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Vous avez dit Génomique équine ? Evolution mais pas révolution selon le professeur Axel Khan

  • Axel Kahn
    Axel Kahn
La reproduction de la séquence complète du génome d’une jument de race Pur sang en 2006 a permis d’apporter des informations en vue de mieux comprendre la biologie de cette espèce en la comparant à celle des autres mammifères. Pour autant, où en est la recherche ? Quelles perspectives ouvre-t-elle ? Quelles en sont les limites. Nous ouvrons un long chapitre sur la « planète génome », qui se poursuivra sur plusieurs éditions.


La génomique : au Néolithique déjà !


« Je voudrais rendre hommage à l’expérience fondatrice de la plupart d’entre vous qui êtes dans cette salle. En effet il est bien de parler de génétique, de génomique, devant des éleveurs, puisque en réalité, la pratique qui a précédé depuis plusieurs millénaires l’invention de la chose et du terme, à savoir la pratique de l’amélioration par croisement, date du néolithique et date des sélections des végétaux par des éleveurs. Ceux-ci ont commencé en réalité sans le savoir et sans comprendre du tout ce qu’ils faisaient, de manière totalement empirique, dès qu’ils ont apprivoisé, domestiqué les animaux. Cela remonte pour les premiers à 7 à 8 000 ans avant notre ère. Ils ont commencé à croiser des mâles et des femelles qui leur donnaient satisfaction et ensuite parmi les descendants ont croisé ceux qui leur donnaient encore plus de satisfaction. Ils faisaient de la sélection, comme vous en faites vous même. Mais ils ne connaissaient strictement rien, bien entendu, aux lois de la transmission des caractères héréditaires...


Le moine Grégor Mendel


Entre ces pratiques empiriques des sélectionneurs et des éleveurs en règle générale, la première fois où l’on a rendu scientifiques ces pratiques empiriques, c’est bien évidemment en 1865 avec la première publication du moine Gregor Mendel sur la transmission des caractères héréditaires à partir de ses travaux sur les plantes. Ces travaux ont été confirmés (retrouvés, en réalité) par trois équipes européennes, néerlandaise, autrichienne et allemande, au tout début du 20e siècle. Donc la génétique est une science extraordinairement neuve ! A partir de ce moment on a commencé à mieux penser, la fréquence et la raison d’observation des phénotypes, connaissant les lois, ... suite p.14
… précisant la transmission des caractères héréditaires. Mais il faut se rappeler que jusqu’à la fin de la guerre de 40, on ignorait totalement quelle était la molécule responsable de la transmission des caractères héréditaires. L’hypothèse la plus défendue à l’époque était que sans doute il s’agissait des protéines dont on connaissait les nombreuses vertus. Les expériences absolument fabuleuses de Oswald Avery en 1944 ont démontré que la molécule responsable de la transmission des caractères héréditaires, c’était une molécule connue depuis 1 siècle à peu près, l’ADN. Cette expérience a semblé tellement invraisemblable que en réalité, la plupart des scientifiques du monde ne l’ont pas vue… Cette découverte fondamentale est fondatrice de la génétique moléculaire. Avant même que l’on ait trouvé que la molécule responsable de la transmission des caractères héréditaires était l’ADN, les médecins, les vétérinaires, les agronomes, ont commencé à détecter des gènes.


La méthode habituelle était de détecter des gènes responsables soit d’une anomalie soit d’une modification de la forme des propriétés de phénotypes extrêmement visibles. Lorsque l’on a prouvé que l’ADN était la molécule permettant de transmettre les caractères héréditaires, une méthode assez logique s’est développée, cette méthode a consisté à regarder les anomalies des chromosomes. On savait depuis longtemps étudier les chromosomes, qui étaient observables lorsque l’on notait une maladie ou telle anomalie des phénotypes.


Ca c’est la génétique classique, il y a des gènes, les gènes codent une fonction, et dans certains cas ces fonctions anormales entraînent une anomalie, sous la forme des propriétés d’une maladie.


Le destin dans le gène ? Aujourd’hui que l’on connaît tous les gènes, souvent l’illusion existe, consistant à penser que les gènes codent globalement un destin, c’est-à-dire codent tout ce que l’on pourra connaître de l’avenir de celui dont on connaît les gènes.


