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Djinno et Djinna, les jumeaux du Cotentin

Au cœur du Cotentin dans la Manche, depuis quatre générations, l’élevage du Haul à Catteville, produit des chevaux de selle français pour cavaliers de tous niveaux, sur 40 hectares de prairies, répartis autour de l’élevage. En effet, l’élevage des chevaux de selle français a débuté au Domaine du Haul avec Auguste Langlois, au milieu du XIXème siècle. Mélanie Langlois & Jérôme Marande depuis 2004 ont repris l’élevage, et s’appuient sur une génétique de qualité - avec comme origine basse la souche Magali. Le 5 mai dernier, leur poulinière, Paluche du Haul (par Verdi, propre sœur de Farceur du Haul iso 162) a donné naissance à des jumeaux (par Tibet Tame, de l’élevage de Tamerville, Sylvie et Denis Brohier). Dans un récit détaillé sur Facebook, Mélanie tient un carnet de l’évolution des jumeaux. Le succès est inouï. Mélanie s’en étonne. Pourtant, les naissances de jumeaux chez les chevaux tiennent du miracle, tous les éleveurs le savent. Dangereux pour la mère. Très peu viable pour les jumeaux. Il y a une autre raison à cet engouement : le récit de Mélanie est imagé et fort, très prenant. Elle écrit vrai. Extraits. Photo 1 sur 2


