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« Ce que je pense (et qui n’a pas d’importance) » par Patrice Bourreau

De Patrice Bourreau cette (longue et parfois amère) réflexion sur l’évolution de l’élevage, ses pratiques, ses coutumes, sa finalité. Co-initiateur du stud-book CSAN, Patrice fut l’étalonnier de Galoubet A les deux premières saisons, de Laudanum pendant de très nombreuses années, de Papillon Rouge, Ryon d’Anzex ses premières années, de Quick Star ses premières années en France, de Kannan ses dix premières années en France, tous chevaux hors normes qui lui ont appris ce qu’était un étalon. Il fut aussi l’éleveur de Hors La Loi II (père d’Untouchable 27) et d’Orient Express. Soit une bonne quarantaine d’années au service d’une certaine idée du cheval de sport français, avec un caractère bien trempé qui lui faisait dire en 2014 à propos des JEM de Caen, « une médaille d’or gagnée à Aix-la-Chapelle a beaucoup plus de saveur que celle gagnée sur un terrain de football ». A ce titre, il mérite d’être écouté et pourquoi pas contredit. Sa parole est rare. Cette chronique « Champ libre » est ouverte à l’expression de toutes les opinions pourvu qu’elles soient dites dans le respect mutuel. ER

« Il y a tellement de « vérités » énoncées tous les jours et partout qu’on me pardonnera d’avoir suivi la voie commune. Mieux ! personne ne s’apercevra du délit.

Il y a un peu plus de 40 ans donc, sans argent, sans métier, et sans toit - mon père m’ayant prié d’aller vivre par mes propres moyens - j’entrais dans le monde du cheval. Par la petite porte, la toute petite.

Immédiatement, j’ai su ce que serait ma vie. Et n’ayant pas toujours été très assidu à mon éducation précédente, j’ai décidé que désormais je ne m’épargnerais aucun effort pour aller au bout de mon aventure.

Les deux premiers hommes qui m’ont invité à entrer dans la danse étaient des hommes de chevaux s’il en fût. Et le premier me dit, en préambule, « Des chevaux, il vous faudra en voir, 100, 1 000, 10 000, et peut-être un jour vous saurez ce qu’est un cheval ! » J’en ai vu des milliers aujourd’hui, et il me semble qu’il me reste tout à apprendre…

Voilà je voulais me présenter, que l’on comprenne à quel titre j’apparais ici en toute humilité.

Mais venons-en au fait.

En 2024 auront lieu les Jeux Olympiques de Paris. France donc ! Et je m’interroge parfois, lors de mes insomnies, sur ce que pourra être la composition de l’équipe de France pour les dits Jeux. Et ça me crée des insomnies …

Bien sûr, il y aura une équipe, ce n’est pas le manque de bons cavaliers qui est en cause, c’est plutôt le nombre de montures disponibles, et habilitées, par leur expérience et leurs résultats.

Bien-sûr les mêmes cavaliers pourront peut-être se remonter avec des chevaux venus de l’étranger. Ce dont je doute, car les investisseurs payant patente dans ce milieu sont plus que rares, et l’on sait qu’à ce niveau-là les chevaux coûtent une fortune.

Que s’est-il donc passé alors en 40 ans pour que de la première place mondiale, nous soyons arrivés à peu ou pas grand-chose ?

L’Histoire est longue à évoquer, je m’en tiendrai aux grandes lignes.

1970. Diktat des Haras Nationaux, le France marche d’un même pas vers un même but. Il y a des ratés bien-sûr, il y a quelques petits arrangements avec les ténors de l’élevage, mais globalement la passion et le professionnalisme habitent chacun. Aucun de ces protagonistes, tout en souhaitant gagner sa vie, n’aurait l’idée de détourner à son seul profit une cause Nationale. Et les résultats sont là pour attester de leur compétence et de leur réussite.

2000. Fin des Haras Nationaux, et avec elle commence la lente - je parle à l’échelle d’une vie - descente vers l’oubli, et surtout, surtout, vers une disparition de plus en plus criante d’un professionnalisme orienté vers l’intérêt général. On ne cherche plus à faire partie d’une équipe, on cherche à se montrer. Pas chez les cavaliers toutefois qui eux, à contrario, seront de plus en plus nombreux et professionnels. Même si je crois qu’il y a plus de cavaliers capables de monter un cheval prêt, que de cavaliers capables de préparer un cheval.

Les montures alors ? Vaste sujet qui part de l’imagination des éleveurs à la livraison au cavalier en passant par toutes les étapes de la sélection. Toute l’histoire d’un cheval suit obligatoirement ce processus. C’est donc là, sans erreur possible que le bât blesse. 