Aujourd’hui où pour 1 000 dollars on peut faire séquencer son génome humain et le faire analyser par des méthodes informatiques, beaucoup de gens sont persuadés que, du jour où on connaîtra son génome humain, on se connaîtra parfaitement dans le présent et dans l’avenir et on connaîtra la vraie nature des êtres.


En réalité, c’est une vue totalement fausse, et cela est valable dans tous les domaines de la génétique. Le gène globalement code les propriétés d’un être, d’un végétal, d’un animal, d’un humain. Or, une propriété n’est pas un destin, une propriété définit le type de réaction de la rencontre entre l’être qui a cette propriété et un environnement qui, lui, n’est pas génétiquement établi. Lorsque les connaissances des génomes humains se sont développés, on s’est rendus compte qu’il y avait une manière beaucoup plus simple de parvenir à ses fins, qui était de localiser les gènes d’après leur position sur les chromosomes.


On a commencé comme ça : en regardant les anomalies chromosomiques. Cela a été extrêmement important mais il y a de nombreuses maladies, de nombreux traits qui ne permettent pas d’être étudiés par anomalies chromosomiques, et par conséquent il faudrait que l’on connaisse exactement où, dans quelle région du chromosome, se situe le gène d’ADN. Et c’est là que l’on s’est mis à étudier ces marqueurs. Les marqueurs sont des indications sur les brins d’ADN qui forment les chromosomes, dont on ne connaît absolument pas la fonction, mais ils permettent de savoir quel est le brin d’ADN qui a été hérité de chacun des parents au niveau des différents cycles des brins de chromosome.


C’était une méthode très, très utilisée. Elle est l’intermédiaire entre la génétique traditionnelle et la génomique. Puis on est passé à une autre phase, qui est la génomique d’association sans idée préconçue. On est persuadés que les caractéristiques, et en particulier les performances des animaux d’élevage, comme d’ailleurs pour les humains, sont liés à leurs propriétés codées par leurs gènes, en réaction à leur relation à l’environnement.


La génomique : un accélérateur


Si la génomique est présentée aujourd’hui pour améliorer les caractéristiques des espèces, elle ne vaut que si, par des méthodes statistiques, on a été capable d’associer tel petit fragment de chromosome, défini par tel marqueur, par ses polymorphismes à un génotype donné, par exemple la quantité de production de lait, la qualité des allures du cheval, etc.


Sans cela vous seriez totalement incapable d’en tirer quelque information que ce soit. Donc la génomique est le moyen de savoir que telles ou telles régions chromosomiques héritée des parents sont liées à des performances. Cette liaison on l’a repérée par des méthodes statistiques, en regardant les fragments de chromosomes d’une population de 15 000 performers bovins et équins. Elle permet par conséquent de prédire avec une raisonnable efficacité ce que seront les caractéristiques génotypiques, par conséquent la valeur d’élevage, avant même d’en avoir la démonstration.


Il y a certainement une révolution mais qui ne changera pas très profondément la poursuite de votre métier. Le métier traditionnel des éleveurs c’est essayer d’évaluer les qualités des parents, des géniteurs, afin d’avoir des descendants, et prendre les meilleurs de ces descendants, pour en faire des géniteurs afin d’améliorer l’espèce dans le sens que l’on désire, production laitière ou valeur en compétition. En ce sens la génomique n’est pas une révolution car il s’agit de faciliter ce que l’on fait depuis tout le temps, c’est-à-dire essayer d’obtenir les meilleurs croisements possibles, pour avoir les meilleurs produits possibles.


Les risques ?


Les risques sont avant tout les risques de la sélection, si elle-même mal comprise. Que les éleveurs bovins connaissent bien, notamment dans la race des Charolais, avec des anomalies de vêlages que l’on a observées et qui sont extrêmement fréquentes, y compris dans certaines races de chevaux. Effectivement les mêmes erreurs, apparues au bout de 10 ans, risquent d’apparaître maintenant beaucoup plus rapidement, il y aura une accélération.


