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Comment réutiliser les bâtiments équestres abandonnés ? par Jean-Louis Gouraud

Des centaines de manèges, d’écuries, de quartiers de cavalerie, de petits hippodromes, de cirques, de bâtiments conçus pour abriter ou faire travailler les chevaux sont aujourd’hui abandonnés, ou menacés de ruine.
Ce désastre de grande ampleur ne pouvait pas laisser indifférents les acteurs de la protection du patrimoine.
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Des centaines de manèges, d’écuries, de quartiers de cavalerie, de petits hippodromes, de cirques, de bâtiments conçus pour abriter ou faire travailler les chevaux sont aujourd’hui abandonnés, ou menacés de ruine.


Ce désastre de grande ampleur ne pouvait pas laisser indifférents les acteurs de la protection du patrimoine.


Comment sauver ces lieux, parfois de grand intérêt architectural ? Comment les préserver de l’oubli ? Comment les conserver, les réhabiliter, ou les réutiliser ?


Ce sont les questions qui ont été posées à Saumur le 14 octobre à une bonne vingtaine de spécialistes, au cours des VIIIème Journées du « Comité pour les patrimoines du cheval », dont les principaux promoteurs sont Pascal Lievaux, conservateur du patrimoine (Ministère de la Culture), et Jacqueline Mongellaz, directrice du Musée-Château de Saumur.


Si l’essentiel des communications entendues ce jour-là concernaient le patrimoine français, la présence sur place du vice-ministre russe de la Culture, Oleg Ryzkhov, a permis de rappeler que le sujet n’est pas strictement hexagonal.


Dans une communication agrémentée de nombreuses photos spectaculaires, ce dernier a en effet exposé le projet de son département ministériel de réhabiliter les grandes écuries qui avaient été construites à Peterhof (le Versailles russe) sur ordre de Nicolas Ier, transformées par les Allemands lors du siège de Leningrad en hôpital de campagne, puis en maison de repos par les Soviétiques après la levée du siège.


Les organisateurs de ces Journées m’ayant demandé d’apporter en fin d’après-midi une touche d’exotisme après une quinzaine d’exposés sur des cas franco-français, il ne me fut pas difficile, prenant la parole après Oleg Ryzkhov, de commencer par donner en exemple la Russie, où la plus grande salle d’exposition de la capitale s’appelle… le Manège !


La Russie, pays de grande tradition cavalière, ne manque pas, elle non plus, en effet, de hauts lieux équestres méritant d’être entretenus, restaurés et même redécouverts.


J’ai moi-même beaucoup contribué à révéler l’existence, parmi les dépendances du palais Catherine, à Tsarskoye Selo (non loin de Saint-Pétersbourg) d’un cimetière unique au monde : une nécropole équine, créée en 1831, à l’initiative du tsar Nicolas Ier, qui avait fini par regrouper, au moment de la révolution bolchévique, voici très exactement un siècle, 120 sépultures de chevaux. Des travaux de sauvegarde y ont été entrepris, mais beaucoup reste à faire avant que le site puisse être ouvert au public et visitable.


À Saint-Pétersbourg même, une ville qu’on dirait construite pour les chevaux, j’ai de même rêvé à un certain moment obtenir des autorités locales qu’un des plus beaux manèges de la ville, situé à deux pas de la perspective Nevski, du Musée Russe et de l’hôtel Europe, transformé en patinoire à l’époque soviétique, soit restitué aux chevaux, et abrite une sorte d’Académie des Arts équestres russes - incluant, bien sûr, l’équitation cosaque !


À l’autre bout de l’Europe un projet de même nature mobilise une poignée de Napolitains désireux de rappeler que c’est dans leur ville qu’est née, à la Renaissance, une équitation nouvelle, une manière, un art novateurs d’employer le cheval, qu’on a appelé par la suite l’équitation savante, ou académique.


L’endroit où est née cette révolution, où le maître écuyer Giambattista Pignatelli a formé tant de chevaux et de cavaliers (parmi lesquels Antoine de Pluvinel, considéré comme l’ancêtre de l’équitation dite de tradition « française »), existe toujours.


C’est un complexe architectural géant, situé en bord de mer, au cœur de la baie de Naples, qui au XVIème siècle, c’est-à-dire au temps de Pignatelli, pouvait abriter plus de trois cents chevaux et se composait de deux manèges : l’un de 40 x 10, l’autre de 60 x 10 m. Malgré de nombreux remaniements au cours des siècles, ces manèges ont été miraculeusement préservés. On comprend que nos amis napolitains aient le désir de les remettre en état pour y faire à nouveau danser les chevaux. Seul problème : convaincre l’administration fiscale de la ville, qui occupe actuellement les lieux, d’aller s’installer ailleurs !


Troisième exemple, sur l’autre rive de la Méditerranée : la ville de Meknès - une des quatre villes dites impériales du Maroc -, qui fut la capitale du royaume, sous le règne du sultan alaouite Moulay Ismaïl, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Celui-ci, grand amateur de chevaux, en possédait quelques milliers. Il en offrit une demi-douzaine à son contemporain le roi Louis XIV. On a retenu la date à laquelle le Roi-Soleil reçut ce présent : le 16 février 1699.