La disparition des donneurs d’ordres qu’étaient les Haras Nationaux a ouvert la porte au libéralisme - Ce qui en soit n’a rien de blâmable - et fut réclamée à cors et à cris par un étalonnage privé qui se mettait en place. Jusque-là on pouvait penser que l’on changeait juste de bureau. Ce que l’on n’avait pas imaginé, c’est que rapidement chacun voudrait tirer la couverture à soi. Et pour ce faire l’hypothèse, la probabilité et pour finir le mensonge, allaient porter au-devant de la scène et sous les feux de la rampe pas toujours les meilleurs et les plus compétents, tant au niveau des hommes qu’à celui des étalons reproducteurs. Sont apparus ceux qui faisaient le plus de bruit avec le plus d’assurance ; même remarque que précédemment. Les étalonniers privés, peu nombreux au départ, n’ont fait que vouloir gagner leur vie et il ne viendrait à l’idée de personne de leur reprocher. Mais rapidement se sont imposées dans l’alimentation, les transports, les équipements, que sais-je encore, pléthore de propositions toutes jugées indispensables. Indispensables tout cela ? Peut-être, mais ayant un coût. L’administratif et le fonctionnement du secteur ne furent pas en reste et l’offre explosa également. Et face à la prolifération des propositions et des « indispensables » en tous genres, on perdit de vue l’objectif au profit de la rentabilité imposée désormais. Ainsi de leçons et conseils formulés par des gens compétents à l’expérience reconnue, on assista de plus en plus à un brouhaha dont on sait qu’il est toujours peu productif.

 

Autres temps, autres moeurs

 

Dans ce secteur particulier qui nous intéresse, les quelques étalons phares étant aux mains de leurs éleveurs, les vendeurs de semence - autre nouvelle profession - ne pouvaient que se tourner vers la semence étrangère. Et pour vendre des étalons que seuls quelques initiés - les cavaliers de haut niveau en particulier - connaissaient, il fallait les promouvoir. Apparaîtra la publicité - nouvelle profession. Et la publicité perdra elle aussi rapidement toute objectivité.

Nous voici donc arrivés à l’époque où le Selle Français n’a plus beaucoup à voir avec ce qu’il fut, dans le modèle, dans le caractère, dans l’utilisation et in fine dans les résultats.

La création en 2013 - je crois - du SFO, projet qui n’avait d’autre ambition que de faire échouer celui de quelques irréductibles ayant décidé de rester sur les fondamentaux, ne permît pas d’inverser la tendance ni le cours des choses. Sans doute y manquait-il la conviction. Ou bien encore celle-ci ne fut pas assez forte pour contrecarrer les efforts toujours plus grands des tenants de l’Européanisation quelles qu’en soient les raisons. Le SF n’a plus rien de Français si ce n’est le droit du sol. Il est assez curieux d’ailleurs qu’on le refuse souvent aux hommes. (Quel rapport ? me diront les esprits chagrins et obtus).

L’élevage, science d’observation

 

Le croisement de deux sélections de longue haleine, ayant spécialisé leurs chevaux dans des schémas différents - fût-ce pour un même but - vous emmène forcément vers l’inconnu, en vous faisant perdre vos repères. Pire ! En intervenant dangereusement dans la sélection que vous aviez faite pour fabriquer vos juments. De même qu’on n’a jamais fait un cheval de course en croisant un Camarguais avec un Lusitanien, on n’allie pas une jument de Selle Français avec un cheval de sport Allemand sans passer obligatoirement par une refonte de la sélection qui peut prendre plusieurs décennies. Je parle pour ceux que l’élevage passionne, pas pour les fabricants de poulains. Et l’élevage, science d’observation, de patience - de chance un peu aussi - devient une loterie. Aujourd’hui, Untel est sur le devant de la scène et l’on est content pour lui. Il faudrait juste qu’il ne nous assène pas sa méthode comme une vérité absolue, car elle ne tient que de la chance. Il n’y a plus de souches basses, dépravées qu’elles ont été par des croisements irréfléchis, et pourtant les transferts d’embryons n’ont pas été économes de moyens pour augmenter le nombre de descendants. Vingt ans auparavant un ténor de l’élevage étranger m’expliquait, en forme de morale, qu’il faisait beaucoup de transferts pour mettre la meilleure génétique au service du plus grand nombre d’éleveurs possibles. Je n’ai pas su résister à l’envie de lui répondre « Appelle moi con !... »

Bien avant l’intérêt national passent désormais les intérêts privés. C’est aussi l’époque qui veut ça. Mais sans structures, sans mots d’ordre, sous l’égide de gens charismatiques et désintéressés, tout devient hasardeux pour l’intérêt commun.