La génomique c’est donc la disposition pour les éleveurs en particulier, d’avoir des outils totalement nouveaux pour faire plus rapidement, beaucoup mieux, en évitant autant que faire se peut la consanguinité Clonage


Le clonage animal est l’antithèse de la génétique. La génétique c’est l’amélioration de la race chevaline, l’amélioration des espèces par croisements orientés, le clonage au contraire, c’est l’arrêt de l’amélioration génétique, car on considère que les espèces sont tellement remarquables qu’on s’arrête là. Donc autant il n’y a pas de révolution conceptuelle dans l’utilisation de la génomique pour ce qui est de la sélection des races animales, autant le clonage animal qui se pose d’ores et déjà avec une acuité particulière dans les filières équines pose des questions totalement nouvelles. Je suis familier du clonage et je m’intéresse notamment au clonage équin depuis très longtemps.


Cloner, pour quoi faire ?


Le jour où seront clonés des êtres humains il y a aura une demande extrêmement importante. La première raison, c’est pour lutter contre la stérilité et le désir d’avoir une descendance génétique. Bien évidemment c’est la première utilisation du clonage chez le cheval, rendre un hongre reproducteur.


La 2e indication c’est de faire revivre un être disparu. On connaît au moins trois cas de clones de chevaux dont on avait conservé des cellules en culture mais qui avaient disparu depuis un certain temps. Faire renaître réellement ces chevaux. Dès lors que le clonage était transposable aux chevaux, on pouvait imaginer qu’il y aurait une demande. Même si, vous le savez aujourd’hui, la plupart des stud-book mondiaux interdisent l’utilisation des clones, les clones sont autorisés par la FEI.


Un amateur qui ne regarde pas à la dépense (et ils sont nombreux) peut nourrir le fantasme de pouvoir sauter avec Milton…


Hé bien on est dans la réalité. Aujourd’hui le clonage équin, parmi les clonages d’animaux, est l’un de ceux qui fonctionne relativement bien : c’est le seul des clonages animaux qui ait un vrai intérêt économique. Que tous les éleveurs peuvent percevoir : aujourd’hui un clonage équin coûte de l’ordre de 200 000 à 300 000 €, donc c’est relativement cher, mais quelques saisons de monte, si tout va bien, peuvent rentabiliser l’investissement.


Quand on a un étalon qui a 20 ans et commence à faiblir, le cloner c’est lui redonner pour 15 ans à 18 ans de carrière de reproducteur. Son intérêt économique est absolument considérable et c’est la raison pour laquelle parmi les centaines de clones qui existent déjà, de plus en plus d’étalons vieillissants sont en train aujourd’hui d’être clonés.


Lutter contre la stérilité


(Voir Photos : ET FRH et ET Cryozootch FRH)


Cheval et clone, est-ce pareil ? Oui !


Est-ce qu’un clone a bien les mêmes caractéristiques que celle ou celui dont il est la copie ? Tout d’abord les étalons clonés sont fertiles, les juments clonées sont fertiles également. Au point de vue des performances, parmi les clones équins certains ont commencé d’entrer en compétition. La conclusion se fait jour : les copies clonées d’un cheval sont remarquables. Quant aux performances à proprement parler génétiques comme reproducteur elles représentent à peu près ce à quoi on pouvait s’attendre.


Un millier d’ovocytes pour un clone...


Pour obtenir aujourd’hui un clone équin il faut des centaines, peut-être un millier d’ovocytes prélevés. Parmi les embryons que l’on obtient, un grand nombre dégénèrent avant même qu’on les ait transférés dans les voies génitales d’une femelle et il y a un taux d’avortement plus important, ainsi qu’une mortalité périnatale plus importante que chez les poulains normaux. Cela étant dit, quand le clonage a réussi, le clone est parfaitement normal.


Mais qui est ce clone ?


Ce n’est pas exactement un frère jumeau ou une sœur jumelle. Vous savez tous que dans chacune de nos cellules il y a deux sources d’ADN, il y a le noyau (les chromosome nucléaires qui sont la base de la génétique) et puis il y a des petits organismes qui se trouvent dans le cytoplasme qui entoure le noyau, qui ont une petite molécule d’ADN qui intervient dans la fabrication de l’énergie, ce sont les mitochondrie. Or fabrication d’énergie et performance c’est lié, et donc la question se pose : est-ce que tout vient du génome nucléaire, est-ce que dans les performances quelque chose vient du génome mitochondrial ? Vous autre éleveurs vous savez que l’étalon transmet à l’embryon son noyau mais que toutes les mitochondries viennent de la mère.


