 1996 à l'INPI le sigle du cheval de sport Anglo Normand. Aujourd'hui je travaille avec Philippe Martin, Président de l'Adep, et Françoise Rivière de l'Elevage du Theil. Le premier livre du cheval normand date de 1935, il retrace des lignées datant de 1807. Il y a de vrais documents qui existent. Nous avons quelque chose de cohérent en Normandie qu'on devrait défendre au lieu d'aller dans le sens de fabriquer des chevaux européens. On avait quelque chose de spécifique, d'original, qu'on aurait dû conserver au lieu de tout dilapider pour fourrer tout ça dans le SF. Le SF veut mettre la main sur ce passé qui n'est pas le sien et les livres de souches anciennes le prouvent. Toutes les lignées anciennes sont issues des PS anglais, Eclyspse (Orange Peel, Jus de Pomme, Plein d'Espoir), Herod et Matchem (Vas y donc et sa nombreuse descendance qui est à l'origine de plus de la moitié des étalons Cobs). L'Anglo Normand, en plus de ses racines de PS, a aussi de l'Anglo Arabe et du Trotteur Français », conclut Fernand qui souhaite défendre les spécificités de l'élevage français et la valorisation des chevaux de terroir exempts d'origines étrangères à quatre générations.L'appel qu'il lance aujourd'hui vise donc à soutenir sa demande de création d'un registre « Anglo Normand » regroupant des chevaux de sport aux origines purement françaises, avec édition de livrets, pour une période test de deux ans. Discuté en commission du livre généalogique et souvent soutenu, le projet attend toujours la décision de l'administration.

Jennifer Decamp

03/06/2011

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