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Un référendum « pour les animaux »… ou contre les chevaux ? Par Jean-Louis Gouraud (*)

Que des citoyens se préoccupent du bien-être des animaux, c’est évidemment une très bonne chose. Qu’on veuille mettre fin à toutes les formes de maltraitance à l’égard de ces êtres vivants – et donc sensibles – qui nous rendent tant de bons et loyaux services, c’est nécessaire. Tout comme le fut en son temps l’abolition de la peine de mort, ce serait, pour utiliser un vocabulaire à la mode, un indiscutable progrès sociétal.

On devrait donc se réjouir de l’initiative prise le 2 juillet par un groupe de citoyens en vue d’organiser un RIP (Référendum d’Initiative Partagée) « pour les animaux », dont le résultat, s’il est organisé un jour, est prévisible : ce sera forcément oui.

Qui, en effet, pourrait être contre les animaux ? 

C’est exactement pour cette raison qu’il faut regarder cette affaire d’un peu plus près : si la réponse à une question fait d’avance l’unanimité, à quoi bon la poser ? Est-ce que cela ne cache pas quelque chose ? 

Je crains que ce soit le cas dans ce projet de RIP, où l’on se propose de faire adopter par des électeurs qui se seront contentés de survoler le problème un train de mesures qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Pire : qui, parfois, se contredisent les unes les autres !

La meilleure illustration de ces ambiguïtés est l’attitude du fameux milliardaire Xavier Niel (fondateur et propriétaire de Free, et d’innombrables autres entreprises), qui est bizarrement un des principaux promoteurs de l’opération.

Xavier Niel a prouvé à diverses reprises sa passion (une de ses passions) pour le monde des courses. Il a été copropriétaire de Cirrus des Aigles, un des cracks les plus extraordinaires de ces dernières années, qui a arrêté de courir en 2016, à l’âge de 10 ans ; après avoir accumulé au cours de sa longue carrière près de 8 millions de gains (il serait d’ailleurs intéressant de savoir ce que ce cheval est devenu et, pour être plus précis, si Xavier Niel continue à lui assurer la retraite paisible qu’il mérite).

Tout récemment encore, le dynamique entrepreneur a sauvé de la faillite le groupe de presse Paris-Turf, confirmant ainsi son intérêt pour les activités hippiques. Lesquelles (c’est là qu’est le paradoxe) seront automatiquement menacées si le référendum dont il a pris l’initiative venait à aboutir. 

Parmi la demi-douzaine de mesures que propose ce référendum figure en effet « l’interdiction de l’élevage en cages, cases, stalles ou box ». Quelqu’un pourrait-il nous expliquer comment on s’y prendra alors pour faire naître et élever des chevaux de course s’il n’est plus possible de protéger les poulinières parturientes en les installant dans des box spacieux, confortables et sécurisés ?

Ce n’est pas la principale contradiction. Une autre mesure prévoit « l’interdiction des spectacles d’animaux vivants d’espèces non domestiques ». On peut voir dans cette mesure le désir de mettre fin aux abus constatés dans certains cirques dans la façon dont y sont traités des lions, des otaries ou des éléphants. Très bien. Mais si l’on interdit les éléphants, pourquoi n’interdirait-on pas aussi les chevaux ?

Entre un animal « sauvage » et un animal « domestique », la frontière, en effet, est souvent fragile. Considéré comme sauvage, l’éléphant peut être domestiqué, comme le savent tous ceux qui sont allés un jour en Inde ou en Thaïlande. À l’inverse, le cheval est-il vraiment un animal domestique ? Tristan Bernard semblait en douter lorsqu’il racontait avec humour ses démêlés avec le « noble solipède, dont Buffon a eu le tort de considérer la conquête comme définitive » (« Souvenirs épars d’un cavalier », 1917). 

Au-delà des plaisanteries, cette difficulté à définir clairement ce qui est sauvage et ce qui ne l’est pas présente un danger : après avoir interdit la présentation des éléphants dans les cirques, pourquoi autoriserait-on celle des chevaux ? Et si l’on interdit un jour l’emploi des chevaux dans les cirques, pourquoi l’autoriserait-on sur les hippodromes ? Ainsi que, de proche en proche, dans les centres équestres ou les poney clubs ? Faudra-t-il alors, tout bonnement, interdire l’équitation ?

Une autre mesure, enfin, préconise « l’interdiction de la chasse à courre », qui offre pourtant le principal débouché aux chevaux (trotteurs en particulier) qui ne peuvent faire carrière dans les courses. Le secteur emploie actuellement environ 8 000 chevaux. Que proposent Xavier Niel et ses amis : d’envoyer toute cette cavalerie à la boucherie ? 

Le contenu du projet du Référendum d’Initiative Partagée « pour les animaux » est, on le voit, d’une périlleuse ambiguïté. En amalgamant les mesures les plus souhaitables et les plus contestables, en misant sur l’innocence, la naïveté, la bienveillance de l’opinion publique pour faire absorber une pilule qui relève davantage de l’idéologie que d’une réelle empathie pour les animaux, il joue là un jeu qu’on est bien obligé de qualifier de malhonnête.

Il me semble en tout cas urgent de sursoir à l’adoption de ce projet de fausse consultation populaire, aux conséquences de laquelle on n’a manifestement pas assez réfléchi. 

On ne peut prendre à la légère, en effet, une série de mesures draconiennes ayant l’apparence de preuves de bienveillance à l’égard des animaux, mais qui, en réalité, déboucheraient sur ce que l’historien Ulrich Raulff a appelé « la rupture du pacte », qui unit l’homme au cheval depuis six millénaires (« Das letzte Jahrhundert der Pferde », 2015).

Le maintien de ce pacte, de ce lien, est au contraire plus nécessaire que jamais en ces temps où un petit virus est venu soudain nous rappeler la supériorité des forces de la nature. 

Prenons garde de ne pas couper nos liens avec elle. Le cheval est ce lien, peut-être le dernier. 

(*) : écrivain voyageur (de préférence à cheval), Jean-Louis Gouraud est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés aux cultures équestres. Dernier paru : « Petite géographie amoureuse du cheval » (Babel n°1676). Prix Nicolas Bouvier/Étonnants voyageurs 2017.

13/08/2020

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