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Femmes de cheval : Chronique d’une naissance attendue

Si Orient Express pouvait lire, évidemment qu’il sauterait sur ce bouquin. L’insolite histoire de cette paternité-maternité contée plutôt que racontée par Sophie Nauleau dans « J’attends un poulain », inspiré journal de bord d’une mise-bas, le ravirait. Sophie Nauleau n’est pas pour autant la Laurence Pernoud du poulinage. Femme de cheval à sa manière, femme à cheval sur des principes qui ne sont pas ceux de tout le monde, artiste, écrivain, poète, elle dévoile ici l’histoire inattendue de l’arrivée dans sa vie de Galapagar Express, fils (non désiré par elle) du grand Orient Express avec Batshina Mail, fille de la grande Katchina. Papier de rêve. Rencontre.





« Je vis à cheval, c’est très vrai puisque j’habite entre la Provence et Paris, à Paris où je suis directrice artistique du Printemps des Poètes, et la Provence où je vis avec 7 chevaux. Qui suis-je ? J’ai 42 ans, j’ai étudié les lettres à la Sorbonne, je suis docteur en littérature moderne et j’ai également fait l’Ecole du Louvre ce qui fait que j’ai un goût des Arts et des Civilisations, toutes époques confondues, assez vaste. C’est pour ça que je suis très heureuse quand Enki Bilal accepte d’imaginer un poulain pour cette couverture de « J’attends un poulain » ou quand Ernest Pignon-Ernest m’offre un frontispice pour « La Vie Cavalière » en collection Blanche chez Gallimard.


Pourquoi « J’attends un poulain » ? D’abord parce que j’avais un immense plaisir à détourner le best-seller « J’attends un enfant » et que je trouvais très drôle de prétendre faire autrement, ce qui est ma vie puisque je n’ai pas d’enfant, et pour de vrai parce que à un moment de ma vie compliqué où je venais de me faire licencier de France Culture et où j’étais plutôt dans une phase sombre, je me suis raccrochée à ce qui me fait du bien dans la vie, à ce qui m’épanoui, c’est-à-dire les chevaux. Je me suis emballée pour une vente aux enchères assez inédite avec quatre poulinières qui étaient pleines d’Orient Express, dont une qui avait un nom qui pour moi était comme une consonance indienne, alors que pas du tout et qui s’appelait Batshina Mail. Sur quelques photographies et sur une petite vidéo, on la voyait sauter en liberté à 3 ans. J’ai décidé que ce serait elle. Je n’y croyais pas du tout parce que les estimations étaient démentes, mais la mise à prix permettait de jouer comme ça pour un prix possible et donc dès le début j’ai enchéri à distance, par internet, sans l’avoir vue, tout en disant à mon homme « mais il ne faut pas y croire, de toute façon le monde entier est sur le coup, les Qatari veulent des souches françaises, ça ne marchera pas ». Or, pas du tout, au moment où le marteau numérique est tombé, et j’ai eu « vous êtes l’heureuse … »


Elle avait 4 ans et était pleine d’Orient Express depuis quelques semaines. Elle est arrivée un 14 juillet à la maison. Pour moi c’était un moment tellement unique et tellement fort, au niveau responsabilité aussi. J’avais charge d’âme, et d’âmes doubles puisqu’il y avait un poulain à naître. Et donc ce journal est le récit, a posteriori, puisque je ne l’ai évidemment pas écrit comme ça au jour le jour, j’ai pris des notes, mais je ne pensais pas en faire un livre.


Au début j’ai pensé à en faire un récit comme c’était le cas pour « La Vie Cavalière ». En fait là, le journal c’était tellement ça. D’abord ça permettait de scander la réalité de cette attente qui est au jour le jour, un jour où ça va formidablement bien, un autre où je suis très inquiète car elle m’a l’air d’avoir de la température, un 3e où on me stresse en me disant « mais tu ne vas pas y arriver, il faut la mettre en clinique », un autre jour où je m’en sors très, très bien et où je dis « mais laissez la tranquille, elle va mettre bas toute seule et elle sait mieux faire que nous autres ». Il y avait aussi un sablier, un compte à rebours et en plus le journal permettait ça, moi qui ai le goût des mots, le goût des incipits, le goût des commencements. Le journal c’était la vérité des jours, de l’attente, des espoirs, des angoisses, des amis qui meurent, de ce quotidien qui m’a animée tout du long ».