Episode 1 : naissance
« Lors de la première échographie, 2 œufs ont été détectés. Nous avons décidé d’en écraser un, au risque de perdre les 2. A l’échographie de contrôle, tout allait bien. Il n’y avait plus qu’un embryon tout à fait normal. A 10 mois de gestation, Paluche était sur le point d’avorter. Nous l’avons alors isolée et mise au calme. Finalement, elle a gardé son poulain et nous avons évité l’avortement.
(…) Dimanche 5 mai, à 3 heures du matin, l’alarme sonne. (...) La jument souffrait anormalement (…). Finalement, les 2 pattes avant font leur apparition, suivies du nez. Puis, horreur, une 3e patte. Mon mari, arrivé dans l’entre-fait, tente de repousser cette patte tout en se demandant quelle pouvait bien être la position du poulain. Il rassemble en un temps record tout ce qu’il a appris en formation au Haras du Pin pour avoir le geste adéquat pour retourner le poulain. C’est alors qu’il trouve une 2e tête. Il me hurle « Appelle le véto, il y en a 2 ! ». Manque de chance, le vétérinaire était en pleine césarienne et ne pouvait venir avant 2 heures. Nous devions donc nous débrouiller seuls. (…) Finalement, aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, elle a expulsé les 2 poulains simultanément. Tout aussi incroyable, les 2 étaient vivants. Minuscules, mais vivants. (...)
Elle a immédiatement reconnu les 2 poulains. Paluche s’est tout de suite mise à lécher alternativement ses 2 poulains. Par ce geste, elle nous encourageait également à faire le maximum pour donner sa chance à la vie.
Nous avons d’abord porté notre attention sur le plus gros des 2 (je devrais dire le moins petit : 20 kgs). C’est un mâle. Rythme respiratoire : OK. Rythme cardiaque : OK. Température corporelle : OK. Réflexe de succion : OK. On trait la jument pour lui donner le maximum de colostrum tout de suite. Par chance, la jument a un très fort taux d’immunoglobulines (90 g/l).
Tout ceci étant fait, nous passons au deuxième poulain. C’est une pouliche. Elle paraît dysmature mais a une vitalité incroyable. Elle veut vivre. Elle se lève très rapidement en hennissant. Nous contrôlons tous ses paramètres et tout est OK, même si elle ne fait que 15 kg. (…) Le plus fort de la tempête étant passé, nous prenons le temps de boire un café en attendant le vétérinaire qui arrive comme prévu vers 5 h du matin.
Le vétérinaire revérifie tous les paramètres des 2 poulains. Rien d’alarmant. Les 2 devraient pouvoir vivre. Le jour se lève. Tout va pour le mieux pour le moment. On continue les biberons toutes les 1/2 heures. »
Episode 2 :  biberonage
« Les heures passent, rythmées par les buvées. Paluche n’a plus trop de lait, nous passons donc au lait artificiel. Le mâle accepte volontiers le biberon. Bien que plus gros et plus développé, il a moins d’énergie que la femelle. Il mange bien mais n’a toujours pas trouvé la mamelle de sa mère. Nous lui donnons un biberon toutes les 1/2 heures. Nous essayons de respecter le rythme naturel du jeune poulain, c’est à dire une buvée toutes les 20 minutes environ. La femelle quant à elle, tête naturellement sa mère. Elle ne fait même que ça : boire et gambader dans le box. Elle a une énergie impressionnante au vu de sa taille et de son état ! Je n’avais encore jamais utilisé Tibet Tame comme étalon, mais vu l’énergie que montrent ces 2 poulains, il est certain que j’y remettrai des juments. De plus, autant qu’on puisse en juger, ils ont un joli modèle, sport et dans le sang. (…) Mon mari et moi nous relayons jour et nuit pour assurer la surveillance et le biberonage. Nous sommes épuisés mais nous sommes déterminés à relever le défi auquel la nature nous a confrontés. Les poulains ont maintenant plus de 24 h et tous les voyants sont au vert. On continue d’y croire. »
Episode 3 : Djinno mange peu
« Djinna n’a plus de diarrhée. Elle tète, elle tète, elle tète. C’est à peine si elle se repose. Elle est occupée à manger et à jouer. Embêter son frère qui dort semble même être son occupation favorite entre deux tétées. Elle se redresse très vite et est moins hyperlaxe qu’avant. Elle fait toujours preuve d’une vitalité surprenante. Djinno dort beaucoup. Il prend régulièrement son biberon mais semble avoir moins d’appétit que la veille. Dans l’après-midi, nous constatons qu’il a des petites coliques qui le font souffrir. (…).
Les poulains s’arrondissent à vue d’œil. Ils ont déjà pris plus de 5 kilos chacun ! Ils viennent de moins en moins vers le biberon. C’est bon signe. Nous nous efforçons à présent de soutenir la mère au mieux avec une alimentation de combat. 4 rations par jour et 1 dans la nuit. Elle est affamée. »
Episode 4 : 3 sur 4 meurent en 15 jours
« Nous sommes très vigilants à l’ombilic des petits. C’est la première porte d’entrée à tous les microbes. Djinna fait preuve d’une vitalité époustouflante et elle galope déjà en faisant le tour de son box. Djinno lui n’a pas le même rythme. Il dort beaucoup plus que sa sœur et ne se lève que pour boire une ou deux fois par heure. Nous savons que 3 poulains jumeaux sur 4 ne vivent pas au-delà de 2 semaines….Mais on y croit ! »
Episode 5 : nourrir la mère
« Paluche ne mangeant pas suffisamment de foin à notre goût, nous décidons de lui couper de l’herbe. Puisque nous ne pouvons pas la mettre au pré, nous faisons venir le gras fourrage de printemps à elle. Elle dévore !!! L’herbe, surtout en cette saison, est l’aliment idéal pour les chevaux. »
Episode 6 : infection ?
« Ce matin, je trouve que Djinno n’est pas très en forme. (…) Nous n’aimons pas l’allure de son cordon ombilical. Nous profitons de cette alerte pour rappeler aux nombreuses personnes qui suivent cette histoire qu’une naissance gémellaire n’est jamais souhaitable. Celle-ci est arrivée par accident et nous assumons au mieux. Mais en aucun cas, il ne faut tenter la chance lorsqu’on sait qu’une jument porte 2 œufs. C’est trop risqué pour la mère et pour les poulains. »
