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La génomique au service de l’élevage

Dans une précédente interview, le professeur Jean-François Chary nous indiquait les progrès de la recherche génomique et incitait le monde de l'élevage à puiser sans réserve dans les découvertes de la science. Laurent Schibler, chercheur dans l'équipe Biologie Intégrative et Génétique Equine à l'INRA de Jouy-en-Josas, a fait le point sur les recherches en génomique chez le cheval et présenté l'intérêt des outils disponibles à la conférence internationale organisée par la SHF lors du jumping de Bordeaux. Retour sur ce sujet du plus haut intérêt pour l'élevage équin. Photo 1 sur 2

Qu’est-ce que la génomique ?

La génomique étudie la structure et le fonctionnement des génomes et comporte 1) la génomique structurale qui étudie l’architecture et la variabilité des génomes (les gènes portent des mutations qui définissent différents allèles) ; 2) la génomique fonctionnelle, qui vise à déterminer la fonction et l’expression des gènes en caractérisant l’ensemble des transcrits (transcriptome) et des protéines (protéome) ainsi que les éléments de leur régulation.
Les outils technologiques et les connaissances acquises depuis 2007, date de la publication de la séquence du génome équin, offrent de multiples perspectives appliquées, tant en termes d’amélioration ou de dépistage génétique qu’en termes de prédiction des aptitudes, de gestion de l’entraînement, de prévention et de traitement de maladies ou de maîtrise de l’alimentation.

Les outils de la génomique

Les principales technologies permettent une analyse détaillée du génome et de son expression pour un coût abordable. Les «puces à ADN» permettent ainsi d’analyser le polymorphisme de 74.000 positions dans le génome (marqueurs SNP) ou de mesurer le niveau d’expression de près de 40.000 gènes. Les nouvelles générations de séquenceurs (NGS), comme l’Illumina HiSeq2000, permettent aujourd’hui de séquencer l’équivalent de plusieurs centaines de génome en moins de deux semaines.

La génomique et le conseil génétique.

Les applications initiales de la génomique équine ont porté il y a déjà une dizaine d’année sur la détermination de la couleur des robes et le dépistage des maladies héréditaires monogéniques (due à une mutation d’un seul gène). Une trentaine de gènes a ainsi été identifiée. Des tests génétiques, réalisés après une simple prise de sang, permettent ainsi le dépistage précoce des animaux porteurs pour soit optimiser les accouplements afin obtenir la couleur de robe désirée, soit éviter les accouplements à risque afin de réduire l’incidence d’une pathologie, sans pour autant appauvrir le pool génétique. Ces applications sont cependant restées confidentielles chez le cheval, limitées par la méconnaissance du déterminisme génétique de nombreuses pathologies et de l’absence de recueil centralisé des informations.

Génomique, amélioration génétique et caractérisation des aptitudes

Les chevaux sont, pour la plupart, élevés pour leurs performances sportives. Les capacités athlétiques résultent de l’interaction de différents facteurs incluant l’environnement, l’état de santé, l’entraînement et bien sûr la génétique. Des études ont montré que chez les pur-sang, 30% de la performance de course est due à des composants de l’hérédité (Gaffney and Cunningham, 1988). De façon générale, la génétique explique de 25 à 45 % de la performance sportive selon les races et les disciplines, soit des valeurs comparables à celles obtenues pour la production laitière des bovins, aussi surprenant que cela puisse paraître pour un tel caractère synthétique et complexe.

L’aptitude sportive constitue un caractère abordé par la mesure de plusieurs critères : le modèle, les allures et les performances en compétition. Obtenir une information fiable quant au potentiel génétique d’un cheval est donc long, puisqu’il faut attendre de pouvoir observer ses performances, voire les performances de sa descendance pour déterminer s’il possède une combinaison favorable d’allèles des gènes d’intérêt. La génomique, en évaluant directement les allèles transmis par les parents, peut permettre d’obtenir une caractérisation dès la naissance du poulain et faciliter la détection précoce de « talents », ce qui est généralement considéré comme la clé du succès de l’élevage (Equine genomics and athletic performance, E. W. Hill, 08/12/2007, http://en.engormix.com).

