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Centres équestres : et si l’ordonnance du 23 mars 2020 était illégale?

Illégale : c’est ce qui ressort de l’analyse juridique faite par Sophie Nicinski, professeur de droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, publiée sur le site www.leclubdesjuristes.com et que nous reproduisons ci-dessous.Voilà qui met un terme (théorique) à toutes les polémiques en faisant sortir (pour son bien-être…) le cheval du champ du confinement. A lire jusqu’au bout. ER

« Dans le cadre du confinement, en tant qu’établissements sportifs recevant du public, les centres équestres ont été fermés. Il a alors été assuré aux propriétaires d’équidés en pension que ceux-ci étaient pris en charge « en bon père de famille ». En effet, l’entretien d’un équidé réclame une surveillance journalière et il est communément admis qu’un équidé doit bénéficier d’une heure d’exercice quotidien, sous une forme ou une autre. Les propriétaires des chevaux se sont retrouvés dans des situations très disparates, les uns – sans doute les plus nombreux – ayant des nouvelles fréquentes de leurs chevaux, d’autres n’ayant aucune nouvelle, à l’exception de l’envoi de la facture de pension. Après un mois de confinement, les propriétaires d’équidés ont lancé des pétitions, alerté des députés, des sénateurs, en particulier ceux des groupe et section « Cheval », ainsi que des responsables politiques locaux. Le 23 avril dernier, le jour de la publication des questions écrites rédigées par plusieurs de ces parlementaires, alertant le ministère de l’agriculture sur la situation des équidés, le Ministre de l’Agriculture a annoncé dans un communiqué de presse que les propriétaires d’équidés étaient autorisés à se rendre dans les centres équestres pour « aller nourrir, soigner ou assurer l’activité physique indispensable à leurs animaux ».

Les nombreuses questions et réactions que ce communiqué et son application a suscitées appellent les réponses juridiques suivantes que viennent compliquer le Communiqué de la FFE et la modification du site du Gouvernement en date du 26 avril 2020.

A quelle condition les propriétaires peuvent se rendre dans le centre équestre qui héberge leur équidé ?

Le texte est clair et les mots se suffisent à eux-mêmes : « si les centres équestres ne peuvent pas assurer eux-mêmes la totalité des soins ».

Cela ne signifie pas qu’il faudrait démontrer que le centre équestre est en faute, ou a commis des manquements, mais tout simplement que s’il assure depuis déjà plusieurs semaines l’entretien des équidés, et de manière satisfaisante dans la plupart des cas, il n’est pas en mesure d’assurer la TOTALITÉ des soins, c’est-à-dire la sortie quotidienne, le pansage et les soins de TOUS les chevaux, TOUS les jours. C’est une condition rédigée avec du bon sens, non pas pour opposer mais pour réunir, permettant un retour progressif à la normale, afin de commencer à soulager les dirigeants et leur personnel.

Malgré un certain flou, il nous semble qu’il faille comprendre que l’accès doit être autorisé à l’initiative du centre équestre.

Quelles activités les propriétaires peuvent-ils exercer dans les centres équestres ?

Là encore, le texte est clair et se suffit à lui-même : « nourrir, soigner ou assurer l’activité physique indispensable à leurs animaux ». Si le fait de nourrir ou de soigner l’animal ne suscite aucun débat, celui de monter à cheval interroge.

Aujourd’hui, et en l’état actuel du droit, il n’existe aucune interdiction de monter à cheval. L’activité physique indispensable des chevaux inclut le fait de les monter dans le respect des règles de circulation, c’est-à-dire dans l’enceinte de la structure équestre.

D’ailleurs, ni le ministre, ni une quelconque organisation sportive ne pourrait poser une interdiction de monter. Il s’agirait d’une atteinte aux libertés individuelles et elle relèverait d’autorités supérieures et de textes supérieurs, même en période de circonstances exceptionnelles.

Toutefois, le droit de monter est différent du choix de le faire. Le choix de monter n’est pas de l’ordre du droit, mais relève du civisme et du bon sens de chacun.

Faut-il attendre les consignes des CDE (Comités départementaux d’équitation), CRE (Comité régionaux d’équitation) ou de la FFE (Fédération française d’équitation) ?