Or si les mitochondries avaient été très importantes dans les performances du cheval, la mère aurait eu plus d’importance dans la transmission des caractères de performances que l’étalon, ce qui n’est pas le cas. Les premières données dont je viens de vous parler indiquent effectivement que les clones équins sont des jumeaux à peu près normaux, et il n’y a pas d’incidence repérable à ce jour de la contribution de l’ADN chromosomique.


La question grave qui peut se poser est l’augmentation considérable de la consanguinité. Si un étalon qui déjà est extrêmement prisé, se met à avoir une carrière non plus de 17 ou 18 ans, mais de 100 ans, on imagine bien ce que cela peut donner.


Le clone est-il plus vieux ?


Autre interrogation : ne multiplie-t-on pas des cellules déjà âgées par le clonage, ne fait-on pas naître un individu biologiquement âgé ? Ça n’a pas du tout été confirmé par ailleurs. Le record absolu est le clonage de veau à partir de l’oreille d’un taureau de 21 ans, qui est un âge acceptable chez les taureaux. C’était un gentil petit veau qui n’a montré aucun signe de vieillissement accéléré, et aujourd’hui il est trop tôt pour étudier la longévité des animaux ; en tout cas l’idée selon laquelle on a l’âge de son clone n’est pas juste. Par contre il faut qu’une étude statistique importante fasse le bilan de l’état de santé sous tous les aspects des animaux clonés.


Manipulation génétique ?


La reproduction non sexuée d’un mammifère est une forme de manipulation reproductive, pas génétique. Ce qu’on appelle manipulation génétique, c’est la modification génétique, c’est l’introduction ou bien l’élimination de caractères en dehors de la reproduction. Et aujourd’hui de fait on sait casser des gènes, on sait même ôter des bouts de chromosomes très précisément, on sait rajouter des gènes, on sait rajouter des gènes dans des endroits différents, on sait faire réellement beaucoup de choses, on sait faire des manipulations génétiques.


Pour les chevaux il est peu probable que la manipulation génétique soit rapidement utilisée pour obtenir des champions, des chevaux d’élite, pour une raison très précise. Il y a des champions dont la descendance est de piètre qualité et à l’inverse il y a des étalons lambda dont un produit sur 3, un produit sur 2 est un cheval de très, très grande qualité. Imaginons par exemple que l’attitude et l’amplitude du saut d’un cheval d’obstacles ou de cross soient liées à un gène particulier qui confère une propriété musculaire allant de pair avec cette amplitude du saut. Donc cet animal élite qui doit beaucoup de ses caractéristiques à ce gène va transmettre ce gène à la moitié de ses descendants, en cas d’un gène dominant, mais si ces caractéristiques sont liées à l’interaction entre deux gènes, la qualité sera transmise à ¼ des descendants, 3 gènes à 1/8e des descendants, 4 gènes à 1/16e des descendants, etc. Or, et c’est la raison pour laquelle la génomique est tellement importante, il est hautement probable que beaucoup des caractéristiques qui font des chevaux élites sont plurigéniques, et à partir du moment ou ils sont plurigéniques une manipulation génétique qui transfère à un nouvel animal un ou quelques gènes aurait beaucoup de chance de ne pas aboutir au résultat voulu.


Donc toutes autres considérations écartées, d’un point de vue purement faisabilité, la sélection notamment aidée par la génomique est une méthode plus sûre pour avoir des champions, que la manipulation génétique ».



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Documentation : Amélioration génétique des équidés (Librairie IFCE) - site internet Génomique et sélection (Auteurs : A. Ricard (IFCE-INRA), G. Guérin (INRA), S. Danvy (IFCE), F. Clément (IFCE) D’après les articles des revues équ’idée n°70, Printemps 2010, et n°71, Eté 2010) - site internet dga.jouy.inra.fr/horse.genomics/- Site internet Horse Genome Project

26/03/2015

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