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Pascal Cadiou : « On ne peut pas avoir une année blanche »

  • Le Président du SF :
    Le Président du SF : "Des difficultés dans notre filière cheval, on en a toujours connu. Ce n’est pas un long fleuve tranquille."
Tonique, le président du stud-book SF, dans la tempête Covid. Pas question pour lui et son organisation de baisser les bras. Il va au feu et tient bon la barre. Dans cet entretien, il dit toute l’énergie qu’il faut déployer pour tenir le cap et préparer l’après. Confiant avec une analyse lucide de la situation. « Il y a cinquante mille raisons pour qu’on arrête tout le temps, tous les jours dans ce métier-là. Si on continue à se battre c’est parce qu’on ne peut pas vivre sans ».

. Quelle est l’ambiance au SF ?
« 
On a des questions légitimes sur l’évolution de la maladie, c’est compliqué de tirer des plans sur la comète, pour une reprise éventuelle, mais en même temps on passe nos journées à travailler pour mettre des procédures en place, pour continuer - cela a été fait pour la reproduction - à mettre des process en place en termes sanitaires pour que reprennent les concours de 4-6 ans et le contrôle de performances 0-3 ans. On évalue à peu près 6 000 individus par an entre les foals, les 3 ans, les espoirs du complet, l’événement femelles, les 2 et 3 ans, et ça c’est un support, à la fois d’évaluation de génétique, mais ce sont aussi des rassemblements qui permettent la commercialisation de cette production. Voilà l’objectif et les équipes sont mobilisées là dessus, et dans les jours qui viennent on va faire une demande officielle au Ministère de l’Agriculture, parce que le huis-clos on y est habitués : il y a plein de petits événements de concours de poulinières, de concours de 3 ans etc., qui se passent souvent entre nous. L’opportunité ce serait de peut-être y rajouter, comme c’est déjà souvent le cas pour ce qui est régional, la vidéo. Et on peut donc filmer la transformation de notre production. Il ne faut pas oublier qu’on est un produit agricole, et on le revendique. Quant aux gestes barrière, la désinfection, ce sont des choses qu’on maîtrise déjà dans les haras. Donc il n’y a pas de raison pour que, si on doit évaluer 30 ou 50 individus, on ne soit pas capables d’avoir la même rigueur.

Dans les cycles classiques on est dans le même process : il faut absolument que les chevaux puissent tourner, on ne peut pas avoir une année blanche. Parce que si les chevaux ne tournent pas il ne se forment pas, et s’ils ne se forment pas ils ne sont pas aptes à être commercialisés.

Des crises graves on en a connues, il y a toujours eu des choses pour se mettre en travers de notre chemin, et nous notre rôle et notre objectif c’est d’aller de l’avant.
Le cheval fera encore demain partie de notre vie, donc on continue – d’une part sur le plan sportif  je pense que la Fédé fait en sorte que les cours reprennent, les stages reprennent, les compétitions puissent reprendre. D’autre part au niveau des courses on voit qu’ils font le maximum pour repartir - même si c’est à huis clos - l’important c’est que tout ça reprenne, dans le respect des consignes sanitaires qui sont données. Il y a plein de métiers qui y sont confrontés et on trouve des solutions ».

. Penses-tu que le national Foals SF puisse se tenir?
« 
C’est peut-être celui-là, prévu début août, qui est le plus incertain. Mais il faut savoir qu’on a à peu près 70% des participants à ce championnat qui sont de Normandie ou de régions limitrophes. C’est le Grand Ouest. Donc je ne vois pas une annulation totale de cet événement, parce que je pense qu’il est important que les gens puissent comparer leurs poulains, qu’on puisse évaluer la jeune génétique, nos jeunes reproducteurs, etc. Donc on travaille pour que les régions puissent qualifier leurs poulains, et que ceux qui ont envie de se confronter fassent le déplacement. Tout sera mis en place pour accueillir le plus grand nombre, dans la mesure encore une fois où ce sera autorisé.