NON. Ces organisations sont des fédérations sportives ou leurs émanations. Elles ne disposent d’aucun pouvoir réglementaire général. En droit français, les personnes privées ne disposent que d’un pouvoir réglementaire limité et organisé par le législateur. Bien évidemment, les statuts des personnes privées ne sauraient être rédigés de telle sorte qu’elles « s’auto-attribuent » un quelconque pouvoir réglementaire et leurs dispositions ne sont donc pas pertinentes.

Aux termes de l’article L. 131-16 du code du sport, les fédérations édictent seulement des « règles techniques » ; « Les règlements relatifs à l’organisation de toute manifestation ouverte à leurs licenciés », et les « conditions juridiques, administratives et financières auxquelles doivent répondre les associations et sociétés sportives pour être admises à participer aux compétitions qu’elles organisent ».

Elles ne sont pas habilitées à exercer une police économique, à indiquer aux centres équestres comment et quand ils peuvent appliquer la directive du ministre de l’agriculture. Les fédérations sportives n’édictent aucune réglementation économique, n’interviennent pas dans le respect de règles sanitaires nationales, qui dépassent largement le domaine équin.

Surtout, y procéder serait gravement irrégulier. On rappelle que l’Autorité de la concurrence a récemment infligé de très lourdes sanctions pécuniaires. A trois reprises en 2019, l’Autorité de la concurrence a sanctionné des ordres professionnels et autres organisations pour avoir tenté de faire échec à l’application des règles décidées par les autorités publiques. La qualification d’entente est en effet admise, s’agissant des décisions prises par les organes d’un ordre professionnel, lorsqu’elles apparaissent comme « l’expression de la volonté de représentants des membres d’une profession tendant à obtenir de ceux-ci qu’ils adoptent un comportement déterminé dans le cadre de leur activité économique » (CJCE 19 février 2002, Wouters, C-309/99). L’autorité de la concurrence a infligé des sanctions pécuniaires allant de 150 000€ à 1,5 M€, ce qui est extrêmement lourd pour des organisations professionnelles (S. Nicinski, « Les professions règlementées et l’Autorité de la concurrence », Chron Concurrence et régulation, AJDA 2019).

En conséquence, il est préférable que chaque structure équestre applique les directives du ministre, selon les choix opérés par le dirigeant de la structure.

Que penser du dernier communiqué de presse de la FFE publié le 26 avril, qui indique que « Pour votre information, nous avons depuis 48 heures de nombreux retours de dirigeants d’écuries de propriétaires qui ont été contrôlés par les services de Gendarmerie. Ces derniers rappellent systématiquement la fermeture des établissements équestres au public et ne tiennent pas compte de la communication du Ministre en raison de sa fragilité juridique, notamment en cas d’accident ou de litige » ?

D’abord, il convient de rappeler que le rôle des gendarmes est d’assurer l’application des règles pénales, et exclusivement cela. De ce point de vue, le gouvernement a modifié son site le 26 avril, pour viser l’accès des propriétaires aux centres équestres.

Certaines gendarmeries ont même publié cette possibilité d’accès sur leur site (notamment celle du Rhône), ou ont expressément répondu positivement aux personnes qui leur demandaient de leur confirmer que l’accès était possible. Il est donc vivement conseillé pour la structure équestre de prendre tout simplement contact avec la gendarmerie compétente et de vérifier qu’elle a bien intégré les directives du gouvernement.

On peut donc supposer que ces multiples avancées soient suffisantes pour prémunir les centres équestres et leurs clients contre le risque de se voir infliger une amende, c’est-à-dire d’être exposés du point de vue du volet pénal.

En revanche, on peine à imaginer que les gendarmes se prononcent sur des questions de droit privé, c’est-à-dire la situation en cas d’accident ou de litige. Surtout, on peine à imaginer des gendarmes apprécier la valeur juridique d’une directive d’un Ministre. Tout cela ne relève pas de leurs fonctions.

Seul le droit privé est applicable aux relations entre les centres équestres et leurs clients. En cas d’accident ou de litige, ce sont les tribunaux judiciaires qui sont compétents. Sans anticiper sur leurs décisions, on peut seulement faire remarquer que, si un accident survient alors que les deux parties ont signé l’attestation spéciale éditée par le FFE, qui est rédigée sous forme de contrat, la manifestation claire de leurs volontés convergentes devrait être prise en compte par les tribunaux.