Episode 7 : la muselière
« Les poulains ont presqu’une semaine de vie. Ce matin, l’état de Djinno n’est pas pire … mais il n’est pas mieux non plus … Il boit, mais pas beaucoup. L’aspect visuel de son cordon ombilical n’est pas engageant. (…) On décide d’essayer autre chose : mettre une muselière à Djinna, comme on le fait pour les petits veaux, pour l’empêcher de boire. Cela permettrait à Djinno de trouver une mamelle pleine et de faciliter sa tétée. (…) Nous nous accordons sur une pose de la muselière un maximum de 1 heure, à un intervalle maximum de toutes les 4 heures. (…) Les prochaines 24 heures vont être déterminantes pour Djinno. Ça passe ou ça casse ! »
Episode 8 : les 3-8
« Nous nous relayons Jérôme et moi durant toute la nuit. Jérôme se lève à minuit et 4 heures, quant à moi, ce sera 2 h et 6 h. A 2 heures du matin, je trouve mon Djinno debout, tout fringant, piquant des sprints avec sa sœur. (…) Nous retrouvons un peu de sérénité et continuons d’y croire. Nous décidons de nous relever qu’une fois cette nuit. Nous devons absolument rester en forme après cette semaine difficile, tout d’abord pour continuer à bien surveiller nos poulains, mais aussi pour continuer à bien nous occuper des autres chevaux, tant des autres poulains et de leurs mères que du troupeau. »
Episode 9 : première nuit complète
« Ça y est ! Djinno a retrouvé la forme. Djinna qui dort beaucoup. Après une semaine passée à boire, elle a rattrapé son retard. Elle fait la même taille que son frère et l’a dépassé en poids. (…) Paluche a également repris du poids malgré sa lactation. Elle est resplendissante. Il faut dire que nous la bichonnons notre Paluche et sommes toujours attentifs à ses besoins. Ils déchaînent toujours les passions, ce matin nous avons reçu des messages de l’île Maurice, d’Australie et du Qatar !
Pour la première fois nous ne nous relèverons pas cette nuit. La nuit dernière nous avons eu une idée lumineuse ! Le soir en nous couchant, nous mettons une ration de granulés au fond de l’auge de Paluche que nous recouvrons de 10 kilos d’herbe fraîche coupée. Quand la jument a fini son herbe en milieu de nuit, elle trouve sa ration. Elle n’a ainsi jamais le ventre vide et peut produire du lait « à fond ».
Episode 10 : les femelles s’en sortent mieux
« Je fais peut-être preuve d’un optimisme béat, mais je suis tentée de dire que Djinna est sauvée. Au cours de ces 10 premiers jours de vie, elle n’a fait que progresser. Elle est ronde de partout, elle a de bonnes articulations, elle est pleine de vie et de sang (...) Un « ancien », qui a vu naître des centaines de poulains, me disait que, dans ce genre de circonstances, ce sont toujours les femelles qui s’en sortent le mieux. Cela semble se vérifier dans notre cas.
En revanche, je suis beaucoup plus mitigée en ce qui concerne Djinno. Il me semble qu’aujourd’hui il était un peu moins bien. Il a toujours un fond de fièvre. (…) Son nombril n’est toujours pas refermé. Nous demeurons très inquiets pour lui, et son état ne s’améliore pas suffisamment à notre goût. »
Episode 11 : Djinno souffre
« Djinno est plutôt mieux ce matin. Il a dû boire correctement cette nuit car il est moins «sec». Nous nous inquiétons toujours car il boite un peu et semble souffrir un peu dans ses déplacements. (…) Le nombril ne s’étant toujours pas refermé, nous allons devoir passer à l’étape 2 : cautériser au nitrate d’argent. Si cela ne fonctionne pas, nous devrons envisager une intervention chirurgicale en clinique équine. Nous ne voulons même pas y penser. Djinna, je n’en parle plus. Le vétérinaire partage notre diagnostic. Elle semble sauvée.
Episode 12 : pas d’acharnement
(…) Nous sommes toujours aussi inquiets pour Djinno. Son postérieur le fait souffrir de plus en plus. (…) Cette douleur qui s’amplifie n’est pas normale. J’ai de nouveau la boule au ventre. Nous faisons toujours tout pour soigner au mieux nos animaux (quelque soit l’espèce), mais notre limite est leur douleur (lorsqu’il est avéré qu’il est trop lourd de la rendre supportable). J’ai toujours eu du mal à comprendre les personnes qui s’acharnent à garder un animal en souffrance. Je comprends leur choix et leurs raisons, mais, personnellement, je ne peux m’y résoudre.
Nous attendons le vétérinaire avec impatience....
Episode 13 : champagne dans un mois
Ça y est ! les poulains ont deux semaines. Un nouveau cap vient d’être passé. Nous avons envie de dire que Djinna est sauvée tant elle déborde d’énergie et semble en pleine forme. Elle est aussi grande que son frère aujourd’hui et pèse largement autant. (…). Notre petit père Djinno en revanche nous donne plus de soucis. (…) Jérôme pense que le poulain a pris un coup par sa mère et qu’il a un hématome qui lui fait mal mais qui va se résorber petit à petit. (…) Les 15 jours les plus difficiles sont donc passés. Mais il ne faut rien lâcher. (...) Quand ils auront 1 mois, nous boirons le champagne, pas avant. »
Dernières nouvelles
Des nouvelles lundi dernier : Mélanie reste préoccupée par l’état de Djinno : « Il n’est pas tiré d’affaire ». Fatiguée ? « Oui ! (elle rit) mais bon, ce qu’on aime, c’est la naissance et le jeune cheval. Je suis née dans une famille d’zéleveurs, et nous avons mon mari et moi suivi des formations au Pin. On est bons jusqu’à 3,4 ans.  Le reste nous ne savons pas faire, nous confions nos jeunes chevaux à Grégoire Hercelin pour les valoriser ».

Carine Robert

Vous pouvez suivre la saga de Djinno et Djinna au jour le jour sur le site de l’Elevage du Haul ou leur page Facebook.

29/05/2013

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