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Equitation française et tradition « Clarification ou confusion ? »


  • Dans cet ouvrage, riche de 115 illustrations de Marine Oussedick, Guillaume Henry - auteur de cet article - raconte par le menu, l’histoire de cette équitation française
    Dans cet ouvrage, riche de 115 illustrations de Marine Oussedick, Guillaume Henry - auteur de cet article - raconte par le menu, l’histoire de cette équitation française
Nous avons à plusieurs reprises évoqué ce colloque organisé à Saumur en octobre sur le thème de l’équitation de tradition française. Guillaume Henry s’en est expliqué longuement dans notre édition de fin d’année. J’ai demandé à Jean-Louis Gouraud qui participait à ces débats de nous faire part de son sentiment. Gouraud est un personnage à part qui va rarement dans le sens du « politiquement correct ». Son engagement et ses points de vue ne manquent ni d’originalité ni de pertinence. Il a souvent l’occasion de s’exprimer dans nos colonnes.
Voici son point de vue sur le colloque de Saumur. Il est suivi par les dernières réflexions de Guillaume Henry a qui le texte de Gourand a été communiqué.


Lorsque la dynamique animatrice de ce débat (plutôt une succession de brefs monologues), la journaliste Alix de Saint-André (fille de son père), me donna la parole, je commençai par m’étonner du sujet qui nous avait été proposé : « présenter, valoriser et transmettre la tradition ». Quelle tradition ? La tradition équestre française, bien sûr, celle que l’Unesco a bien voulu considérer comme digne d’être inscrite au patrimoine culturel de l’humanité. À voir la difficulté que les brillants orateurs qui se sont succédé au micro au cours des deux longues journées de ce colloque à définir ce qu’est précisément cette fameuse tradition française, je me demande ce que les experts de l’Unesco, en fait, ont cru inscrire au patrimoine mondial. Mais bref : nous demander à nous, simples amateurs (éditeurs, journalistes, artistes ou autre), comment « présenter, valoriser et transmettre » une notion aussi floue me parut être une proposition insolite. Car s’il est exact que « qui bien se conçoit s’énonce clairement », l’inverse est tout aussi juste : impossible de transmettre clairement ce qui s’énonce si difficilement. Aussi me crus-je autorisé à suggérer qu’avant de songer à transmettre ou valoriser un patrimoine, serait-il bon de mieux le définir. C’était d’ailleurs, je suppose, le but non écrit de ce colloque, mais ce qu’on y entendit fut si divers, voire divergent, qu’au lieu d’aboutir à une clarification, il contribua sans doute à aggraver la confusion. La seule tradition que les Français sachent transmettre est celle de la chamaillerie.


Les tentatives de mieux définir - sans trop l’enfermer disons donc plutôt de mieux circonscrire - notre chère équitation de tradition française ne datent pourtant pas d’hier. Je me souviens des efforts louables de l’écuyer-en-chef du Cadre Noir, le général Durand, qui, dans les années 1980 (il n’était alors que colonel), à la demande expresse du Conseil Supérieur de l’Équitation, essaya de formuler un corps de doctrine typiquement française. Il confia à notre ami commun le talentueux Jean-Claude Racinet le soin de rédiger un premier jet. Légèrement (c’est le cas de le dire) retouché par son commanditaire, ce texte fondamental parut en 1984 sous forme d’une brochure de 12 pages éditée par Crépin-Leblond et intitulée « La Doctrine de l’École Française d’Équitation ». Il y est question, bien sûr, de l’héritage de trois maîtres : La Guérinière, Baucher et L’Hotte ; de « mains sans jambes » et « jambes sans mains » ; d’extension d’encolure, de cession de mâchoire (etc.) et se termine par un appel au mariage de la tradition et de la modernité, en faisant évoluer, en particulier, les règles des épreuves de dressage.


Trente ans plus tard, il ne me semble pas que le sujet ait beaucoup évolué - ni qu’il y ait, à l’inverse, grand-chose à changer au texte mis au point par ces deux grands esprits, ces deux cavaliers expérimentés, ces deux écuyers cultivés que furent Durand et Racinet. On continue, pourtant, à en débattre indéfiniment, et de façon si décousue (y compris au cours du colloque d’octobre) que ce qui était à peu près clair est devenu un peu plus obscur. Comme lorsque tel orateur chercha à définir l’équitation de tradition française comme « un humanisme » (sic) ou tel autre (un Belge très éloquent) à expliquer que la finalité de l’équitation - française ou pas - est… le bien-être du cheval (!!!).


