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Paul-Anthony Roché : « Une décision de chef d’entreprise »

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  • Paul-Anthony Roché/Kapitol d’Argonne
    Paul-Anthony Roché/Kapitol d’Argonne
Il est certainement un des premiers à avoir fait connaître sa décision d’arrêter son activité centre équestre sur les réseaux sociaux. Paul-Anthony Roché, cavalier et gérant de la structure qu’il a créée en 2007 à Verneville (57) a en effet décidé, en pleine période de confinement, douloureuse pour les milliers de professionnels de ce secteur, d’y mettre fin, très lucidement, au regard des conséquences financières induites par cette longue période d’inactivité.  « C’est une décision de chef d’entreprise, dit-il, mes chevaux ne sont pas en train de mourir de faim, loin de là, les réserves sont pleines, mais c’est une décision prise en regardant l’avenir et le reste de l’année. C’est malheureusement inévitable dans ma situation. Je vais garder l’activité propriétaires, et l’activité concours pour ne pas mettre en péril le bien immobilier et je vais carrément changer de métier, j’ai monté mon entreprise de transport de marchandises lourdes ».

Le centre équestre de Vernéville, c’était une centaine de licenciés club pour 450 à 500 heures par mois de cours vendus à l’unité classé ainsi parmi les vingt gros clubs de Moselle qui se situent dans la tranche des100-130 licenciés. 

Paul-Anthony est aussi un cavalier qui a eu le bonheur de monter des chevaux promis à un grand avenir. Il y eut Kapitol d’Argonne, un seigneur, fils d’Apache d’Adriers et Dame Vannetaise x Galoubet qu’il acheta à 4 ans à son naisseur Pascal Trassart, Faust de Raon, un Hidalgo de Riou né Chez Sylvie, la compagne de Pascal et Lutin de St Matin qui s’est retrouvé avec Kapitol aux jeux mondiaux à Lexington.

. Comment vis-tu ce confinement ?

« C’est déjà un problème de temps de travail, notamment le premier mois. Quand on a une cavalerie de 47 chevaux, propriétaires inclus (j’ai une dizaine de propriétaires), on va dire que physiquement et moralement c’est compliqué, financièrement on se rend compte que l’année va être très, très dure à boucler. En plus les manifestations sont annulées alors que c’est un peu ce qui sauvait ma trésorerie tous les ans, et puis l’annulation de Lamotte, (je ne dis pas que la Fédé y est pour quelque chose, elle n’y est strictement pour rien), pour moi c’est financièrement un gouffre. J’ai le plus gros club en nombre de représentants à Lamotte. J’ai réussi à transmettre ma passion pour la compétition et l’année dernière, j’avais 23 cavaliers engagés. Pour nous chaque année Lamotte c’est un boulot de 10 jours très, très compliqués avec à chaque fois une bonne vingtaine de cavaliers. »

. Quel est le soutien de la Fédé dans cette période délicate ?

« J’ai eu par mon poste de président de CDE, de la concertation, après le soutien fédéral il est présent notamment dans la communication, maintenant ils sont aussi dépendants des décisions qui sont prises en haut, des fois elles sont même prises sans concertation avec eux, je n’incrimine pas du tout la Fédé, au contraire je pense qu’ils sont comme nous, ils sont un peu impuissants par rapport à ce qui est en train de se passer, comme dans toutes les filières. Mon frère est dans le BTP et c’est pareil ».

. Parle-moi de Kapitol d’Argonne

« Kapitol c’est une belle histoire qui dure encore. J’ai déjà eu la chance de rencontrer des éleveurs qui ont fait naître un bon cheval, la chance d’avoir croisé sa route ou inversement, à partir de ses 4 ans. Histoire, un peu compliquée à gérer pour un cavalier de mon niveau à cette époque-là, j’avais à peine 20 ans. Quand on a un cheval de cette capacité-là entre les mains c’est un peu compliqué, mais ça a été une belle histoire.

Je l’ai acheté fin de 4 ans mais il n’avait pas tourné. Débourré à 3 ans par Alain Fortin, il a été remis au parc. Il était vert de chez vert. J’ai fait les 5 ans, j’ai fait les 6 ans finaliste Fontainebleau, finaliste Lanaken, j’ai fait les 7 ans, la Grande Finale de Fontainebleau, donc dans les 20. Je n’avais pas été sélectionné pour Lanaken justement, ou injustement, quand on est dans ma situation on dit que c’est injuste, mais avec le recul je me dis que finalement je n’y avais pas ma place, donc du coup je suis parti au CSIO de Porto-Vecchio, un petit peu en concours-vacances, un petit peu par vengeance aussi par rapport à Lanaken. C’était mon premier CSI et c’est là-bas que Emilio Bicchoci a flashé sur le cheval. Il était en fin de son année de 7 ans ».

. Tu as tout gagné à Porto-Vecchio ?