Pour loger son immense cavalerie, Moulay Ismaïl fit construire, non loin de son gigantesque palais, des écuries pouvant contenir 12 000 chevaux. De cet ensemble monumental, il ne reste que la Maison d’eau, alimentée alors par une source située à 12 km de là, et une superbe enfilade d’extraordinaires greniers destinés, à l’époque, au stockage des fourrages et céréales nécessaires pour nourrir une telle quantité de chevaux.


Le Maroc d’aujourd’hui, dont le souverain Mohamed VI est aussi un amateur de chevaux, étudie actuellement la possibilité de créer une Académie d’art équestre, un lieu d’études et de spectacles où pourraient être mises en valeur les qualités du cheval local, le cheval barbe, montrant ses prédispositions aux airs relevés, voire à la Haute-École, comme le capitaine Beudant - le cavalier mirobolant - en a déjà fait la démonstration au temps où le Maroc était un protectorat français tenu par le futur maréchal Lyautey, lui aussi fin cavalier. L’idée d’implanter cette Académie sur l’ancien site des écuries royales de Meknès fait son chemin.


Il ne faudrait toutefois pas croire que la seule réutilisation des lieux conçus pour des chevaux soit d’y remettre des chevaux à tout prix. L’exemple des mews de Londres le prouve : ces ruelles pavées, qui abritaient autrefois une juxtaposition d’écuries et de garages à voitures hippomobiles, ont été peu à peu transformées en allées piétonnières bordées de charmantes habitations très prisées des Londoniens branchés et fortunés.


C’est un peu le même sort qu’ont connu à Paris certains bâtiments qui hébergeaient autrefois des chevaux. Un seul exemple : au 9 cour des Petites Écuries, dans le Xe arrondissement, s’est ouvert un restaurant, « La Ferme de Charles » qui a conservé dans sa décoration quelques éléments qui en rappellent l’ancien usage.


Autre exemple de détournement réussi en France : la transformation, à Verdun, d’un manège du XIXe siècle en salle de cinéma ultra moderne, baptisée fort opportunément « Le Caroussel », qui a reçu l’année dernière (2016) le Grand Prix de la salle innovante.


Mais c’est à l’étranger - en Autriche - que se trouve la plus belle réussite de reconversion d’un manège en salle de spectacle. Je pense ici au célèbre Manège des Rochers (en autrichien Felsenreitschule), ainsi appelé parce que creusé en partie dans la falaise qui borde la ville de Salzbourg, gouvernée alors - fin XVIIème siècle - par un prince-archevêque grand amateur de chevaux. Cet espace extraordinaire, à moitié troglodyte, fut transformé dans les années 1920 en salle de concert, comme il est normal pour une ville qui a vu naître Mozart (1756) et von Karajan (1908).


Il a fallu attendre l’année 2015 pour qu’on puisse y revoir des chevaux, à l’initiative du maestro Marc Minkowski, qui assurait alors la direction artistique de la fameuse Semaine Mozart (Mozartwoche). Lui-même amateur passionné de chevaux (de préférence gigantesques, genre shire ou clydesdale), il eut l’idée - jugée alors périlleuse - de faire jouer sur une scène assez exigüe - l’essentiel de l’espace de l’ancien manège étant occupé par les sièges des spectateurs - la cavalerie de l’Académie équestre nationale du domaine de Versailles, à charge pour Sa Majesté Bartabas d’imaginer une chorégraphie pouvant accompagner une cantate. Ce fut un triomphe. L’expérience fut renouvelée en janvier 2017, en accompagnement cette fois du célèbre Requiem inachevé de Mozart. Et ce fut, à nouveau, un triomphe.


Pour finir par une élévation des âmes, j’évoquerai deux réutilisations à des fins religieuses de structures chevalines. L’une en France, l’autre en Terre Sainte.


Créé en 1806 par Napoléon, le haras de Langonnet, en Bretagne, fut abandonné un demi-siècle plus tard pour devenir une abbaye, les étalons cédant alors leur place aux moines. Il est vrai que ce n’était qu’un juste retour : avant d’être récupérés par Napoléon, les magnifiques bâtiments cisterciens du Langonnet avaient abrité, depuis le XIIe siècle jusqu’à la révolution française, diverses communautés monastiques.


Dans un genre différent, il faut mentionner la transformation de ce qu’on a appelé (un peu abusivement) « les Écuries de Salomon », à Jérusalem… en mosquée !


En vérité, cette enfilade de salles situées sous le mont du Temple n’ont jamais servi aux chevaux du roi Salomon (qui, d’après les textes bibliques, en possédait plus de 40 000 !) mais bel et bien à ceux des Templiers, en l’an 1099.


Neuf siècles plus tard, cet immense local, connu aujourd’hui sous le nom de Mosquée Marwani, a été aménagé pour pouvoir permettre à 7 000 fidèles d’y prier ensemble.

25/10/2017

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