Les chevaux dans la vie de Sophie Nauleau ?


« Il y a ce vers très célèbre d’Hölderlin qui disait qu’il fallait tenter d’habiter poétiquement le monde, on l’a beaucoup détourné mon homme et moi, mon homme est poète, avec cette idée que l’on pouvait habiter cavalièrement le monde et en jouant aussi du mot cavalier puisqu’il peut y avoir un côté désinvolte mais aussi un côté infiniment vécu jusqu’à la tragédie.


Vivre cavalièrement ce n’est pas forcément vivre en se moquant des choses, au contraire ça peut être très profond et très engagé. Les chevaux sont mon énergie, ma verticalité, j’ai la chance de vivre avec les chevaux à la maison, donc de les avoir à l’air libre, ils ne sont plus en boxe, ils vivent dehors toute l’année. Batshina a mis bas un 26 février en Provence, c’est-à-dire qu’il faisait très froid. Elle a pouliné toute seule comme une fleur au matin sous les étoiles et ça s’est divinement passé. Donc je suis très heureuse de cette vie de plein air parce que ça m’a appris dans le fond que c’était extrêmement naturel, un cheval. Et quand on a eu dans le passé, en ce qui me concerne, un cheval en club, on est quand même soumis à des contraintes. Là, on se rend compte qu’ils sont bien mieux, que le poil est fait pour être léger l’été et chaud l’hiver, que l’animal, si on le laisse vivre le plus possible comme il est bien, ça se passe merveilleusement bien. Pour Galapagar, le poulain, c’était drôle parce qu’il est né comme ça, tout seul, tout bien.


Il est à la lettre, donc il aura 3 ans 1/2 le 26 août prochain. Souvent on me mettait en garde : oui là tout seul tout va bien mais tu vas voir c’est compliqué et puis c’est un entier. Je n’ai jamais eu ce genre de problème avec Galapagar. Il a tété le lait maternel jusqu’à un an, on a fait un sevrage progressif à partir de 3 mois. Il faut juste faire confiance à l’animal qui en sait bien plus que l’homme. Cela ne veut pas dire que mes chevaux sont à l’abandon au fond des prés. Je m’en occupe extrêmement, ils sont très suivis, mais je pense qu’ils sont suivis dans un mode de vie que leur correspond bien, enfin je l’espère ».





Que va-t-il devenir cet heureux Galapagar ?


« Il va un peu sauter, mais s’il n’en a pas envie, il ne sautera pas. Il a sauté en longe des petites choses, avec un surfaix, puis avec la selle, tranquilou. On verra. Bien sûr j’ai acheté cette jument parce qu’elle était pleine du vice-champion du monde, Orient Express. J’ai beaucoup d’admiration pour Patrice Delaveau, ce couple nous a beaucoup émus à Caen et puis dans plein d’endroits. J’ai suivi Orient Express quand il est venu à Cagnes-sur-Mer. Enfin voilà je trouve que c’est tellement beau cette histoire-là. Il y a très peu de poulains d’Orient Express donc vraiment j’en suis très fière. Après, pour autant, je ne suis pas une cavalière de 5* et si un jour je faisais des 125-130 avec Galapagar Express, j’aurais un jour tutoyé les dieux comme disait Hölderlin.


Pieds nus je tiens à préciser, pas en licol éthologique, je pense qu’il aura un mors parce qu’il adore ça, il est très à l’aise avec le mors il n’y a pas de soucis, mais oui j’aimerais bien ça ».


Propos recueillis par ER





Biographie (extraits)





• « La main d’oubliés » chez Galilée, 2007


• « Un verbe à cheval » L’Atelier des Brisans, 2008


• « La vie cavalière » chez Gallimard, 2015


• « La Voie de l’écuyer » chez Acte Sud (écrit pour • « Bartabas sur son Académie équestre de Versailles », 2018


• « La poésie à l’épreuve de soi » chez Acte Sud, 2018

22/08/2019

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