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Ferrage ou sabots libres ? Par Pierre Enoff*

Technique Le sujet est polémique, mais quelle est la véritable motivation du mouvement grandissant des chevaux « pieds nus » ? Photo 1 sur 2
Le retour aux sabots libres, aux chevaux pieds nus, ne ressemble pas à une mode et encore moins à une phobie fruit de l'imagination de quelques gourous en marge du monde équestre. C'est en s'appuyant sur des réalités scientifiques que cette démarche est initiée.

Au cours de ces dernières décennies, le cheval a changé de statut « social ». A juste titre, nous souhaitons entretenir avec lui une relation respectueuse. Toutefois si nous avons quitté la période équestre militaire nous en avons gardé quelques habitudes. Le ferrage fait partie de ces habitudes et c'est ainsi sans véritablement se poser de questions que nous ferrons nos chevaux.
Mais qu'en est-il précisément de ce bout du doigt sur lequel marche notre cheval ?
Le sabot qui couvre le bout du doigt du cheval, est constitué de trois textures différentes qui remplissent trois fonctions principales :
La Paroi : Pare choc sensoriel
La sole : durillon plantaire assurant l'élasticité de la boite cornée
Les fourchettes et glomes : coussinet amortisseur.

La Paroi : capteur sensoriel essentiel

C'est une erreur d'interprétation qui est à l'origine de la pratique traditionnelle du ferrage. En effet la pose d'un fer sur la paroi d'un sabot rend inopérant la fonction sensitive de la boite cornée. Nous savons que la paroi est un ongle. Cet ongle n'est autre qu'un ensemble de poils agglutinés qui sont chacun pourvu d'un bulbe. Cet ensemble de bulbes vibre et renseigne le cheval sur la nature exacte de l'appui au sol. La pose d'un fer inhibe cette fonction sensorielle essentielle. En le ferrant, nous rendons « sourd » notre cheval. Le cheval insensibilisé marche ainsi sans discernement, sans savoir ce qu'il a sous ses sabots. Le cavalier croit avoir protégé le sabot alors qu'il l'a rendu insensible.
Cette fausse interprétation traditionnelle a pour inconvénient majeur de solliciter anormalement les cartilages et les tendons alors que la nature a mis en place avec précaution ce capteur sensoriel pour les protéger.
Nous comprenons mieux comment le cheval, animal nocturne, peut se déplacer aisément grâce à ce système proprioceptif élaboré. Un cheval sabots libres ne regarde pas où il pose ses pieds et sait exactement où se situent ses postérieurs en évitant ainsi d'agresser ses antérieurs. Sur un sol glissant le cheval « pieds nus » va être en capacité de savoir si l'appui « tient » ou s'il convient de le modifier. Ce système sophistiqué de type « ABS » évite la glissade incontrôlée ou la chute. Inutile de cramponner ou de faire appel à tout autre artifice, le sabot libre, mis au point depuis des millions d'années, demeure le mieux disant en terme d'adhérence.

La modification architecturale de la chaîne tendineuse

Le cheval passe le plus clair de son temps debout. La nature a fait sorte que cette station debout dépense un minimum d'énergie. C'est la chaine tendineuse, véritable haubanage, qui permet à l'ensemble de l'individu de se tenir debout sans solliciter la partie musculaire. Cet haubanage est réglé avec précision et assure la stabilité de l'individu. Cette réalité factuelle n'est observé que pour un cheval pieds nus. Elle n'est plus possible quand nous posons une cale rigide sous les sabots. Durant la période où le sabot est équipé d'un fer, l'ongle, la paroi, continue de pousser. En pince la pousse s'oriente vers l'avant. A l'arrière, avec les barres cette pousse fait monter les talons. Cette modification de la hauteur des talons a pour effet de dérégler le « haubanage » et de générer le fameux syndrome naviculaire. Nous savons que si nous modifions le haubanage réglé d'un pont ou d'un mât de bateau, l'ensemble se casse la figure. Le cheval ne peut pas se permettre de se laisser tomber aussi il sollicite ses muscles pour compenser le dérèglement tendineux. Ce sont principalement les dorsaux et les muscles de l'encolure qui interviennent en permanence pour compenser. Non seulement cette action compensatrice fatigue anormalement le cheval mais elle génère des tendinites, les muscles n'étant pas faits pour être sollicités de façon continue. Pour nous cavaliers, ces tendinites dorsales présentent l'inconvénient de se situer exactement là où nous plaçons la selle. Certains chevaux en ont marre et virent leur cavalier. Le ferrage est donc un élément qui joue contre la sécurité.

L'assistance cardio-vasculaire

Nous devons nous étonner que notre médecin soit inquiet pour la qualité de notre système cardio-vasculaire quand nous nous présentons avec des mains ou des pieds froids alors que notre vétérinaire, lui, est inquiet quand nous présentons les pieds chauds de notre cheval. Nous sommes pourtant en présence de corps de mammifères qui en principe maintiennent, grâce à leur système vasculaire une température uniforme dans tout le corps. Pourquoi les pieds des chevaux ferrés sont-ils à une température inférieure au reste du corps ? Le cheval serait-il un serpent qui s'ignore ?
Le cœur du cheval est plutôt petit par rapport à la taille de l'individu. Les membres du cheval sont longs et en conséquence le sabot se trouve très éloigné de la pompe cardiaque. Pour assister le cœur la nature a mis en place une assistance cardiaque au niveau de chaque sabot. Le sabot peut être physiquement considéré comme un organe déprimogène. C'est une véritable pompe auxiliaire autorégulée. Plus le cheval va vite, plus il a besoin d'éliminer les toxines, plus la pompe auxiliaire fait circuler le sang. La pose d'un fer ne permet pas à la fourchette et aux glomes d'atteindre normalement le sol, ce qui « désamorce » la pompe digitale. Le sang ne circule plus normalement et le cœur est contraint de compenser. Nous savons que chaque mammifère a génétiquement le même potentiel de battements cardiaques au repos. La fréquence cardiaque de la musaraigne est de1000 bpm (longévité : 1 an) alors que celle de la baleine est de 6 bpm (longévité : 120 ans).
En ferrant notre cheval, en sollicitant anormalement son cœur et donc en puisant dans son potentiel génétique, nous altérons significativement son espérance de vie qui devrait normalement atteindre les 40 ans. Nous avons tous observé que les poneys, qui sont en fait des chevaux, vivent plus longtemps étant donné qu'ils ne sont pas ferrés.

Ferrage ou Sabots libres ?

La pratique du ferrage est loin d'être sans conséquence pour la santé de nos chevaux. Pour leur bien-être mais aussi pour notre sécurité nous devons apprendre à mieux connaître cet individu qui nous accompagne depuis si longtemps.
Ferrés, nos chevaux se trouvent être victimes d'un mal de dos récurant et bien perturbé dans leurs sensations par la pose permanente d'un artifice rigide. Le rigide ne sied guère au vivant d'où cette résonnance pour un nombre de plus en plus important de cavaliers qui comprennent l'importance de laisser leur cheval sabots libres quelle que soit la discipline.

Pierre ENOFF, *Biophysicien spécialiste de la locomotion équine www.equi-libre.fr

24/03/2011

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