Pour ajouter à la confusion, les services Communication de l’École Nationale d’Équitation, croyant sans doute bien faire, choisirent pour composer l’affichette du colloque une photo certes charmante mais à la signification désastreuse, montrant une délicieuse gamine tendre sa main (gantée) vers un cheval qui vient la toucher d’un bout de nez. Outre le fait qu’il est un peu bizarre d’illustrer une réunion savante sur l’équitation par une jeune fille, peut-être gracieuse mais manifestement à pied, laisser supposer que l’équitation de tradition française se réduit à des tendres gratouillis n’aide pas beaucoup à sa compréhension.


Mais ainsi va l’époque : les deux grands Salons du cheval qui se tiennent chaque fin d’année ont conçu eux aussi deux affichettes de même nature : des jeunes filles qui papouillent leur cheval. Equita (Lyon) a choisi de monter une délicieuse personne (qu’on peut supposer nue) allongée sur l’encolure de son beau bai brun, tandis que Paris (Villepinte) montre un cheval gris et une blondinette extatique tendrement enlacés. C’est beau l’amour !


Mon autre motif d’étonnement à la lecture de la problématique proposée lors de la table ronde à laquelle on m’avait convié fut que l’institution (à savoir l’IFCE) organisatrice du colloque appelle à la rescousse pour « présenter, valoriser et transmettre la tradition » des individus de mon genre, alors qu’elle-même a totalement renoncé à y contribuer. Aussi ai-je dû rappeler qu’autrefois l’ENE éditait une belle revue, L’Équitation, que, fautes de moyens (humains ? matériels ?) elle a finalement renoncé à publier, et qu’il en a été de même avec Equ’idée, feue la revue des Haras nationaux ! Je me souviens avoir alors proposé à Christian Vanier, l’actuel patron de l’IFCE de réfléchir à une fusion de ces deux revues moribondes en une seule, qui aurait été volontiers éditée par Actes-Sud. Ma proposition n’eut aucune suite, ce que je trouvai un peu étrange de la part d’un homme qui, lors de sa nomination, avait déclaré vouloir donner la priorité à la transmission des savoirs. Tu parles !


Il faut dire que, dès le départ, cette affaire était mal emmanchée : le premier président de l’IFCE, l’ancien préfet Jean-François Étienne des Rosaies, bien connu dans les milieux barbouzards, était un spécialiste des services secrets, comme vient de le confirmer la révélation par la justice de son implication dans une sombre histoire de vente d’hélicoptères au Kazakhstan. On ne peut être à la fois un homme de l’ombre et un grand communiquant.


Quant à nous, les journalistes, les auteurs, les éditeurs, nous avons fait, je crois, notre devoir. Belin en éditant l’excellente collection dans laquelle Marion Scali a si bien su « présenter, valoriser et transmettre » l’enseignement des grands maîtres d’autrefois et en publiant tout récemment le très pédagogique ouvrage de Guillaume Henry, rehaussé des illustrations très parlantes de Marine Oussedik, « Une histoire de l’équitation française ». Actes-Sud en m’autorisant à lancer une collection d’ouvrages savants (Arts équestres), parmi lesquels le testament du général Durand, intitulé, comme par hasard, « L’Équitation française » !


Dernier motif de surprise, d’étonnement (et de réflexion) devant ce souci de l’institution (IFCE, ENE, Cadre Noir) censée être le conservatoire de l’équitation de tradition française, de chercher à la valoriser : son ostracisme, son goût pour l’entre-soi, son absence d’ouverture d’esprit. En négligeant, en excluant, voire en critiquant le travail d’un écuyer chorégraphe tel que Bartabas, qui est ce qu’on fait de mieux en la matière, l’institution s’est privée d’un formidable moteur, d’un extraordinaire outil de propagande en faveur de sa propre chapelle. Quoi qu’en pensent, quoi qu’en disent les culs-pincés de l’équitation académique, Bartabas a fait davantage pour la reconnaissance et le prestige de l’art équestre à la française que n’importe quelle inscription sur les listes de l’Unesco. Que ce soit, dans des genres très différents, son travail de divertissement au théâtre Zingaro ou son entreprise chorégraphique à l’Académie de Versailles, Bartabas a indiscutablement su illustrer le génie équestre français fait de légèreté, d’inventivité - et de respect du cheval.


S’il faut, puisque l’époque le veut, parler « cash », ajoutons que Bartabas a su, à lui tout seul, attirer un public plus nombreux (et plus international : il a triomphé à Tokyo et à New York, à Moscou et à Hong-Kong, à Londres et à Istanbul !) que n’en ont jamais attiré les spectacles conjoints, donnés à Bercy ou ailleurs, des « quatre Académies » (Saumur, Vienne, Lisbonne et Jerez) qui ont le tort de s’obstiner à ne pas admettre qu’avec Versailles, elles sont cinq.


