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Jean Lefebvre nous a quittés

  • Au coin du feu, avec son fils Frédéric, discussion à bâtons rompus sur un demi siècle de vie d’éleveur et toute une vie de labeur, dans cette cossue auberge de l’Abbaye tenue par la famille depuis six générations.(Photo ER)
    Au coin du feu, avec son fils Frédéric, discussion à bâtons rompus sur un demi siècle de vie d’éleveur et toute une vie de labeur, dans cette cossue auberge de l’Abbaye tenue par la famille depuis six générations.(Photo ER)
C'était un personnage Jean. Il vient de nous quitter à l'âge de 86 ans. Malade du cœur, il ne s'est jamais remis d'une récente intervention chirurgicale qui l'a éloigné en octobre de l'approbation des étalons et l'a privé d'un moment d'émotion qu'il affectionnait quand un de ses animaux était sur le podium. C'était encore le cas cette année avec Brillanturo Ixe, vice-champion des 3 ans. Eleveur dans l'âme, Jean était aussi un bâtisseur. Parti de rien ou de si peu, il s'est forgé à Signy-l'Abbaye dans les Ardennes, un beau patrimoine et une réputation de sélectionneur qui a largement dépassé nos frontières hexagonales. Visionnaire et intuitif dans la génétique comme dans les choses simples, il a orienté sa vie vers le meilleur avec un rare souci de perfection et une intelligence toujours en éveil. Nous lui avions consacré en décembre 2011, un « coup de coeur » que nous reproduisons ici. La rencontre se déroulait à l'auberge de Signy qu'il a reconstruite de ses mains avec son épouse et que son fils Frédéric fait fructifier. Bel établissement de caractère, chaleureux, confortable et très réputé. A sa famille et à ses amis, nous adressons nos condoléances émues.  

Jean, le bâtisseur

C’est à lui, Jean Lefebvre, l’homme de Signy-L’abbaye dans les Ardennes que nous dédions ce coup de coeur 2011. L’actualité récente vient de le propulser (une fois de plus) sur le devant de la scène médiatico-commerciale. Son Von Chacco Ixe a fait un tabac au marché Fences. Eberlué, Jean-le-Magnifique ! Eberlué mais doublement heureux; du prix bien sûr et du fait que le cheval reste en France, en de bonnes mains chez des gens qui aiment les chevaux, Liliane Fromer, Katarina et Yannick Carlo.

Au coin du feu, avec son fils Frédéric, discussion à bâtons rompus sur un demi siècle de vie d’éleveur et toute une vie de labeur, dans cette cossue auberge de l’Abbaye tenue par la famille depuis six générations.

Un nom arrive d’emblée dans la conversation : celui de Roger Douillet. C’est lui qui a mis Jean sur la piste des chevaux de sport dans les années 70. Roger était président des éleveurs de Champagne-Ardenne. Jean avait déjà acquis une solide réputation internationale de sélectionneur dans la race ovine Texel et avec les races bovines de Charolais et Blonde d’Aquitaine. « Eleveur passionné comme tu es, lui dit Roger, tu devrais t’intéresser aux chevaux ». Le message a fait tilt. L’aventure XXL commence là.

Fils de paysan, paysan dans l’âme, Jean Lefèvre est né à Rockigny dans les Ardennes. Il va à l’école agricole tenue par les Frères des écoles chrétiennes puis travaille à la ferme paternelle. A Signy, il rencontre Simone, la fille du patron de l’hôtel du Commerce. Il l’épouse. Dans la corbeille des mariés : deux vaches et un piano... L’hôtel du Commerce est un établissement modeste que le couple va reprendre en mains et acheter en viager quelques années plus tard. Leur idée : redonner un coup de jeune à l’hôtel et le vendre pour acheter une ferme. Intelligent, self-made man, autodidacte, pragmatique, malin, Jean fera beaucoup mieux. L’hôtel du Commerce deviendra l’Auberge de l’Abbaye « remontée pierre par pierre par moi et quelques compagnons maçons ». Simone et lui la feront prospérer, la garderont et Jean, par l’achat de terrains, hectare après hectare aura finalement sa ferme. En plus. Là, l’instinct de l’éleveur reprend le dessus. Avec les moutons d’abord. La race Texel l’inspire. La réputation de ses béliers franchira la Manche. On vient d’Ecosse lui acheter ses bêtes à prix fort. 120 000 F en 70 pour un bélier acquis par cinq moutonniers de Sa Majesté. Là-bas, Jean devient vite une référence, un expert qui fait partie de tous les jurys importants. Parfois juge unique. Une fois toutes les six semaines, il se rend en Ecosse.