On rappelle en outre que la légalité du Décret du 23 mars 2020 est largement discutable.

Que penser alors du Décret du 23 mars 2020 qui dispose que les établissements sportifs sont « fermés » ?

Le Décret du 23 mars 2020 pose la règle que les établissements sportifs sont « FERMÉS ».

Les centres équestres relèvent de la catégorie des « établissements mentionnés aux articles L. 322-1 et L. 322-2 du code du sport », qui  « sont fermés » (art. 8-V).

Ils ne sont pas des établissements sportifs « couverts » dont il est seulement prévu qu’ils ne peuvent plus accueillir du public (art. 8-I). En effet, d’une part, en cas de doute sur la qualification, la règle la plus restrictive s’applique et, d’autre part, les établissements équestres ne sont pas des établissements couverts puisqu’a minima ils comportent des espaces en plein air.

En droit, les mots ont un sens et le sens de celui-ci est clair : « fermé » signifie qu’il n’accueille ni propriétaires, ni gérants, ni salariés, ni maréchal, ni vétérinaire, ni livreur de nourriture. On ferme l’établissement comme les piscines ou les gymnases et on va se confiner chez soi, le domicile du gérant ne se confondant pas avec l’établissement sportif, même s’il se situe dans l’enceinte de celui-ci.

Dès lors, en tant que les centres équestres hébergent des animaux vivants, les dispositions du décret sont illégales.

Il existe deux motifs principaux d’illégalité :

D’une part, le Décret n’est pas conforme à la loi du 23 mars 2020[1] sur laquelle il est fondé, ce qui en soi emporte déjà son illégalité.

En effet, la loi prévoit que « le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (…) 5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public », ces mesures devant être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».

A l’évidence, un décret qui, s’il est appliqué tel quel, conduit inexorablement l’ensemble des chevaux de loisirs, d’élevage et autres à une mort certaine ne doit pas être considéré comme pris « aux seules fins de garantir la santé publique », ou comme une mesure « strictement proportionnée », et n’est pas « approprié ».

D’autre part, le « bien-être animal » figure désormais dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 13). Bien que les normes visant au respect du bien-être animal ne soient pas toujours d’application générale, la jurisprudence du Conseil d’Etat montre que la notion de bien-être animal est appliquée pour contrôler les actes règlementaires. Les rapporteurs publics considèrent que la règle selon laquelle « les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles » sont opposables aux actes réglementaires en droit français (cf. concl. Cytermann sur CE 4 octobre 2019, OABA[2]).

On peut supposer – sans trop se tromper – que le Conseil d’Etat n’admettrait pas la légalité d’un acte règlementaire qui condamne à mort des dizaines d’animaux, sans aucune raison liée à la crise du Covid 19, et qu’a minima il en censurerait les dispositions en enjoignant aux autorités compétentes d’édicter des mesures plus adaptées.

Il aurait fallu immédiatement en solliciter l’abrogation ou l’annulation. Lorsqu’un acte est illégal parce qu’il s’applique à certaines personnes, l’annulation ne le fait pas disparaître de l’ordonnancement juridique, il oblige seulement son auteur à l’adapter. Une telle démarche aurait donc seulement attiré l’attention des autorités centrales sur la question, sans remettre en cause les dispositions du décret lui-même pour les autres sujets de droit, et donc sans nuire à son utilité pour la gestion de la crise sanitaire.

Dès lors, il faut constater qu’en tant qu’il s’applique à des établissements hébergeant des animaux vivants, le décret du 23 mars 2020 est illégal.

En tout état de cause, l’administration a l’obligation de ne pas appliquer un règlement illégal. En effet, « Il incombe à l’autorité administrative de ne pas appliquer un texte règlementaire illégal », nous dit le Conseil d’Etat dans l’une de ses formations les plus solennelles (CE Sect. 14 novembre 1958, Ponard, n°35399).

