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Quand Nicolas Chaudun s’en va t’en guerre

Il dit qu’il monte à cheval comme un sac de pommes de terre. Je ne l’ai jamais vu en selle, mais je ne le crois pas. A mon avis, cette confession relève davantage de la coquetterie que de la modestie. Un homme comme lui ne peut pas ressembler à Photo 1 sur 1
un tas de patates. Qu’il monte comme un cosaque, comme un hussard, c’est possible. Comme un chasseur, c’est probable. Je crois qu’il monte, en fait, comme il ?écrit : avec panache, sabre au clair, à grandes foulées, mais toujours avec élégance, et dans le respect de sa monture.

Nicolas Chaudun a l’écriture majestueuse, le propos noble. Ses phrases ont de l’ampleur; il ne déteste pas les enjoliver de fioritures : après tout, quand on est au galop de charge, rien n’interdit de faire quelques moulinets de son épée. Plus le clairon retentira, plus furieux semblera l’assaut. Mais, sous des apparences martiales, le gaillard est d’une exquise délicatesse. S’il met parfois, dans ses belles envolées, un peu de préciosité, qui – dans ce monde de brutes – s’en plaindra ?

Certes, tant de talent serait vain, voire agaçant, s’il était mis au service de frivolités, mais ce n’est point du tout le cas chez lui. Doté d’une immense culture artistique, Nicolas Chaudun s’attaque au contraire à de vastes sujets. Il publie ces jours-ci un essai – magistral – sur l’homme qui a redessiné Paris, ?« Haussmann, préfet-baron de la ?Seine » (Actes-Sud, 2009). Quelques années auparavant, il avait brossé, dans « La majesté des centaures » (Actes-Sud, 2006), une fresque, un panorama, balayant l’art du « portrait équestre dans la peinture occidentale » à travers les âges. Un livre superbe, au titre bien choisi, qui valut à son auteur le goncourt de la spécialité, le Prix Pégase – Ecole Nationale d’Equitation.

Dans cet ouvrage, Chaudun fait ?preuve – c’est une autre de ses qualités – d’audace en cherchant à démontrer (je résume, je simplifie, je caricature) que si, dans la peinture, le cheval a d’abord servi à l’homme de faire-valoir, de simple accessoire, il y a pris, petit à petit, la première place, occupé le premier rôle. S’appuyant sur une iconographie très convaincante, Chaudun montre qu’après avoir installé leurs modèles humains sur ce piédestal, ce socle, ce pinacle vivant qu’est le cheval, les peintres se sont peu à peu intéressés davantage aux montures qu’aux cavaliers. Pour réaliser leurs portraits soi-disant équestres, Antoine Van Dyck, Thomas Gainsborough, Joshua Reynolds, pour ne donner que ces trois exemples, ont fait mettre pied à terre à ceux qu’ils étaient censés portraiturer. Allant plus loin que leurs prédécesseurs, nombre d’artistes ont ensuite carrément repoussé les hommes hors cadre, hors champ, pour ne plus conserver que l’animal en majesté, pour se « concentrer sur l’éloge de la bête », comme l’écrit Chaudun.

Je ne sais pas si cette thèse est juste, mais son auteur sait nous y rallier, au moins le temps de sa lecture. Chaudun n’est pas qu’un sabreur, c’est aussi un meneur. Un guerrier !

Guerrier ? Oui, j’en suis persuadé : c’est là sa véritable nature – qu’il nous révèle, cette fois, non point comme écrivain, mais comme éditeur. Après avoir longtemps « fait le journaliste » (il a dirigé la rédaction du magazine ?« Beaux-Arts »), Nicolas Chaudun a créé, en effet, une petite maison d’édition qui porte son nom et ne publie que des beaux livres – vraiment beaux. Le plus récent s’intitule, nous y voilà, « Peindre la guerre ».

Je le dis tout net, c’est un livre magnifique et essentiel, un ouvrage indispensable grâce auquel on découvre ce qui peut apparaître après coup comme une banalité, mais n’avait jamais été explicité auparavant : peindre la guerre, c’est principalement peindre des chevaux. Les deux auteurs du livre, tous deux historiens de l’art, Jérôme Delaplanche et Axel Sanson (par ailleurs peintre et plasticien, mais aussi passionné d’uniformologie) nous en apportent la preuve époustouflante, à travers une abondante iconographie dans laquelle il ne manque pas un bouton de guêtre, pas un seul maître du genre, de Paolo Uccello et Piero della Francesca à Meissonier et Detaille, en passant, bien sûr, par Tintoret, Rubens, Tiepolo, Girodet, Gros, Lejeune, Delacroix, Vernet, et cinquante autres peintres moins connus.

Le survol proposé ici par les auteurs est chronologique – la Renaissance, l’Age Classique, le XIXe siècle –, mais chaque période est intelligemment subdivisée : pour l’Age Classique, par exemple, ils distinguent, à juste titre, le « tumulte » (les grandes mêlées) de la « topographie » (les perspectives cavalières). S’il faut saluer la subtilité de leurs analyses, l’abondance des exemples qu’ils proposent, on regrettera un peu que le chevalier Chaudun n’ait pas ici pris la plume lui-même. Avec un tel sujet, il aurait pu déployer tous ses talents de pourfendeur empanaché, mener quelques belles charges et faire faire à ses destriers quelques voltes majestueuses. Il a préféré s’en remettre à de bons artilleurs, excellents techniciens certes, mais tout de même simples fantassins, pauvres piétons. Or il n’est pas de vraie bataille – c’est du moins ce que prouve ce livre – sans déploiement de cavalerie.

Jean-Louis Gouraud

26/03/2009

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