 

Le sang étranger

 

Si l’introduction du sang étranger dans des proportions qui n’en sont plus tant elles écrasent notre vieux SF, a mis fin à 150 ans de sélection, elle met fin aussi à notre suprématie. Et si l’on ajoute les erreurs humaines confinant au grotesque on a dressé le tableau de la situation.

J’ai moi-même distribué Kannan dans les débuts de cette invasion. C’est peut-être aussi parce que j’ai refusé de vendre pour n’importe quelle jument que Kannan fut vendu. Je ne prétends pas avoir eu raison. Certes le cheval saillissait moins que d’autres, mais au prorata, je maintiens que les bons Kannan sont nés antérieurement à sa vente. Kannan, comme tous les autres étalons, ne pouvait convenir à toutes les juments fussent-elles porteuses d’un chèque.

Tous les bons étalons ont suivi le même parcours. Leurs meilleurs sujets sont tous nés les premières années de leur reproduction. Pour la simple et bonne raison que les éleveurs qui vont à un jeune étalon en ont envie pour leur jument parce qu’ils y trouvent effectivement une complémentarité. Ensuite, la notoriété s’établissant, les tarifs augmentent et la clientèle change. Il ne s’agit pas de faire naître le poulain dont on rêve pour gagner un GP, il s’agit d’avoir une valeur marchande.

A la même époque j’ai aussi commercialisé Capital et c’est à ce moment que j’ai réalisé l’ampleur du danger qui nous guettait. Partout le sang étranger de chevaux que l’on peut qualifier d’illustres inconnus et dont les pays producteurs ne voulaient pas (!!...) arrivait à torrent. Immédiatement j’ai fait marche arrière, c’est à cette époque là qu’avec Fernand Leredde (homme controversé mais déterminé et audacieux) nous avons voulu conserver une base solide qui s’appellerait CSAN (Cheval de Selle Anglo-Normand). Au reproche qui nous fut fait dernièrement quant à cette appellation, puis-je rappeler que le cheval de sport français est né en Normandie d’une jumenterie autochtone et variée croisée avec des PSA. De la même manière, on élève désormais des bovins Limousins partout dans le monde et ça ne pose aucun problème de les appeler Limousins !

Un Stud Book n’est jamais sur les rails du succès pour toujours, il vit lui aussi, avec ce qu’on lui apporte. Et si on lui en enlève ou que l’on change inopportunément d’orientation, il faut peu de temps pour aller au tapis. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, je me suis laissé dire que d’autres avaient eux-aussi quelques mésaventures (pour d’autres raisons peut-être).

Quand le Stud Book SF a voulu - on ne sait pourquoi - ressembler à celui du Holstein, un autre pas était franchi qui n’allait pas nous servir. Nous sommes des latins et marcher en rangs compacts et ordonnés n’est pas ce que nous maîtrisons le mieux. Alors évidemment, vouloir organiser les mêmes présentations-sélections était une gageure. Quand les organisateurs Allemands ou Hollandais officient, ils sont à la parade, quand il s’agit de nous, c’est la foire. 

 

Les hybrides…

 

A ce moment-là, nous avons montré notre fragilité, notre indécision, notre faiblesse. Tout ça pour présenter des chevaux uniformes, alors que notre spécificité c’était justement les grands, les petits, les légers, les lourds, les alezans, les bais. Et avec tous ces chevaux-là nous allions de Stella (AA) à Galoubet (SF x TF) pour continuer par Quick Star (SF). Où sont ces chevaux avec nos hybrides ? Foin de nostalgie, il ne s’agit pas de cela. Quand Jules Mesnildrey met ses 2 juments à Grand Veneur au début de sa carrière d’étalon, il n’a pas lu de publicité (il n’y en a pas), mais il a vu le cheval et il connait ses juments qui lui donneront Le Tot de Semilly et Le Plantero (lourd mais néanmoins père d’Utile d’Espoir). D’autres d’ailleurs la même année feront naître Love Love de l’If, Luciole de Conde, Le Condeen, Lama des Landes et j’en oublie peut-être, avec seulement 25 à 30 naissances cette année-là pour Grand Veneur. Quasi simultanément, le baron DE Vains (affixe de Ver) aurait pu à lui seul remplir un camion de chevaux olympiques.