La situation qui s’ensuit et qui perdure depuis deux mois est une situation de fait, dans laquelle chacun s’est organisé pour continuer à assurer les soins des chevaux. La disparité des règles que les uns et les autres ont tenté d’imposer a emporté des conséquences non négligeables sur l’exercice de l’activité économique de certains professionnels de la filière équine. Ces situations relèvent désormais de l’Autorité de la concurrence.

Que penser de la valeur juridique du Communiqué du ministre du 23 avril 2020 ?

En réalité, la question est : faut-il nécessairement en penser quelque chose ?

Le décret du 23 mars 2020 étant irrégulier en tant qu’il s’applique à des structures hébergeant des animaux vivants, il ne doit pas être appliqué et le Ministre de l’agriculture a l’obligation de l’écarter.

Si le décret du 23 mars 2020 doit être écarté, l’autorisation du Ministre n’a finalement que peu d’intérêt.

En effet, les propriétaires tirent leur droit d’accès du vide juridique existant.

Le problème juridique se déplace dès lors exclusivement vers celui de l’autorisation de déplacement, puisque le propriétaire d’un bien durant le confinement ne peut y accéder que s’il dispose de l’autorisation adéquate.

Sur le site du Gouvernement, modifié le 26 avril 2020, à la page « Coronavirus», après les principaux motifs de déplacement, il est indiqué, à la question  « Puis-je me rendre dans un centre équestre pour m’occuper de mes chevaux ? » :

« Oui. Depuis le 24 avril 2020, les propriétaires de chevaux peuvent se rendre dans leurs prés ou dans les centres équestres pour aller nourrir, soigner ou assurer l’activité physique indispensable à leurs animaux.

Ces déplacements sont autorisés si les centres équestres ne peuvent pas assurer eux-mêmes la totalité des soins. Pour cela, les propriétaires doivent remplir l’attestation de déplacement en cochant le motif familial impérieux. 

Pour autant, les centres équestres ne peuvent pas accueillir du public. Ils doivent mettre en place toutes les mesures sanitaires et de distanciation sociale adaptées à la configuration des lieux pour leurs employés et les propriétaires présents ».

Dès lors, le Gouvernement lui-même a débloqué le droit de circuler et interprété la notion de « motif familial impérieux », comme il a interprété les textes pour l’ensemble des dérogations, et en particulier la dérogation SPA.

Ce n’est plus du Communiqué de presse du Ministre dont on parle maintenant, mais d’une position prise au nom de l’ensemble du Gouvernement.

On rappelle que le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation » (art. 20 de la Constitution). Il est dirigé par le Premier ministre qui dispose d’un plein pouvoir réglementaire.

Et la question des assurances ?

La situation COVID pourrait-elle permettre à l’assureur du Centre équestre de refuser d’indemniser un dommage causé à son centre équestre ou à ses clients, du fait de l’accueil des propriétaires durant les quinze prochains jours ?

S’il est bien un principe fondamental en droit des assurances, c’est celui de la sincérité des déclarations.

Dès lors, il est fondamental de ne pas se tromper de question.

La question posée à l’assureur n’est pas et ne saurait être : « Mon établissement est fermé, mais par un communiqué de presse, le Ministre de l’agriculture a autorisé les propriétaires à venir prendre soin de leurs chevaux. Suis-je assuré ? ».

L’information est plutôt la suivante : « Pour le bien-être animal, j’ai continué à assurer moi-même l’entretien des chevaux en pension dans mon centre équestre. Mes salariés sont présents sur la structure et interviennent également. Certains membres de ma famille, non-salariés, confinés avec moi, m’ont prêté main-forte en montant leurs propres chevaux et éventuellement d’autres chevaux. Les professionnels comme les maréchaux et les vétérinaires sont venus pour assurer les soins nécessaires aux chevaux. Les cavaliers professionnels louant des boxes dans mon écurie s’y rendent pour exercer leur activité économique. Le fait que les propriétaires accèdent à mon centre équestre entraîne-t-il une application différente du contrat qui nous lie ? Dans l’affirmative, veuillez m’indiquer comment il convient de régulariser la situation que je viens de décrire ».

A partir de là, l’assureur devrait être en mesure de prendre une position éclairée. »

 

[1] LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

[2] « Vous admettez l’opérance du moyen tiré de la méconnaissance de l’article 13 du TFUE à l’appui de la contestation d’un acte règlementaire ».

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