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Son Excellence monsieur Garcin

Comment fait-il donc ? D’où tient-il cet art de nous amener là où l’on ne veut pas nécessairement aller ? De nous intéresser à un sujet qui, a priori, ne nous intéresse que très modérément ? De nous séduire avec un personnage en vérité
assez peu séduisant ? De nous faire aimer, enfin, quelqu’un de, pourtant, pas spécialement admirable ? Moi qui ne peux admirer que par amour, et n’aimer que par admiration, je n’en reviens toujours pas : je me suis fait avoir. J’ai succombé.

Jérôme Garcin a choisi pour prétexte de son nouveau ‘‘roman’’ (ou récit ?) un hommage posthume à François-Régis Bastide, son prédécesseur à la direction de la célèbre émission radiophonique ‘‘Le Masque et la plume’’. Passionné de musique et de littérature - mais qui ne fut ni un grand compositeur ni un grand écrivain -, cet escogriffe, auquel son aspect donnait des allures vaguement aristocratiques, était tout à la fois grand amateur de femmes et d’honneurs, de Ravel et de Gobineau, d’Allemagne et de Provence, de jardinage et d’astrologie.

C’était également, du moins en était-il lui-même persuadé, un homme « de gauche ». Aussi à gauche, en tout cas, que l’était François Mitterrand qui, d’ailleurs, s’amusa à en faire un ambassadeur de France (à Copenhague, puis à Vienne), réussissant ainsi d’une pierre plusieurs coups : il remerciait de sa fidélité un vieil ami, qui aurait adoré, certes, devenir ministre - mais il lui fallait aussi caser Jack Lang - et, plaisir suprême, bousculait les petites intrigues des prélats du Quai d’Orsay. Mitterrand raffolait de ces jeux délicieux : il éprouva, par exemple, un malin plaisir à nommer ambassadeur dans un pays musulman, la Tunisie, où siégeaient la Ligue Arabe et la direction (en exil) de l’Organisation de Libération de la Palestine, un journaliste du journal Le Monde - antisioniste certes, mais juif quand même -, mon ami Eric Rouleau.

Qu’avait donc ce François-Régis Bastide pour plaire à Jérôme Garcin au point de lui consacrer un livre ? Même après l’avoir lu, je m’interroge. Je ne vois pas bien. Rien ! Du moins, rien d’autre que l’amitié. Le titre étrange de cet ouvrage, ‘‘Son excellence, monsieur mon ami’’ (Gallimard, 2008), a le mérite au moins d’annoncer la couleur !

Alors, par quelle sorcellerie finit-on par avoir, à son tour, un peu plus que de la sympathie pour un personnage dont la seule vraie grandeur était la taille ? Quel subterfuge Garcin a-t-il utilisé pour changer ainsi le plomb en or ? Son secret, Mesdames et Messieurs, je vais vous le dire une fois, je vais vous le révéler deux fois, je vais vous le dévoiler trois fois. C’est le style. L’élégance de la phrase, la grâce de l’écriture, la magie des mots. Jérôme Garcin est bien mieux qu’un bon journaliste, c’est un grand écrivain. La preuve : la manière de raconter a beaucoup plus d’importance que le contenu de la narration. Le plumage vaut largement le ramage. Surtout, le regard de l’écrivain est infiniment plus intéressant que ce qu’il regarde.

Pour dire les choses plus clairement, ce qu’il y a de plus fort, de plus touchant dans ce livre, ce n’est pas François-Régis Bastide, c’est Jérôme Garcin - dont la haute silhouette de cavalier apparaît à tous les détours du récit.

Evoquant « les plus belles années » de sa vie d’homme de presse, Garcin se souvient du lancement, sous la houlette du flamboyant et postillonnant Jean-François Kahn, de L’Evénement du jeudi (1984) : « A cette époque, raconte-t-il, pour le seul plaisir du bon mot, de la formule assassine, d’aiguiser mes griffes contre les institutions et de prétendre défaire une réputation, j’exécutais chaque semaine les livres et leurs auteurs... Je n’ai pas un bon souvenir de ces grimaces d’intransigeance. »

Il a bien raison, car c’est dans l’éloge qu’il est le meilleur, et non dans la férocité, la méchanceté, le sarcasme ou l’ironie. Cela vaut tant pour ses chroniques, hier dans L’Evénement du jeudi, aujourd’hui au Nouvel Observateur, que pour ses romans : on le préfère dans l’héroïsation du personnage - somme toute plutôt répugnant, mais dont il fait une personnalité attachante - de ‘‘C’était tous les jours tempête’’ (2001) que dans la critique acidulée d’un certain parisianisme des ‘‘Sœurs de Prague’’ (2007).

Ses meilleurs livres - essais ou récits - sont ceux dans lesquels il dit son admiration : ‘‘Pour Jean Prévost’’ (1994), ou pour ‘‘Barbara, claire de nuit’’ (1999), voire ses amours si joliment affichées dans ‘‘Théâtre intime’’ (2003). C’est là qu’il déploie le mieux ses talents, que brille de ses mille feux une écriture ciselée - taillée en effet comme un diamant - et que s’accomplit sous nos yeux et à notre profit le miracle que seule est capable de produire la bonne littérature.

Jérôme Garcin a cette force, cette capacité à nous embarquer à notre insu vers des univers lointains, à nous amener insensiblement sur des rivages enchantés que, sans lui, nous n’aurions jamais songé à aborder. Combien de lecteurs ont été, grâce à lui, convertis à l’équitation après avoir lu ‘‘La Chute de cheval’’ (1998) ?

Nombreux seront ceux qui, dans ‘‘Son excellence, monsieur mon ami’’ trouveront, sous l’apparence d’une brillante oraison funèbre prononcée sur la tombe d’un cher disparu, une fresque extraordinairement vivante, grouillante de mille personnages (parmi lesquels Garcin n’est pas mécontent de figurer), de la vie intellectuelle en France dans la seconde moitié du XXe siècle. Ils y trouveront aussi, à condition de savoir regarder, des esquisses qui complètent utilement les croquis que Garcin avait dessinés dans ‘‘Bartabas, roman’’ (2004), qui était passé, parfois, pour une simple hagiographie de l’ogre d’Aubervilliers - alors que c’était plus sûrement un pudique et magnifique autoportrait !

Jean-Louis Gouraud

17/01/2008

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