. Vous allez quand même envisager les concours de 3 ans ?
« 
La plupart de ce qu’on fait déjà en ce qui concerne les 3 ans se déroule de septembre à décembre avec le testage des étalons de 3 ans et demi. La plupart des régions font leurs concours régionaux de 3 ans à l’automne maintenant. S’il n’y a pas une rechute, une reprise de la maladie qui impliquerait un deuxième confinement, on travaille sur ces sujets-là, et si tout va bien on espère que tous nos rassemblements importants et championnats se dérouleront. Si Equita a lieu, et on le souhaite évidemment, bien sûr qu’on en fera partie : on sera avec eux, à leurs côtés, pour le bienfait des éleveurs Selle Français.


. Est-ce qu’il y a de l’inquiétude du côté des éleveurs, sur l’après, sur le marché ?
« 
Franchement les gens se disent plutôt qu’il va y avoir une légère chute des naissances l’année prochaine, mais que malgré tout le marché était en train de bien reprendre depuis 3 ou 4 ans. On avait enrayé la chute des naissances de 2014, 2015, 2016 et les gens cherchent des bons produits. Je pense donc qu’il faut absolument que les éleveurs qui sont dans le schéma de sélection qui est proposé par le stud-book continuent leurs efforts, parce que des chevaux, il va en manquer. Donc il faut continuer les efforts de sélection, il faut continuer l’ensemble de notre travail de transformation, pour demain être prêts et avoir la marchandise que les gens attendent de nous ».

. Combien de naissances en Selle Français ?
« 
En 2010 autour de 8 500, en 2014 on était redescendus à 5 500, et l’année dernière on se rapprochait de 7 000 ».


. Et la saison de monte ?
« 
Là on reprend l’activité de reproduction. Fin mars on était plutôt en augmentation. Fin avril on aura vraiment une idée, parce que globalement la reproduction chez nous c’est avril – mai – juin - jusqu’au 15 juillet ».

. Il n’y a donc pas trop de temps perdu ?
« 
Pour exemple j’ai des coups de fil (j’ai chez moi Popstar Lozonais) de gens qui m’appellent pour savoir quand on récolte, si on a démarré, et je leur réponds qu’on suit le protocole qui a été mis en place, et on avance. Avec des rendez-vous, etc. Mais c’était déjà le cas : les gens ne débarquent pas sans prendre rendez-vous. Chez moi les gens amenaient la veille au soir leur jument, et si la jument était à suivre on la gardait le temps de la chaleur, si la jument n’était pas cyclée en début de saison, on disait à l’éleveur de la ramener plus tard. Donc on fait de façon un peu plus structurée ce qu’on est déjà habitué à faire. La seule différence c’est au niveau du déchargement, puisqu’ici c’est nous qui la déchargeons ».

. Donc, plutôt confiant dans l’avenir, Pascal ?
« 
Disons oui, avec toutes les incertitudes légitimes qui se posent, parce que des difficultés dans notre filière cheval, on en a toujours connu. Ce n’est pas un long fleuve tranquille. Ce qui se passe ici est inédit surtout à cause de l’arrêt des compétitions, l’arrêt des cours, etc. Mais il y a près d’un million de pratiquants réguliers, le cheval c’est une activité qui parle, les gens sont sensibles au monde du cheval, à ce que cela véhicule. Donc demain cela restera le cas. Si vraiment demain les gens n’ont plus de moyens du tout c’est qu’on est arrivés dans une catastrophe économique sans nom ! Même dans les pires moments, de 2000 à 2015, les engagements en compétitions équestres n’ont pas cessé d’augmenter.

Et là en 2019 c’était en reprise également. Il y a beaucoup de gens qui pratiquent les sports équestres quelle que soit la discipline, que ce soit plus culturel, plus historique ou plus sportif, plus éducatif, il y a tellement d’actions différentes avec le cheval que le cheval fait partie de notre environnement. Il continuera à le faire, et nous on doit être prêts à rebondir.