Reste à identifier les gènes d’intérêt grâce à différentes approches de cartographie couplant génétique et génomique. Ainsi chez l’Homme, plus de 150 gènes « candidats » potentiellement déterminants de la performance et de la bonne santé physique ont été identifiés en 2006 (Rankinen et al., 2006). Certains allèles de ces gènes sont rencontrés plus fréquemment chez les rameurs, les montagnards et les coureurs de fond que dans la population générale (Montgomery et al., 1998). D’autres gènes pourraient aussi être associés aux performances cardio-respiratoires ou à l’énergie dégagée par les muscles (MacArthur and North, 2005). De même chez le pur-sang anglais, un polymorphisme du gène de la myostatine est associé aux aptitudes sportives : les chevaux C/C sont de bons sprinters, les individus T/T ont plus d’endurance et gagnent les courses de fond (stayers) alors que les hétérozygotes C/T peuvent être d’excellents milers. Depuis 2010, la société Equinome propose un test dit « Speed Gene test », ou « test du gène de vitesse» permettant aux propriétaires et entraîneurs de réduire considérablement la durée d’incertitude qu’impliquent normalement les décisions sur la sélection, la nutrition et l’entraînement pendant les premières années de vie d’un cheval (Genetic Test for ‘Speed Gene’ in Thoroughbred Horses, Science Daily, 2 Février 2010). Ce test correspond à la 1ère caractérisation connue d’un lien entre un gène et un profil athlétique chez les pur-sang. Il permet de déterminer la distance optimale de course des poulains et d’orienter en conséquence leur entraînement. Cette analyse a été complétée en 2011 par le test “Elite Performance”  qui analyse différents panels de 80 variants supplémentaires en fonction du génotype myostatine (Equinome Launches Elite Performance Test for Thoroughbred Horses, ScienceDaily, 18 Juillet 2011).

Plutôt que de rechercher individuellement les gènes d’intérêt, la caractérisation génomique exploite plus généralement la totalité des 74.000 marqueurs génétiques disponibles sur la puce de génotypage équine. Elle repose sur le génotypage et le phénotypage d’une population de référence pour établir des équations de prédiction de la valeur génétique. Ces équations sont ensuite appliquées au reste de la population, après génotypage, pour évaluer le potentiel des animaux non phénotypés. Cela permet par exemple de calculer dès la naissance des indices aussi précis que ceux obtenus actuellement à l’âge de 5 ou 6 ans, ou d’évaluer le potentiel génétique des poulinières sans performances. Ces informations peuvent être utilisées dans un but d’amélioration génétique des populations (indices génomiques), mais également individuellement afin de mieux valoriser les chevaux par une meilleure gestion de leur carrière et un management adapté.

La caractérisation génomique n’est évidemment pas limitée aux seules aptitudes sportives. Tout critère d’intérêt peut être analysé, en particulier des critères difficiles à appréhender actuellement, comme le tempérament, la robustesse et bien évidemment la prédisposition à diverses pathologies complexes, déterminées par de nombreux facteurs génétiques et environnementaux qui, pris isolément, ont des effets modestes sur le risque d’apparition des symptômes

Génomique et gestion de l’entraînement et de l’alimentation

La génomique permet également de mieux comprendre les mécanismes qui régulent le fonctionnement cellulaire et facilite l’identification de biomarqueurs à partir de prise de sang ou de micro-biopsies. De tels biomarqueurs en lien avec la réponse à l’entraînement pourraient permettre, par exemple, une meilleure gestion du travail des chevaux, en réduisant les risques de pathologies liées au surentraînement ou à la fatigue. Ces informations peuvent également être exploitées en termes de diagnostic ou de pronostic et ouvrent également la voie à la «génomique personnelle», c’est-à-dire à une prédiction individuelle, permettant d’adapter la conduite des animaux pour prévenir la survenue des pathologies (alimentation, type d’exercice…).

De même, la nutrigénomique étudie l’impact des nutriments sur l’expression du génome et l’impact du polymorphisme de l’ADN sur les besoins nutritionnels. Chez le cheval, l’objectif serait par exemple d’identifier des éléments nutritifs pouvant influer sur l’expression des gènes en lien avec les performances (sportives, reproduction…) ou la santé. La connaissance de tels nutriments ouvre la voie à la commercialisation de compléments alimentaires permettant d’exploiter pleinement le potentiel génétique des animaux. La compréhension de la variation de réponse aux nutriments en fonction du génotype permet d’aller encore plus loin, en optimisant l’alimentation pour chaque individu afin de maximiser l’expression du potentiel génétique tout au long de la carrière sportive du cheval. Ces applications en plein essor chez les bovins sont encore embryonnaires chez le cheval, limitées par l’insuffisance des recherches et des études de validation, mais elles connaîtront indubitablement un essor important au niveau international.

