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Où va l’élevage ?

ICSI, ponction d’ovocytes, congélation et transfert d’embryons sont autant de techniques qui contribuent à modifier considérablement le paysage du monde de l’élevage. Les « hors-sol » sont de plus en plus nombreux à donner libre cours à leur passion pour les chevaux de sport en puisant aux sources de ces modes de reproduction. Le

ICSI, ponction d’ovocytes, congélation et transfert d’embryons sont autant de techniques qui contribuent à modifier considérablement le paysage du monde de l’élevage. Les « hors-sol » sont de plus en plus nombreux à donner libre cours à leur passion pour les chevaux de sport en puisant aux sources de ces modes de reproduction. Le florissant marché de l’embryon congelé en témoigne. Alors, évolution durable ? Mode ? Spéculation ? Amélioration génétique significative ?





Autant de questions autour de ces sujets abordées avec Arnaud Evain, le patron du GFE et acteur majeur de l’étalonnage.





Que pensez-vous de ces nouvelles techniques qui permettent la multiplication et la congélation des embryons ?


« On ne peut pas être contre le progrès technique ! Lorsque nous avons développé avec Pierre Julienne les techniques de congélation de semence mises au point avec Eric Palmer, nous avons eu à faire avec le scepticisme ambiant et nous avons entendu beaucoup de sottises. Il faut être prudents ! On a vu apparaître plusieurs techniques nouvelles depuis 30 ans ; elles ne se situent pas toutes sur le même plan.


La congélation de semence est une vraie technique d’amélioration génétique en ce sens qu’elle permet de tester les jeunes étalons en même temps qu’ils poursuivent leur carrière sportive et de diffuser largement la semence des meilleurs étalons du moment.


Les avantages de cette technique compensent ses inconvénients qui sont le prix et la baisse de fertilité et elle a prospéré dans le monde entier…


De la même manière, le transfert embryonnaire permet d’accélérer le progrès génétique lorsqu’il est utilisé sur des très jeunes juments encore en croissance ou en parallèle à leur carrière sportive. Le transfert permet également d’augmenter le nombre de descendants des meilleures juments, potentielles « mères d’étalons ». Il concerne aujourd’hui plus d’une naissance sur dix en France


Il peut aussi être utilisé sur des juments trop âgées ou ayant des problèmes pour mener une gestation à terme mais dans ce cas on ne parle plus d’accélérateur du progrès génétique mais plutôt de PVA : Procréation Vétérinairement Assistée… »





La ponction d’ovocytes et l’ICSI sont-elles des techniques utiles au progrès génétique ?


« A mon sens, de la manière dont elles sont mises en œuvre aujourd’hui, il s’agit surtout de techniques d’aide à la procréation et à la multiplication des embryons.


La technique de ponction d’ovocytes est très invasive : la jument est immobilisée souvent plus d’une heure dans une barre de contention, avec le bras d’un opérateur dans le rectum et celui d’un autre dans le vagin. Les ovocytes récoltés sont fertilisés in vitro avec la technique de l’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) qui consiste à faire entrer de force un spermatozoïde dans l’ovocyte et, dès que le développement d’un œuf est constaté, il peut être réimplanté dans une receveuse ou bien, dans la majorité des cas, congelé en vue d’une implantation ultérieure.


La combinaison de ces deux techniques permet le commerce des embryons, qui peuvent voyager congelés, et une partie de son coût est compensée pour l’éleveur par le fait qu’il peut réimplanter l’embryon dans la porteuse de son choix et au moment de son choix, sans avoir besoin d’entretenir un groupe de receveuses pour en avoir une synchrone avec la donneuse.


Ces techniques sont coûteuses et s’adressent à des juments bien connues et ayant en général déjà des étalons dans leur descendance ; elle est la plupart du temps utilisée à des fins commerciales avec des étalons morts ou très âgés. A ce titre ces techniques ne permettent pas de raccourcir l’intervalle de temps entre les générations. Au contraire elles le rallongent et ne participent donc pratiquement pas au progrès génétique ».





Quelle conclusion en tirez-vous ?


« J’observe que cette technique est utilisée dans l’espèce humaine pour les couples ayant des difficultés de procréation mais qu’elle a été abandonnée dans la quasi-totalité des espèces animales domestiques car sans incidence sur le progrès génétique.


Je pense qu’il s’agit d’une activité spéculative qui durera aussi longtemps que la spéculation sera rentable ! Il existe aujourd’hui en Europe des milliers d’embryons congelés et disposant d’une génétique flatteuse. Je déplore en passant que leur nombre ne soit pas connu plus précisément, en particulier des étalonniers propriétaires de la semence utilisée.