Jean-Louis Gouraud 

Guillaume Henry : « quasi-indifférence générale »



Saluons ainsi et en premier lieu, le succès de ces Rencontres. En effet, pour mémoire, l’inscription de l’équitation française au patrimoine de l’humanité, auprès de l’Unesco, s’est déroulée dans une quasi-indifférence générale. Hormis la brève de l’Agence France Presse reprise par les journaux, cette inscription n’a pas déclenché (ou si peu) l’engouement qu’aurait pu (ou dû) susciter cet événement pourtant considérable pour le monde équestre, mais aussi la France en général. J’en veux pour preuve que la grande majorité des cavaliers, pourtant directement intéressée, ne le sait même pas.


Lorsque l’Ecole nationale d’équitation, il y a deux ans, a décidé d’organiser une journée sur le sujet, nous n’étions vraiment pas sûrs de susciter un quelconque intérêt hors la communauté habituelle – le petit cercle - de ceux que la culture équestre motive. Il y a deux ans, parler de colloque ou de rencontres sur ce sujet présentait un vrai risque… que l’IFCE a pris.


Une question s’est immédiatement posée celle de la définition: mais de quoi parle-t-on? Rappelons tout d’abord qu’il existe une définition, disponible sur le site web de l’Unesco. Le livre «Une histoire de l’équitation de tradition française», magnifiquement illustré par Marine Oussedik, qui vient d’être publié chez Belin, en offre aussi une explication. Au-delà de ces éléments (et il y en a d’autres), nous nous sommes évidemment demandé s’il était opportun de définir précisément l’équitation de tradition française. Si nous l’avions fait, nous aurions pris le risque de circonscrire, donc d’enfermer (ce qui est dans le champ de la définition), donc d’exclure (ce qui pourrait se situer aux limites). Nous avons donc préféré ouvrir, en choisissant des intervenants et interventions qui interrogeraient la tradition avec des regards différents.


Depuis ces Rencontres, on ne compte plus les professionnels, érudits, écuyers, cavaliers, enseignants qui s’emparent de cette «équitation française». À tel point que de nouveaux groupements, associations, organisations qui s’en revendiquent ne cessent de naître. Quel succès! Même s’il est peut-être bon de rappeler, que la différence (légitime, évidente, naturelle) ne doit pas être confondue avec la division qui risque, elle, de rendre le discours inaudible et, de fait, contre productifs. Une tribu de mille personnes différentes vaut mieux que mille tribus d’une personne différente.


Alors, il est vrai que l’on aurait pu faire mieux sur de nombreux aspects: certains auraient souhaité avoir plus de dialogue entre les intervenants et la salle, la nécessité d’un lien plus effectif entre la théorie (du premier jour), la pratique (du second) et l’équitation française. Et nous nous y appliquerons évidemment.


Et puis, il y a les absents. Et vous avez raison de souligner que Bartabas a évidemment toute sa place dans ces Rencontres. Nul ne nie (à Saumur comme ailleurs) son talent, sa créativité, son dynamisme, les vocations qu’il a créées, tout ce qu’il a fait pour le spectacle équestre et tout ce qu’il fait pour l’art en général. Vous avez raison de ruer et de nous rappeler qu’il fait partie de ces incontournables qui ont quelque chose à dire, quelque chose à apporter. Et nous réfléchirons ensemble, et bien volontiers, à la place qui sera la plus juste pour lui, afin qu’il apporte sa pierre à l’édifice.


Il n’est d’ailleurs pas le seul. J’ai lu sur la toile que certains regrettaient, remarquaient ou nous reprochaient que tel ou tel écuyer ou que tel ou tel chercheur n’ait pas été invité. Certains pensant d’ailleurs que nous avons eu peur de ce que ledit écuyer ou ledit chercheur aurait à dire. Autant avouer que cela nous a fait sourire. La vérité est qu’au fil des deux ans d’organisation de ces premières Rencontres, nous avons été sollicités par de très nombreux écuyers, universitaires, chercheurs, français et étrangers, et qu’il a bien fallu faire des choix. Ce choix aurait pu être différent, mais nous avons fait le nôtre en vue d’une «entrée en matière».


Nous travaillons désormais à la pérennisation de ces Rencontres et à l’organisation de la prochaine édition. Pour qu’elles ne deviennent pas un endroit où l’on tourne en rond, nous souhaitons chaque année leur donner un thème, afin que thème après thème, année après année, nous puissions tous, ensemble, préciser, explorer, enrichir, ce magnifique patrimoine vivant qu’est l’équitation de tradition française. Tout le monde est, évidemment, le bienvenu, car ces Rencontres sont avant tout à la disposition de tous ceux qui ont quelque chose à dire.


22/01/2015

Actualités régionales