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• Ecrivains hippiques (et autres) par J.L. Gouraud

Beaucoup de gens croient qu’il n’y a que les imbéciles qui fréquentent les champs de course. En fait, les imbéciles, ce sont ceux qui disent ça. Imbécile et, en plus, mal informés. Il n’est pas rare, au contraire, d’y croiser des gens très
bien. Pas seulement des milliardaires, parfois aussi d’excellents écrivains, souvent, c’est vrai, fauchés comme les blés. Quelques exemples ? Il y en a des tas. Charles Bukowski, Alain Bosquet, Ismaïl Kadaré. Jamais entendu parler ?

Bukowski est un très grand poète, un peu provocateur (et très alcoolique), Américain, né en Allemagne (à Andernach) en 1920. Bosquet, de son vrai nom Anatole Bisk, aussi un très grand poète. Roumain je crois, né à Odessa (Ukraine) en 1919. Kadaré, un des plus grands écrivains du siècle. Albanais né en Albanie, en 1936. C’est Bosquet, paraît-il, qui entraînait Kadaré aux courses. Et si ce dernier dispose aujourd’hui de quelques moyens, ce n’est pas grâce au jeu : c’est grâce à ses droits d’auteur.

À propos de paris et de stupidité, une blague, en passant : on se demande souvent si les chevaux sont intelligents. La preuve qu’ils le sont, c’est qu’ils ne parient pas - eux - sur les hommes.

Pour revenir aux écrivains, il ne faudrait pas croire qu’il n’y a que des Américains, des Roumains ou des Albanais sur les hippodromes français. Il y a aussi quelques Français, écrivains talentueux eux aussi, genre Christophe Donner. Jamais entendu parler non plus ? Un peu provocateur lui aussi…

Force est donc de le constater : les bons écrivains sont souvent des piliers d’hippodromes. Faut-il, dès lors, s’étonner du phénomène opposé ? Qu’un pilier d’hippodrome rêve, à son tour, de devenir écrivain ? Certes pas, mais cela paraît plus ardu. Le chemin qui sépare Saint-Germain-des-Prés de Maisons-Laffitte ou Auteuil est semble-t-il infiniment plus périlleux que le chemin inverse. Bizarre, mais c’est comme ça. J’en prends pour preuve le cas de Jean-François Pré.

Voilà un gentleman tout à fait bien sous tous rapports, bien marié, portant chevalière au doigt, toujours tiré à quatre épingles, détenteur de la chronique hippique sur la chaîne de télévision la plus regardée de France et dans le quotidien le plus lu de Paris, qui en est à son sixième roman (policier) sans que le Tout-Paris critique s’en émeuve, ou même s’en aperçoive. C’est bien dommage.

Car les romans de Jean-François, totalement dépourvus, il est vrai, d’ambition littéraire, mais écrits d’une plume alerte, sont toujours bien ficelés, et offrent de bons moments de vraie détente (le mot étant pris ici dans les deux acceptations du terme), tout en respectant scrupuleusement les lois du genre : cadavres exquis, sexe, champagne et chevaux. Dans le dernier de la série, La mort fait un tabac (Autres temps éditions, 2009), Jean-François Pré a considérablement augmenté la quantité d’ingrédients : golf, cigares et musique classique. Hélas, les cigares tuent, les pianos explosent et la musique n’adoucit pas les mœurs. On s’y balade, en Porsche ou en jet, de Marrakech à Cuba, avec escales à Deauville. Malgré les hécatombes, on s’y amuse follement, grâce à un flux ininterrompu de formules percutantes dont Jean-François Pré a incontestablement le sens. Une pute fait des œillades à son héros ? Celui-ci préfère décliner : « que voulez-vous, j’aime les femmes, pas les filles ». Un chirurgien opère à l’Hôpital Américain de Neuilly ? C’est, « le Ritz des mourants », précise avec une visible délectation Jean-François Pré, dont l’allégresse est contagieuse, l’humour jamais vulgaire et dont les personnages sont, comme lui, élégants et cultivés. S’ils ne sont pas vraiment marqués politiquement, on peut tout de même observer que, comparés aux héros de Gérard de Villiers, ce seraient (presque) des gauchistes. Aussi à gauche, du moins, que l’autre de Villiers, par exemple, l’est par rapport à l’extrême-droite. C’est dire.

J.-L. G.

03/07/2009

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