On observe certains prix hallucinants en ventes publiques, qui dépassent largement le prix d’un foal exceptionnel. Cela est absurde et il est impensable que le prix d’un embryon puisse durablement dépasser celui du foal qu’il deviendra onze mois plus tard avec tous les aléas que les éleveurs connaissent.


Tant que les clients n’auront pas expérimenté suffisamment les déboires possibles et tant que les spéculateurs s’entendront pour limiter l’offre au volume de la demande existante, cette bulle spéculative résistera… Il est peu probable que cela dure indéfiniment ».





A qui profitent ces techniques et à qui causent-elles un préjudice ?


« Elles profitent d’abord à ceux qui les mettent en œuvre, c’est-à-dire les techniciens de la ponction ovocytaire, de l’ICSI et de la congélation d’embryons.


Elles profitent aussi aux premiers opérateurs économiques à y avoir eu recours et aux metteurs en marché des embryons obtenus.


Elle portera préjudice à tous ceux qui seront « dans la bulle » lorsqu’elle explosera !


Quelle que soit la qualité du papier d’un embryon, il n’y aura pas plus d’un champion de France des six ans à la fois à Fontainebleau et pas plus d’un champion olympique tous les quatre ans ».





C’est donc pour vous une technique sans avenir ?


« Je n’irai pas jusque-là, mais on peut faire un parallèle avec le clonage qui a, soit dit en passant, permis la mise au point de l’ICSI chez le cheval. Cette technique a suscité un réel engouement il y a une quinzaine d’années pour des raisons spéculatives : reproduire un champion et prolonger la carrière sportive d’un étalon.


Tout cela s’est très vite refroidi quand les investisseurs ont vu que le clonage ne participait pas au progrès génétique : il n’automatise pas le succès sportif du clone et ne permet pas de prolonger la carrière d’un étalon. En effet la performance sportive est très largement influencée par le milieu. Pour un étalon, s’il était un réel améliorateur de son vivant comme Jalisco, il a des descendants qui ont pris sa relève et si ce n’était pas vraiment le cas, les éleveurs s’en désintéressent.


Faute de contribuer à l’amélioration génétique, le clonage a donc aujourd’hui pratiquement totalement disparu.


En ce qui concerne l’ICSI, je pense qu’elle a encore quelques beaux jours devant elle pour produire des embryons femelles qui pourront améliorer le cheptel d’élevage de certains pays « émergents » dans l’élevage de sport. Je pense par contre que le marché des embryons mâles ou non sexés va se retrouver contraint par les prix pratiqués sur le marché des foals de haut de gamme et devenir de moins en moins intéressant, surtout si l’offre continue d’abonder !


Les prix très élevés observés pour certains foals lors des dernières ventes Z pendant les championnats du monde des jeunes chevaux donnent « un peu d’air » à cette spéculation mais il faut rester prudents car ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble du marché.


Qui voudrait aujourd’hui acheter une bouteille de Château Petrus « en primeur », qu’il faudra attendre et conserver dans de bonnes conditions, plus cher qu’une bouteille de ce même château prête à être bue ? »





Votre jugement n’est-il pas un peu altéré pas votre position d’étalonnier ?


« Il est impossible de se prétendre soi-même 100 % objectif et il est vrai que les étalonniers ont beaucoup plus à perdre qu’à gagner avec l’ICSI. Cette technique souligne les problèmes actuels de traçabilité des paillettes et de leur utilisation : la saillie est-elle due à l’étalonnier au moment de la procréation, lors de la réimplantation de l’embryon, lors de sa congélation et de son stockage pour une période inconnue ou à l’immatriculation d’un poulain né ?


Aujourd’hui je n’ai aucune idée du nombre d’embryons de Kannan, de Calvaro ou encore de Mr Blue qui dorment dans des cuves.


Ce problème sera évoqué lors du prochain congrès de la WBFSH, mais il est certain que si les intérêts des étalonniers ne sont pas pris en compte en imposant une transparence aux opérateurs et aux studbooks, le métier d’étalonnier professionnel se transfèrera vers des propriétaires de mâles performants mais non testés, qui seront utilisés tardivement, sur la seule foi de leurs performances et vendus « à la paillette » sans services et sans garanties de qualité.


Le progrès génétique est dépendant de l’intervalle entre les générations de reproducteurs et de reproductrices et, toutes choses égales par ailleurs, il est d’autant plus grand que cet intervalle est court. C’est pour cela que tous les grands studbooks se préoccupent de favoriser le testage des jeunes étalons qu’ils ont approuvés ».





Recueilli par ER


03/10/2019

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