On ne boxe plus dans la même catégorie. Pire aujourd’hui on nous fait notre plan de monte ! Avec des étalons choisis bien sûr … Que restera t’il bientôt aux éleveurs, sinon le droit de payer ! L’élevage ce doit être une fête où chacun expose son rêve, et explique pourquoi morphologiquement, caractériellement, etc … il aura un bon poulain ( c’est sûr !...) Si vous écoutez aujourd’hui on vous dira qu’on a mis cet étalon là mais on ne saura pas vous dire pourquoi, d’ailleurs on ne l’a pas vu et l’on ne connaît ni père ni mère… Tristesse !

 

Soviétisation

 

Les professionnels du cheval, je parle de ceux qui en vivent, sont-ils en train de créer une « soviétisation » pour les éleveurs en les dépossédant de toute initiative moyennant cotisations qui elles ne cessent de croître. N’oublions pas que quand nous achetons une « saillie » (le terme fait sourire désormais), il nous faut payer :

- la semence dont la quantité devient de plus en plus ridicule, moyennant un lourd suivi et au détriment des juments,

- la fabrication ou le conditionnement des doses,

- le transport des doses (très aléatoire parfois),

- le suivi par le vétérinaire,

- l’inévitable hormone, etc…

Quand les dirigeants mélangent leurs mandats et leurs intérêts, sommes-nous toujours dans l’objectivité d’un élevage national qui devrait être leur préoccupation ? Plutôt que de canaliser les éleveurs en prenant tout en charge (moyennant finances !), ne vaudrait-il pas mieux les laisser faire selon leur savoir, leur intuition ? Le crack naît souvent du hasard. Et l’on appelle hasard le croisement que l’on n’aurait pas osé faire soi-même. Mais quand il n’y a plus de hasard, il n’y a même plus de rêves, de ceux qui font les belles histoires.

 

Le SF « vielle formule »

Vous l’aurez compris, je suis amère, parce que j’ai tant aimé le SF « vieille formule » « formule obsolète » que je m’indigne de voir ce qu’il est devenu en si peu de temps. Et je m’indigne pareillement de me faire faire la leçon quand elle est de cette eau-là. Non que je sache tout, je l’ai bien précisé au départ, mais que les tenants de la doctrine ambiante me laissent dubitatif. Dernièrement, les propositions de Pascal (Cadiou) pour tenter de relever un SFO moribond me semblent avoir été formulées par d’autres antérieurement. Mais la politique, c’est ça !...

Je voudrais continuer l’Histoire, celle d’un cheval de sport qui pouvait être aussi bon qu’inattendu, parce que nul autre que l’éleveur ne connaît mieux sa jument que lui-même et qu’avant toute chose, élever c’est d’abord penser au poulain que l’on veut plutôt qu’à l’argent qu’il vaudra peut-être s’il naît, s’il n’est pas tordu, s’il tombe dans de bonnes mains, … Élever des chevaux de sport, ça n’est pas suivre les injonctions à caractère économique. Élever des chevaux de sport, ce n’est pas ne garder que les chevaux qui rentrent dans un abaque déterminé. Élever des chevaux de sport, ce n’est pas les confier à un jury à un âge où ils devraient être au pré. On aimerait d’ailleurs qu’une étude sérieuse soit faite sur ce que sont devenus les lauréats. Mais peut-être est-ce mieux de ne pas la faire ! Pour ne pas mettre à jour l’impéritie.

On aimerait que toutes les publicités nous montrent un cheval placé, plutôt que sur l’éternel oxer pris en contrebas. Il y aurait tant à dire.

 

Belles Lettres

 

Désigner des coupables n’est ni de mon ressort, ni mon objectif. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il y ait de coupables mais il n’y a pas d’innocents non plus. D’autre part pour avoir lu une lettre ouverte adressée à l’un de nos dirigeants, et qui ne faisait pas honneur à son(a) rédacteur(trice), parce qu’elle manquait singulièrement de courtoisie voire d’objectivité, je me situe résolument du côté de Mauriac quand il plaidait la grâce de Brasillach au nom des Belles Lettres. Les chevaux sont nos Belles Lettres.

En 2023, nous avons en Normandie, puisque c’est de là que je vous écris, un président de Région « Homme de Cheval », déterminé et efficace, lui-même ayant élevé d’excellents chevaux et ne ménageant pas ses efforts pour promouvoir le secteur. C’est peut-être le moment de reprendre notre destin en main. Et le destin, personnellement, je ne l’imagine pas en queue de peloton.

Fasse le futur que je me sois trompé dans cette analyse née de mon petit vécu. Et si tel est le cas, je saurai présenter mes excuses pour tant de pessimisme ». 

Patrice Boureau
(Les sous-titres sont de la rédaction)

01/06/2023

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