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Souviens-Toi III s'en est allé

  • Souviens-toi et Roger-Yves Bost
    Souviens-toi et Roger-Yves Bost
Fils de Livarot et de Hue Cocotte par Beau Manoir, né en Normandie chez Michel Aubril, Souviens Toi III vient de s'éteindre à l'âge de 30 ans. Il coulait une retraite heureuse sur les verts pâturages de Daniel Regnouard en Haute-Normandie. Souviens-Toi fut le cheval de Bosty aux JO d'Atlanta. Souvenons-nous de ce grand cheval avec ce texte de Renaud Rahard et Marion Scalli publié dans Libération en 1995.

« Avec sept victoires, Roger-Yves Bost est le cavalier français qui a gagné le plus de Grand Prix de laCoupe du monde de saut d'obstacles. Il est, avec Hervé Godignon, l'un des deux seuls Français qualifiés pour la finale 1995 de cette Coupe du monde indoor, qui se déroule ce week-end à Göteborg en Suède. A 29 ans, il s'élancera en selle sur Souviens-Toi, un étalon de 11 ans à l'enfance de loubard.
Si Souviens-Toi était un homme, ce serait Mike Tyson. Un physique spectaculaire sur le terrain et un ours dans le civil. Moche au repos, homérique en action, violent avec ses partenaires ­par trouille bleue. Une force extravagante, une inquiétude de paranoïaque. 1,80 m au garrot ­un géant. Pas un poil blanc dans sa robe bai cerise et ses chaussettes noires. Une tête de violon sur une belle sortie d'encolure, un regard tourné vers sa colère intérieure. A 11 ans, Souviens-Toi est un crack qui revient de loin.
Il est né sous les pommiers à Yvetot-Bocage, en pleine Normandie, le 21 avril 1984. Une maman roturière, Hue Cocotte, et un papa fonctionnaire aux Haras national du Pin, Livarot. La Normandie, toujours. Vendu dès 18 mois comme cheval de dressage, il est vite rendu au grossiste en chevaux Alfred Lefèvre. «Il n'était pas facile à vendre, trop grand, trop dégingandé», confie son naisseur. Il atterrit chez Claude Lambert, acheteur stakhanoviste de bêtes douées pour l'obstacle. «C'était un animal désagréable à voir et à voir sauter. Une grosse tête, pas d'encolure, un regard vide. Un vrai cerf. Personne n'en voulait. Je l'ai acheté 50.000 francs, avec promesse de doubler la mise s'il révélait la moindre qualité.» En 1995, il n'est plus à vendre et a gagné quelque 800.000 francs en deux ans.
La philosophie Lambert c'est acheter beaucoup de chevaux et voir ceux «qui passent à travers les gouttes». Ouf! Souviens-Toi survit au bizutage. Il affronte ses pairs au championnat des 4 ans à Fontainebleau, puis se classe septième de sa génération aux 5 ans. «Il passait un mètre au-dessus des obstacles, dit Roger-Yves Bost. Il m'a plu tout de suite et j'ai demandé à Lambert de me le confier, mais Lambert a préféré Godignon.» «Jamais je n'ai monté un cheval d'une telle force», renchérit Hervé Godignon.
L'année de ses 6 ans, Souviens-Toi la passe donc dans les Yvelines, avec un cavalier de génie mais dont la désinvolture énerve Lambert. Dans le monde du cheval, le propriétaire est roi et le cheval transite par chez Philippe Rozier, avant de se retrouver chez Nelson Pessoa, le Brésilien star des années 70.
Le cavalier international n'a pas trop de temps à perdre sur les petits parcours, bons pour le moral des jeunes chevaux. Et Souviens-Toi tourne délinquant. Il refuse tout effort, se terre dans un coin de son box et envisage de détester l'homme à jamais. Mais c'est compter sans Bost qui a de la suite dans les idées. Il redemande le cheval à Lambert. Lequel accepte de lui confier, par dépit. Mais aussi parce que Bost, à cette époque, gagne tout avec Norton, le meilleur cheval de l'écurie Lambert (plus de 5 millions de gains). «J'ai récupéré Souviens-Toi l'hiver de ses 7 ans. Il s'arrêtait sur toutes les barres. Il avait perdu toute confiance en lui.»
Dans la grande écurie des Bost à Barbizon, Souviens-Toi réapprend le goût de la balade et le travail sur les obstacles. Tous les obstacles, les grands, les petits, les rapprochés, les épais, les colorés, les bordés d'eau, les larges et même les doubles.
Dans son grand box, avec vue sur son terrain de travail, il joue à être un grand cheval normal, même s'il «fait peur aux gens, parce qu'il couche les oreilles et cramponne la grille quand on passe à proximité. Mais c'est souvent du cinéma. Il a un bon fond.» Roger-Yves Bost fait dans le genre sobre, en paroles. A cheval, c'est du non-identifié avec gestes de sorcier...
Trois ans de travail. Des progrès par étapes. De longs moments de stagnation. Et des heures de jeu de con (les pattes qui traînent, la tête en l'air, le galop à fond la caisse...). «Il a même reçu quelques roustes. Il se pointait sur les postérieurs, tout droit. J'ai dû lui montrer que j'étais le plus fort. Au galop, il a une foulée de 4 mètres, 4,50 mètres, c'est énorme. Il y avait des moments où il était bloqué dans sa tête. Il a tellement de force et d'énergie que c'était pas toujours facile de canaliser tout ça.» Maintenant, Souviens-Toi est «un personnage de plus en plus sûr de lui, dit Bost. Il me fait confiance. Il se fie à ce que je lui demande et il saute. Ce qu'il y a de plus gros. Et de plus rapide. Impossible de ne pas répéter les gammes régulièrement. Ce n'est pas le genre de cheval à ne monter qu'en épreuve. Il faut lui entretenir le cerveau sur les obstacles. Mais au printemps, on le sent prêt à la connerie. C'est quand même un étalon.»
Si le cavalier a l'air soulagé, c'est que le cheval se tient à carreau depuis un an. Comme un Tyson sortant de prison... Il n'a plus peur de son talent et accepte celui de son cavalier.
La petite séance à laquelle l'a convié son propriétaire après un Bercy 1994 catastrophique ne doit pas y être pour rien. Souviens-Toi et Bost ont passé trois jours chez Lambert à refaire jusqu'au surmenage le parcours de la Coupe du monde, cravache au cul. On n'est pas toujours tendre chez les proprios. «Je voulais aller aux championnats d'Europe et on n'est allé à rien. Il fallait lui traiter le caractère», avoue Lambert. Mais Bost-le-tendre a molli. Un découragement de père ambitieux vite oublié depuis la sixième place au Championnat du monde l'été dernier et la première place à Bercy il y a quinze jours: «Il sait à présent ce que je peux obtenir de lui. Je ne le brime pas. Les gens disent il est pas dressé parce qu'il a la tête en l'air mais il n'est pas robotisé, c'est tout. Il est assez dressé pour gagner.»
Tout est bien qui finit bien ? Souviens-Toi et Bost préparent les Jeux olympiques. Mais le cheval supporte mal la chaleur, et il fera chaud, l'été prochain, à Atlanta. Pas à Göteborg ce week-end » .
RAHARD Renaud et SCALI Marion

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02/01/2015

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