Germaniste instinctif, il se met à l’Anglais sur le tas et tisse des liens durables outre-Manche. Il a la bosse du commerce. L’affaire des moutons, ça roule pour lui. Parallèlement, l’élevage de bovins Charolais devient lui aussi florissant. La mode étant à la Blonde d’Aquitaine, Jean liquide les Charolais et se lance avec le même zèle dans le must de la viande goûteuse. Là encore, ça marche et ça dure toujours aujourd’hui puisque Frédéric, son fils ingénieur agro, a suivi, amplifié et revisité à sa manière le modèle paternel. Au fil du temps, pendant que Simone fait tourner l’auberge, Jean achète des hectares pour ses bêtes, construit des bâtiments, achète un moulin qu’il transforme en pisciculture, travaille comme un fou. Aujourd’hui, le Moulin Noir est une superbe propriété de caractère où les Ixe viennent grandir. Pas de superflu, pas d’ostentation. Juste du vrai, du durable, du solide et du naturellement beau. Du Jean Lefèbvre, quoi.
L’histoire des Ixe était inévitable pour ce bâtisseur, éleveur-né, orfèvre es-espèces animales. Roger Douillet avait vu juste. Jean connaissait un peu les chevaux, de trait et de loisir surtout. En 1939, à 11 ans, il trottait déjà l’Ardennaise paternelle à Vittel. C’est dire. En peu de temps, au contact de feu Luc de Tassigny entre autres, il s’est forgé une religion et... une souche. Amusé, un brin coquin, il se remémore la saga de Questeur (Furioso) qui transmettait ses balzanes herminées, de l’anglo Vas Y II, de Jean Royer, chef de station, des us et coutumes de l’époque épique de cet âge d’or du cheval où parfois les papiers s’échangeaient « sous le manteau ».

Puis vint Christine II, une poulinière qu’il échangea contre des agnelles. Croisée à Questeur elle donna Hosanna, vendue à Yves Lemaire. Mariée en principe à Vas Y II, Christine II donna naissance à une belle pouliche. Pas totalement certain de la paternité, Jean-le-facétieux la baptisa Ixe. Ce fut le début de la saga des Ixe.

Mariée quatre fois de suite à Narcos « l’archétype du bon cheval », dixit Jean, elle donna naissance à trois pouliches : Unixe Girl, Very Nice Girl et Another Girl qui engendrèrent tous les bons chevaux de l’écurie de Signy-L’abbaye.

Pour mémoire  (non exhaustif) :
De Unixe Girl 

Juliana Ixe (Voltaire), championne de France à 5 ans et 6 ans, poulinière mère de Rassilia Ixe (Hélios de la Cour) - elle-même mère de Ulixe (Contendro) étalon vendu au haras de Hus -, Sibellixe (C .Indoctro) double sans-faute à Lanaken et Tager Ixe (Opium de Talma).
Golden Boy of Stew (Stew Boy)
Initiale Ixe (Burggraaf) mère de Niac Boy (Easy Boy) et Tresor Basters (Diamant de Semilly)
None Ixe (Elan de la Cour)
Olympe Ixe ( Rosire)
Sarkos Ixe (Calvaro)

De Very Nice Girl : 

Easy Boy (Nidor Platière) étalon
Future Ixe Girl (Ulak du château)
Ixelle Ixe (Nidor) mère de Onasixe (Royal Feu) étalon, Par Ixe (Fergar Mail) étalon, Quartz Ixe (Diamant), Référence Ixe (For Pleasure), Tendance Ixe (Quidam de Revel), Tradition Ixe (Diamant), Von Chacco Ixe (Chacco Blue) étalon.
Monsieur Ixe (Nidor)

Voilà la saga des Ixe. A nulle autre pareille. Championne du pur SF, championne du métissage. C’est la marque des Ixe et de Jean de Ixe, germanophile distingué et germaniste d’instinct. Il aime les grosses berlines allemandes et les étalons allemands « mais toujours sur des juments SF et pas avec n’importe quel étalon. Ils sont toujours facteur de SF ».

Je n’oublierai jamais la façon dont il avait regardé Chacco Blue un jour de janvier 2008 lorsqu’avec son ami Jean-Marie Charlot et un groupe d’éleveurs de Champagne-Ardenne et de Lorraine nous avions visité l’écurie de Paul Schockemölhe. Il n’y a pas de hasard. Juste du métier et un peu de chance.
Respect Herr Jean de Ixe.

Etienne Robert

 

10/12/2014

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