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Les gestations gémellaires : chronique d’une mort annoncée

Chronique vétérinaire Nous avions publié dans notre précédente édition le carnet de bord d’une éleveuse du Cotentin, à l’élevage du Haul, à Catteville. Le témoignage de la naissance de jumeaux de sa poulinière Paluche du Haul était très prenant. Nous avons appris depuis le décès du petit mâle, Djinno. Nos chroniqueurs véto ont voulu apporter leurs lumières au phénomène des naissances gemellaires. Photo 1 sur 1

Les statistiques sont terribles pour les jumeaux. En cas de double fécondation, 75 % se soldent par un avortement, 8 % des paires sont morts-nées, 7 % sont tellement faibles que les deux meurent peu après la naissance. Dans 4 % des cas, on peut sauver un poulain et dans 6 % on arrive à sauver les deux. Les jumeaux peuvent aussi être le résultat de la partition d’un œuf unique avec des statistiques semblables. 

Les différences de réussite dépendent notamment de la façon dont les deux poulains se répartissent l’espace disponible dans l’utérus. Lorsqu’il n’y a qu’un seul poulain, le placenta se place dans une des cornes utérines appelée corne gestante et au fur et à mesure de sa croissance, le fœtus envahit le corps utérin et la base de la corne opposée.

Dans le cas d’une gestation gémellaire, lorsque les deux fœtus sont dans la même corne, l’avortement est quasi systématique. Dans d’autres cas, la surface de l’utérus peut être divisée en deux parts égales, chaque jumeau ayant sa corne et une partie du corps de l’utérus. Mais souvent un des jumeaux prend plus de place et monopolise le corps utérin. Parfois, la place d’un des jumeaux est tellement réduite à la portion congrue, qu’il ne se développe pas et meurt. Cela peut évidemment déclencher une infection et un avortement mais il peut aussi se momifier et la gestation continuer. 

Le chorion qui correspond à la partie fœtale du placenta est pourvu de villosités qui s’engrènent dans les cryptes de l’endomètre maternel assurant ancrage et échanges. Lors d’une gestation gémellaire, la surface en contact de chaque chorion est forcement moins importante. En outre, les villosités sont absentes dans la surface de contact entre les chorions des deux poulains et souvent dans cette zone, se développent des réactions inflammatoires. Cette situation explique en partie la fréquence des avortements. 

D’où l’intérêt d’un diagnostic précoce de la gestation gémellaire. En cas de résultat positif, on se retrouve devant un dilemme cornélien : interrompre la gestation ou tenter une réduction. 

La première solution est d’escompter une élimination spontanée soit des deux, soit d’un seul fœtus, l’autre continuant une gestation normale. Ce taux de réduction est élevé (60 %). Il s’élève même à 80 % si les jumeaux se trouvent dans la même corne.

La seconde solution est de tenter de supprimer un des deux fœtus par écrasement. Pour se faire, il faut que les deux vésicules ne soient pas accolées. Un écrasement très précoce (avant 20 jours) entraîne moins de déchets et de risques qu’un écrasement plus tardif mais ne permet pas de profiter à plein du phénomène naturel de résorption embryonnaire. 

La dernière solution est d’interrompre la gestation pour obtenir un retour en chaleur. S’il reste encore au moins 3 cycles exploitables pour la saison, on arrivera dans 70 % des cas à démarrer une nouvelle gestation. 

C’est pour cela que certains éleveurs renoncent carrément à la saillie si l’examen fait craindre l’ouverture simultanée de deux follicules. Mieux vaut sauter une chaleur que d’avoir éventuellement à gérer le problème par la suite. Le risque de gestation gémellaire est plus élevé en fin de saison (au moment où le nombre de chaleurs exploitables est plus faible) et sur les jeunes juments (peut-être en raison d’une activité ovarienne plus intense et d’un stock de follicules plus important ce qui entraîne un risque accru que deux arrivent à maturité quasi en même temps). 

Si la gestation gémellaire se poursuit, dans la majorité des cas, l’avortement a lieu entre 8 et 11 mois de gestation mais peut survenir à n’importe quel stade. Ces avortements sont souvent suivis d’un développement mammaire prématuré. C’est une cause courante d’avortement chez la jument (20 à 30 % des avortements mis en évidence). 

On pourrait penser que lorsqu’on a les deux poulains dans la paille, le plus dur est fait… que nenni ! 

Évidemment, les jumeaux, même viables sont plus petits. Si la mère fait 500 kg, ils feront 20 à 30 kg (contre 45-50 en temps normal). 

La quantité de lait produite par la jument est en partie régulée par la demande du poulain et la fréquence de tétée. Pour deux, c’est sûr, il faut remettre le couvert plus souvent. On peut donc penser que la production s’ajustera. 

La production normale est de 15 kg de lait par jour le 1er mois, 16,5 le second. On peut espérer 20 % d’augmentation de la production…. Mais le compte n’y sera pas !  

Le 1er mois de vie, le poulain doit doubler son poids de naissance. En supposant que nos jumeaux, libérés des contraintes de l’utérus, démarrent sur les chapeaux de roue, il faudra qu’ils prennent environ 40 kg chacun sur le mois. Or, à ce stade, il faut 10,6 kg de lait pour fabriquer 1 kg de poulain. Il faudrait donc tous les jours, 28 litres de lait… on est loin du compte. Il manquera une dizaine de litres par jour pour les deux. 

Pour le 2e mois, le bilan est encore moins bon. Le poulain a grandi et donc il doit manger plus pour grossir (13,7 kg de lait/kg de gain de poids). Il manquera alors une vingtaine de litres. 

Évidemment, comme les poulains sont plus petits, ces chiffres pourront être un peu décalés dans le temps. Mais la conclusion est tout à fait claire : les poulains ne peuvent se suffire du lait de leur mère. Un complément lacté est indispensable que ce soit par une jument nourrice ou par des biberons. 

Et la mère dans tout cela ? Elle pourra produire au maximum 5 litres de lait supplémentaires par jour. Cela correspond à 1,5 UFC (énergie), 220 g de MADC (protéines) et 10 g de calcium en plus de sa ration normale. Et la ration normale est déjà très haute, puisqu’elle atteint 8,5 UFC, 956 g de MADC et 56 g de calcium. 

On va donc passer à des apports énergétiques de l’ordre de 10 UFC. Là, question coup de fourchette, un champion international fait presque petit jeu. Pour rappel, 1 kg d’orge fait 1 UFC. Sachant qu’elle peut manger environ 14 kg de matière sèche (MS), cela fait une densité énergétique moyenne de 0,7 UFC/kg de MS !… de la folie pure.

Bref, pour la jument aussi, ce sera difficile. Elle va puiser dans ses réserves graisseuses mais aussi musculaires et osseuses. On est dans le cas où, quelle que soit la qualité de l’alimentation, elle ne pourra pas couvrir ses besoins. On a donc toutes les chances de devoir avancer la date du sevrage pour sauvegarder la santé de la jument à bout de souffle. 

Il faut aussi tout de suite oublier la possibilité de faire remplir la jument pour l’année d’après. Pour se remettre de ses émotions, il lui faudra sûrement pas mal de temps. 

Donc des jumeaux, c’est la galère : pour eux, pour la maman, pour l’éleveur et même sur le plan financier… pas étonnant qu’on fasse tout pour les éviter ! 

Anne et Catherine Kaeffer http://techniques-elevage.over-blog.com

13/06/2013

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