. Tu n’as pas senti chez les éleveurs des réticences, du genre « on ne va pas faire saillir cette année, on ne sait pas ce qui nous attend. » ?
« 
Bien sûr il y en a quelques-uns, mais j’en connais d’autres qui ont mis toutes leurs bonnes 4 ans en transfert, pour ne pas perdre un an, parce qu’effectivement l’année de 4 ans n’étant pas fondamentale, on peut rattraper : quand un cheval a quatre ans, s’il a bien travaillé tout l’hiver, il peut « faire quelques parcours » et retourner en prairie, c’est souvent comme ça que ça se passe. Là ils vont retourner en prairie un peu plus tôt, ou ils repartent au prélèvement d’embryons. Ce qui serait vraiment dramatique c’est que les 5 et 6 ans ne puissent pas sortir, ça effectivement ce serait un manque de transformation pénalisant dans le temps pour la commercialisation, donc il faut absolument que cela reprenne. Et j’ai bon espoir parce que nous sommes un produit agricole, et que le concours de jeunes chevaux fait partie à part entière de la transformation, et qu’on ne peut pas attendre et prier le bon dieu !

. Sur les financements, pas d’inquiétude?
« 
De toutes les façons il faudra toujours transformer nos jeunes chevaux. Il faut donc qu’on travaille sur des projets ! Admettons qu’on nous dise demain qu’il n’y a plus de Fonds Eperon ? Moi je n’y crois pas du tout. Peut-être que les sports équestres vont aussi prétendre à un fonds de soutien ? Il va y avoir une concertation générale, qui va faire en sorte qu’il y ait un plan de soutien à la filière, et comme tout est mis en œuvre pour soutenir l’économie, on bénéficiera de ce soutien-là. Il y a des études d’impact qui sont en train de se réaliser, mais nous c’est surtout à la fin de l’année qu’on va voir l’impact. Je pense de toutes façons qu’avec ou sans nous, avec ou sans Fonds Éperon, on transformera toujours des jeunes chevaux pour les commercialiser ».

. Donc confiance pour l’après-demain ?
« 
Je fais confiance aux arbitrages, qui sont des arbitrages socio-économiques aussi : on sait bien que la filière cheval cela représente énormément d’emplois. La FFE c’est la première fédération sportive employeur, plus les éleveurs, et tout ce qui est induit : c’est une vraie économie. C’est certain que cette pandémie va avoir un impact, et l’a déjà, mais notre but c’est d’essayer de trouver toutes les solutions, et de se battre pour qu’on continue à fonctionner dans les conditions les moins mauvaises. Mais on y est habitués dans le métier : quand on vend des chevaux, on peut connaître des périodes de deux, trois, quatre ans sans avoir un bon cheval, et on fait le dos rond. Et puis un bon cheval te remet tout d’équerre. On travaille comme éleveur sur des cycles longs. Ce ne sont pas des métiers qu’on fait pour devenir riches, mais parce qu’on aime ce qu’on fait, c’est un métier passion, et la force des gens de chevaux c’est qu’ils sont habitués à traverser des moments difficiles. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas les accompagner, ni qu’on ne sollicite pas les pouvoirs publics, tout cela doit se faire, mais les gens ont la peau dure dans ce métier-là.

. Et les cavaliers dans ton entourage ?
« Les cavaliers professionnels, les transformateurs, ils bossent. Parfois ils allègent le travail, ce qui leur laisse le temps de faire des choses qu’ils n’ont pas l’habitude de faire : refaire les clôtures, repeindre, etc. Les journées s’organisent différemment. Tout cela dépend de la dimension de chaque structure, et de la diversité des choses qu’ils proposent. Les cavaliers bossent beaucoup, surtout dans les 5 et 6 ans, ils sont dans les starting-blocks.

. Le mot de la fin ?
« 
Au regard de ce qui se passe actuellement, et des situations terribles que beaucoup connaissent, on n’a pas le droit de se morfondre. On n’a qu’à se retrousser les manches, comme on sait le faire : quand on a des poulains qui meurent, un bon trois ans sur lequel on comptait, accidenté dans le camion, une hernie inguinale, il y a cinquante mille raisons pour qu’on arrête tout le temps, tous les jours dans ce métier-là. Si on continue à se battre c’est parce qu’on ne peut pas vivre sans ».

ER

16/04/2020

Actualités régionales