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Nos semblables et les autres par Jean-Louis Gouraud

(en ligne le 19 janvier 2009) Séchez vos cours si vous êtes étudiant, faites-vous porter pâle si vous êtes militaire, demandez à un médecin complaisant un arrêt de travail si vous êtes employé, faites comme vous voulez, mais débrouillez-vous pour vous rendre
libre, et précipitez-vous sous la verrière du Grand Palais, à Paris, impérativement avant le 12 février, date à laquelle se terminera l’extraordinaire exposition qu’y proposent Yann Arthus-Bertrand, Sibylle d’Orgeval et Baptiste Rouget-Luchaire, sous le titre « 6 milliards d’Autres ».
Jamais vu un truc comme ça !
Depuis le temps que Yann Arthus-Bertrand photographie « la Terre vue du ciel », il s’était trouvé des âmes chagrines pour dire à l’artiste : c’est bien votre machin, mais c’est trop abstrait, c’est purement esthétique, c’est donc un peu gratuit ; la terre, ce ne sont pas que des paysages, des taches de couleur : il y a des hommes, en bas ; ça grouille de vie, et cela, vos photos ne le montre pas.
Ce qu’il y a de bien avec Yann, c’est qu’il comprend vite, qu’on n’a pas besoin de lui dire trente-six fois la même chose : ce genre de remarques a tout de suite fait tilt dans sa tête. Elles lui ont donné l’idée de faire l’inverse de ce qu’il avait fait jusque-là : au lieu de faire des images fixes, il fera des images qui bougent, au lieu de la photo, ce sera de la vidéo ; et au lieu de prendre du recul, de la hauteur, de l’altitude, il s’est avancé, s’est rapproché, jusqu’au tête à tête, jusqu’au nez-à-nez. Comme avec Yann, on fait toujours les choses en grand (son côté mégalo !), il a cadré, comme cela, non pas les six milliards d’humains qui peuplent la planète, mais presque : près de six mille d’entre eux, ce n’est déjà pas mal ! Cinq ou six mille portraits vidéo, réalisés dans 75 pays : toutes races, toutes religions, toutes classes sociales, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes filmés plein cadre et priés de s’exprimer sur les grands sujets universels. La vie, la mort, l’amour, le bonheur, la guerre, l’avenir, Dieu – que sais-je encore !?
Ce sont ces cinq mille portraits que Yann Arthus-Bertrand « expose » au Grand Palais, dans la grande nef, du 10 janvier au 12 février, dans une astucieuse scénographie : une vingtaine de petites salles de projection, genre yourte mongole, chacune étant consacrée à un thème dominant. Et, au milieu de cet étrange campement, une sorte d’énorme cercle bavard, une tour de Babel, dans laquelle on cause toutes les langues. Cela aurait pu n’être qu’une gigantesque et insupportable cacophonie : y règne au contraire une merveilleuse harmonie. De yourte en yourte, une douce sensation s’installe peu à peu, une sympathie, une empathie, bien mieux qu’une simple prise de conscience de l’unité du genre humain, de l’universalité des pensées, des espoirs, des frayeurs humaines : un véritable sentiment de fraternité. À la différence de celle de la Bible, cette tour de Babel est un lieu dans lequel on se comprend, dans lequel tout le monde saisit de quoi parlent les autres, les 6 milliards d’Autres (avec majuscule svp).
Impossible de ne pas songer, en visitant cet endroit extraordinaire, à la petite fable tibétaine rapportée voici vingt ans par Françoise Gründ et Chérif Khaznadar, les fondateurs de la Maison des Cultures du Monde. Je cite : un jour, j’aperçus au loin une forme qui bougeait, et j’ai cru que c’était un animal. Je me suis rapproché, et j’ai vu que c’était un homme. En me rapprochant encore, j’ai vu que c’était mon frère.
Pour réaliser cette belle symphonie planétaire, Yann Arthus-Bertrand a eu la bonne idée de confier la direction des opérations à la belle globe-trotteuse Sibylle d’Orgeval, qui avait été son efficace assistante lors de la réalisation de son livre sur les chevaux. Ici, Sibylle a eu, à son tour, la bonne idée de se faire aider d’une autre intrépide pérégrine, Isabelle Vayron, vidéaste et photographe surdouée. À la fin des années 1990, Isabelle, encore gamine, avait entrepris (à vélo) un vaste périple planétaire, avec l’idée d’enregistrer au passage les chants et les musiques traditionnelles du monde. Elle en revint avec, en effet, des kilomètres de bandes magnétiques. Et quelques centaines de photos magnifiques de gens, de paysages – et de chevaux.
Après une décennie de déambulations sur les quatre (ou cinq) continents, Isabelle a réuni une centaine (un peu moins) de ses meilleurs prises de vue dans un petit livre carré (21 x 21) à la maquette, dieu merci, très sobre, et au texte, dieu merci, laconique (je dis dieu merci parce que, trop souvent, les livres de photos sont gâchés par l’intervention intempestive d’un maquettiste envahissant et/ ou les bavardages d’un rédacteur qui, en vérité, n’a pas grand chose de plus à dire que ce que montrent les images).
En une phrase seulement Isabelle explique son entreprise et justifie le titre de son livre : « Semblables ». Pendant dix ans, explique-t-elle (en d’autres termes), j’ai passé l’essentiel de mon temps à sillonner le monde, à rechercher les différences, pour conclure que, au-delà des apparences, nous sommes tous « semblables ». Joli, non ?
Il se dégage en tout cas des photos d’Isabelle Vayron un véritable amour non seulement pour les formes et les couleurs, mais pour l’humanité tout entière. Toutefois, à ses beaux portraits de vieillard afghan, de paysanne éthiopienne, de gamines mongoles, ou de cow-boys virils, je préfère sa façon de regarder les chevaux, qu’elle photographie admirablement parce qu’elle sait les voir. Parce qu’elle les aime.
(Pour se procurer « Semblables », contacter ).
Le cheval, c’est aussi la passion de Emilie Haillot. Comme son maître et ami Jean-Louis Sauvat, Emilie pratique à la fois l’art équestre et les arts plastiques. Graphiste et illustratrice (souvent inspirée par la grâce et le mouvement du cheval), elle est la fille d’un photographe célèbre, qui fut longtemps rédacteur-en-chef-photo de « L’Express », Jacques Haillot (1941-1998).
Jacques Haillot est, en particulier, l’auteur d’une des plus fameuses photos des années 60 : celle où l’on voit, en noir-et-blanc, Daniel Cohn-Bendit provoquer un CRS casqué d’un sourire et d’un regard qui expriment formidablement l’insolence joyeuse des émeutiers de mai 68.
À feuilleter le petit album (19 x 19) que la fille vient de consacrer à son père (aux éditions SEQUOIA), on survole toute une époque, marquée par la révolution iranienne, la guerre du Kippour, le Tchad, la révolution des œillets, la Marche verte vers le Sahara ex-espagnol et, naturellement, les barricades sur le Boul’Mich’. On y croise, à l’occasion, Nixon, Ceausescu, De Gaulle, bien sûr, mais aussi Brassens, Ionesco, Paul VI et Marguerite Duras…
Il faut remercier (et féliciter) Emilie de cet hommage à son père, grand photographe, grand témoin de la folie des hommes, ces « Autres » qui sont aussi nos « Semblables ».
Jean-Louis Gouraud

15/01/2009

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