En conclusion, la génomique offre des applications multiples en matière d’élevage, de sélection et d’entraînement des chevaux. Si les applications en termes d’amélioration génétique sont désormais accessibles, les applications de prédiction individuelle en termes de performances ou de santé n’en sont qu’à leurs débuts. Développer ces applications nécessitera un dialogue constructif plus intense et une implication de tous les acteurs des filières car ces prédictions individuelles ne présentent un intérêt que si elles amènent à des préconisations au plan zootechnique ou vétérinaire : quelle conduite de l’élevage, quelle orientation de l’animal, quels traitements et quels soins apportés en fonction du statut des animaux. La génomique ne fait pas de miracle, elle ne remplace ni la mesure des performances, ni l’expertise de l’éleveur, de l’entraîneur, du praticien vétérinaire ou du cavalier. C’est simplement un nouvel outil qui permettra à chacun de mieux valoriser ses compétences. Dans un contexte économique difficile, la génomique pourrait contribuer au maintien du niveau d’excellence des populations équines française et à la compétitivité économique de la filière en fournissant aux éleveurs et entraîneurs des informations jusqu’ici inaccessibles, les aidant à prendre des décisions impliquant parfois plusieurs millions d’€. De réelles opportunités existent, encore faudra-t-il les saisir à temps.

Dossier réalisé par Etienne Robert et Alice Persoons en collaboration avec Laurent Schibler

Quelles sont les applications pratiques de ces découvertes et comment peuvent-elles être mises en œuvre rapidement?
« L'application la plus simple et la plus rapide à mettre en œuvre serait l'évaluation génomique : il existe déjà une centralisation des prélèvements sanguins (pour le contrôle de filiation), les résultats de performance sont déjà enregistrés et centralisés, le coût reste abordable.
Sur la base d'un tel programme, il devrait être possible d'agréger d'autres mesures lors des concours d'élevage (ex : la morphologie, les allures, le tempérament, l'expression des gènes), des informations sur les pathologies (sensibilité aux nématodes, ostéochondrose...) ou des informations sur la réponse à l'entraînement ou l'effet de l'exercice. Outre les retombées en amélioration génétique, ces informations permettraient progressivement d'identifier des biomarqueurs pertinents et d'améliorer le pouvoir prédictif au plan individuel.
A plus long terme, la nutrigénomique devrait permettre d'optimiser le potentiel génétique via l'alimentation ».
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A partir de ces connaissances nouvelles, va-t-on pouvoir faire naître à coup sûr le crack de demain ?
« Non ! Grâce à la génomique, l'éleveur peut disposer d'une information plus riche et plus précoce qu'avec la seule génétique pour choisir les animaux qui lui paraissent les plus appropriés et ainsi mettre toutes les chances de son côté. Mais le résultat exact du croisement ne peut pas être prédit du fait de l'aléa de méiose (chaque parent possède 2 copies de chacun des 32 chromosomes et n'en transmet qu'une aléatoirement à son descendant). Le brassage inter-chromosomique conduit ainsi à 232 soit plus de 4 milliards de combinaisons possibles pour chaque parent. Par contre, contrairement à la génétique, la génomique permet dès la naissance d'identifier les individus ayant reçu des combinaisons considérées comme plus favorables. Si la population de référence est suffisamment grande et analysée par rapport à plusieurs critères et non pas seulement la performance (imaginons par exemple des mesures de tempérament ou de comportement, en lien avec des qualités de cheval de loisir ou de club), il devient possible de caractériser le poulain et de l'orienter précocement vers l'activité pour laquelle il semble le plus adapté ».

Quelle est la position de la France par rapport aux autres pays européens dans ce domaine de la génomique équine ?

« La France est dans le peloton de tête dans le domaine ; elle bénéficie d'un fichier centralisé des équidés, de leur généalogie et performances, mais la recherche souffre de l'éclatement des structures et des filières, du manque d'un observatoire des anomalies génétiques et des difficultés d'accès à des animaux phénotypés. La création de la fondation Hippolia constitue de ce point de vue une réelle opportunité. Le leadership en matière de caractérisation génomique est encore à prendre, mais probablement plus pour longtemps. Le sujet étant hautement stratégique, la communication sur ce thème est plutôt réduite, mais il semblerait que des projets soient en cours de maturation dans quelques pays européens ».

Qui, en France, doit (ou peut) favoriser ou promouvoir ces techniques de reproduction ?
« Il ne s'agit pas de techniques de reproduction, mais plutôt d'outils d'aide à la décision. L'INRA et l'IFCE sont évidemment des institutions incontournables, tant pour le développement et l'optimisation des méthodes que pour l'ingénierie de l'évaluation ou la gestion des données. Mais seules, elles ne peuvent pas faire avancer le dossier. Les vétérinaires ont également un rôle important à jouer dans l'étude des pathologies et l'élaboration de recommandations adaptées au génotype. Les maisons mères, les associations d'éleveurs et les fédérations ont également un rôle essentiel dans le recueil des phénotypes. A supposer que l'ensemble de ces acteurs institutionnels se concertent et collaborent pour développer un programme intégré, objectif que j'appelle de mes vœux et que je m'efforce d'atteindre, encore faudra-t-il que les associations de races, les éleveurs, entraîneurs et cavaliers y voient un intérêt et y participent activement ».
22/03/2012

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