« Je n’ai pas tout gagné mais je n’étais pas loin de le faire (rires). Je gagne le premier jour, je suis 6e le deuxième jour, je suis 2e du Grand Prix, enfin pour un premier CSI c’était assez remarquable. Après j’ai gagné aussi des petites épreuves. Enfin c’est vrai que j’y suis allé un petit peu le couteau entre les dents, j’étais « rageux » à l’époque de ma non qualification pour Lanaken, et je m’étais dit je vais en CSI, j’ai deux cartouches pour aller gagner les petites et les grosses, je vais leur montrer ce que je sais faire…

L’affaire s’est faite là-bas, après ça a été un peu compliqué. Emilio est venu un peu plus tard l’essayer à la maison, après un bon temps de récupération car le séjour en Corse avait été éprouvant. Emilio était en total accord avec cette période de repos et c’est d’ailleurs pour ça que mon choix s’est tourné vers lui, puisqu’à l’époque tout le monde le voulait. Après Porto-Vecchio ça a été un véritable harcèlement téléphonique de grands cavaliers français. C’est très très dur de résister à cette pression-là, mais c’est vrai qu’avec Emilio ça a collé tout de suite parce que c’est un homme de cheval. Après, comme dans tout commerce de cheval il a entendu tout et n’importe quoi sur le cheval, mais il m’a gardé sa confiance.  Le cheval a été à nous deux pendant 4 mois et puis au final il m’a dit c’est bon, banco, le cheval est à moi complètement. Belle histoire du début à la fin et  moi j’ai gardé de très, très bons contacts avec Emilio. Je suis parti en stage chez lui, ça m’a servi autant financièrement que moralement et que techniquement. Belle Histoire avec des lettres majuscules.

J’allais le voir en CSI, systématiquement, à Linz, à La Baule etc..  Dès que je pouvais prendre 2-3 jours je partais, j’étais accueilli par Emilio, j’avais le bracelet propriétaire. Belle grande année d’apprentissage en tant que spectateur de ce qui se faisait à haut niveau »

. Tu as eu d’autres chevaux de cette trempe-là ?

« Avant Kapitol j’ai eu Faust de Raon, qui était de l’élevage de Sylvie Trassart quand elle était encore à Raon dans les Vosges. En fait, c’était un cheval qui appartenait à Benjamin Mih, et que moi j’ai récupéré quand Benjamin passait son monitorat. Le cheval était en 3e catégorie et en fin d’année j’ai fait mes premiers Grands Prix 1re catégorie avec ce cheval-là. Il a été vendu à l’écurie Pessoa et il a fait les Coupes des Nations sous couleurs brésiliennes. Après Kapitol j’ai eu Lutin de St Martin qui est passé complètement transparent par rapport à Kapitol mais en fait il a fait les Jeux Equestres Mondiaux de Lexington, en même temps que Kapitol, sous selle jordanienne. Donc dans ma vie j’ai passé trois grands chevaux. J’ai toujours le rêve d’en avoir un autre ». 

. Tu as quel âge ?

« J’ai 38 ans. Papa de 2 enfants, ça aussi ça joue dans la balance, on pose un petit peu plus les décisions, on écoute un petit peu moins sa passion première et puis on regarde l’avenir. »

. Ton père était très actif dans les jurys de Lorraine ?

« Mon père à été très actif encore jusqu’à l’année dernière, il a du mal, malgré ses 80 ans à lâcher prise. J’aimerais bien qu’il ralentisse un peu mais ….Mais bon il a encore la patate, il a encore la foi, il est toujours là à soutenir, c’est ce que j’ai mis aussi un peu sur Facebook. Je ne pensais pas que ce post allait prendre cette importance-là. Le but c’était d’informer ma clientèle. C’est vrai que ça a pris une ampleur énorme, peut-être parce que je suis un des premiers à annoncer que je lâche le truc. On approche les 1 000 partages. Je n’ai jamais eu une publication qui a fait ça, même au temps de Kapitol (rires) ».

. Signes d’estime tous ces témoignages

« C’est l’ancrage dans le milieu, parce qu’il y a des gens que je ne connais pas du tout qui m’envoie des messages : « on ne vous connaît pas mais nous aussi on est gérants, on est aussi dans les mêmes questionnements sur l’avenir, en tout cas courage à vous. » 

On est une filière tout simplement de gens qui se soutiennent et puis quand il y a quelqu’un qui lâche le bout, il y a de l’émotion et ça c’est important. C’est ça que j’aimais beaucoup dans le 57, c’est pour ça que je suis devenu président du CDE, pour fédérer vraiment les professionnels. Je me rends compte que c’est compliqué parce que chacun à ses affinités et les gens n’arrivent pas à passer un petit au-dessus, ça reste un métier-passion et les gens le prennent vraiment à cœur ».

. Tu ne vas pas disparaître du champ cheval ?

« Non, au contraire. Je vais un petit peu poser ma vie de famille, avoir « un vrai métier » professionnel à côté. Je pars un peu de l’inconnu. J’ai passé le diplôme sur un coup de tête l’année dernière en révisant 3 semaines la capacité, je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi compliqué et puis finalement je l’ai eu. J’ai quand même des restes d’études, j’ai été cavalier par choix avec un bac S. Voilà ma décision c’est vraiment de me poser professionnellement et de remonter à cheval, et puis peut être d’avoir des élèves, mais sous forme de passion, non plus par obligation. Ça, ça va changer beaucoup de choses dans ma tête ».

. C’est un bel avenir que tu vois là !

« Oui, il y a un rebond, après on verra. J’ai vécu des belles années, j’espère en vivre encore et peut-être éventuellement avoir la possibilité, parce qu’aujourd’hui je ne l’ai pas et c’est très dur, d’investir dans un cheval, dans un coup de cœur comme j’avais eu à l’époque pour Kapitol quand je l’ai vu à 4 ans dans le rond de longe chez les Trassart.  On ne sait pas (rires), la vie est encore longue. »

ER 

05/05/2020

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